Intervention de Jean-René Cazeneuve

Commission mixte paritaire — Réunion du 15 décembre 2022 à 9h05
Commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027

Jean-René Cazeneuve, rapporteur pour l'Assemblée nationale :

Nous sommes réunis aujourd'hui sans que Jean-François Husson et moi-même soyons en mesure de vous présenter une proposition de compromis.

Je le regrette pour notre pays et pour sa crédibilité internationale. Je crains que nous ne percevions pas certains fonds européens. C'est dommage aussi pour le Parlement, car ce texte comportait des avancées en matière de suivi et de contrôle des dépenses, qui étaient le fruit des travaux réalisés sous le quinquennat précédent. Adopter une trajectoire des finances publiques permet de donner de la visibilité à nos politiques publiques et d'envoyer un signal à nos partenaires et aux collectivités territoriales.

Nous avons passé du temps à tenter de rapprocher nos points de vue, comme vous le savez, puisque nous devions à l'origine tenir cette CMP la semaine dernière et que nous sommes convenus de nous retrouver ce jour. Mais il faut savoir acter un désaccord.

Nos positions respectives étaient trop éloignées. Le Gouvernement proposait une trajectoire d'économies s'élevant à 30 ou 40 milliards d'euros pour l'État et les administrations centrales d'ici à 2027. Le Sénat a voté un doublement du montant des économies supplémentaires pour ce sous-secteur des administrations centrales, soit un montant d'économies supplémentaires de 35 milliards d'euros. Le Sénat proposait ainsi de parvenir, en 2027, à un montant de 638 milliards d'euros de dépenses pour l'État et les organismes d'administration centrale, soit une baisse en valeur d'environ 10 milliards d'euros par rapport au montant rebasé de 2023 ! Il semble que les enseignements de la sortie un peu précipitée de la crise de 2008 n'aient pas été retenus.

Par conséquent, alors que le texte du Gouvernement prévoyait un déficit de 2,9 % du PIB en 2027, le Sénat souhaitait le réduire à 1,7 % à cette échéance.

La majorité présidentielle était prête à trouver un compromis, au prix d'un effort supplémentaire en dépenses pour nos administrations et nos services publics, pourvu que l'effort soit équitablement partagé entre l'État et les collectivités territoriales. Encore faut-il aussi comparer des choses comparables. J'ai ainsi proposé d'exclure du calcul, pour l'État comme pour les collectivités territoriales, les dépenses exceptionnelles liées à la crise, les dépenses liées à la charge de la dette, ainsi que les dépenses de transfert. En retenant ce calcul, ma proposition aboutissait à demander à l'État un effort supplémentaire de moins de 10 milliards d'euros, et non de 35 milliards d'euros.

Il nous importe d'être raisonnables et crédibles ; or nous ne sommes pas parvenus à nous mettre d'accord sur ces critères. Chacun devrait être en mesure de documenter un tant soit peu l'ambition de réduction des dépenses qu'il porte. Je le dis sans acrimonie ni agressivité, la majorité sénatoriale ne nous a pas convaincus sur ces points : les quelques économies proposées par le Sénat dans le projet de loi de finances pour 2023 nous ont paru, pour le moins, éloignées des objectifs quantitatifs sénatoriaux affichés lors de l'examen du projet de loi de programmation des finances publiques. Je ne reviens pas sur les nombreuses dépenses fiscales supplémentaires adoptées par le Sénat, ni sur les mesures de compensation en tout genre adoptées en faveur des collectivités territoriales. Si chaque mesure peut être légitimement débattue et défendue, nous n'avons pas trouvé la cohérence d'ensemble susceptible de justifier la mise en oeuvre d'une LPFP aussi ambitieuse, sinon agressive, que celle qui a été adoptée par le Sénat.

J'ajoute que la baisse de 5 % sur cinq ans du nombre des emplois publics de l'État adoptée par le Sénat constituait un autre motif substantiel de désaccord entre les deux majorités parlementaires. Maintenir la stabilité représente déjà un effort important vu les besoins, dans le contexte actuel, de nos services publics, de nos hôpitaux, de nos services de sécurité, etc.

Je regrette que nous ne soyons pas en mesure de donner aujourd'hui à notre pays une loi de programmation des finances publiques. Il est plus sain d'en prendre acte que de présenter une programmation que personne ne serait en mesure de réellement mettre en oeuvre - et surtout pas les oppositions à la majorité présidentielle dans chacune des deux chambres. Le texte fera donc l'objet d'une nouvelle lecture.

Je reste, pour ma part, toujours aussi disponible pour tenter d'avancer. Nous avons peut-être manqué d'un peu de temps, et il eût été sans doute plus facile d'aboutir dans une période où les finances publiques ne sont pas bouleversées chaque année, voire plus d'une fois par an ou plus d'une fois au cours même d'un automne budgétaire... Il faut reconnaître que l'environnement économique instable que nous traversons ne nous permet pas de faire des projections sûres.

Peut-être avons-nous également besoin de travaux pratiques : je forme le voeu que les futures réformes que nous présenterons aux Français soient l'occasion de mieux partager et définir ce qu'il est possible d'envisager pour nos finances publiques. Quand les sous-jacents sont plus clairs, la détermination d'une trajectoire est plus simple.

L'échec de notre CMP aujourd'hui est, je l'ai dit, regrettable du point de vue de l'intérêt général. Il nous reviendra de remettre, d'une façon ou d'une autre, l'ouvrage sur le métier ; je sais que la volonté de redresser nos finances publiques est partagée largement dans nos deux assemblées.

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