Intervention de Pascal Allizard

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 7 décembre 2022 à 9h30
Guerre en ukraine — Audition du général de corps aérien bruno clermont

Photo de Pascal AllizardPascal Allizard, Vice-président :

Nous sommes heureux de vous accueillir, mon Général, pour cette audition sur la guerre en Ukraine et ses enseignements.

Nous avons récemment auditionné le colonel Michel Goya à ce sujet. Après avoir entendu un terrien, nous nous réjouissons de pouvoir bénéficier du regard complémentaire d'un aviateur. Votre éclairage nous sera précieux. Vous avez effectué 35 années de service dans l'armée de l'air comme pilote de chasse, puis en état-major et à plusieurs postes à responsabilité au sein du secrétariat général de la défense nationale, du commandement du soutien des forces aériennes et, enfin, comme directeur de la sécurité aéronautique d'État. Vous avez donc aussi une grande expérience du regard interarmées. De 2014 à 2021, vous avez exercé les fonctions de conseiller du président de Dassault Aviation, avant de créer votre propre société de conseil en stratégie.

Notre commission est très attentive à ce que la France ne passe pas à côté des enseignements de la guerre en Ukraine. Ce conflit est loin d'être achevé, ce qui nous oblige à une certaine prudence. Vous pourrez d'ailleurs nous livrer votre analyse de la situation sur le terrain, alors que les villes et les infrastructures ukrainiennes continuent d'être bombardées par les Russes, faute pour ces derniers de pouvoir repousser la contre-offensive ukrainienne à l'est et au sud. Comment le rapport de force est-il susceptible d'évoluer au cours d'une guerre qui s'annonce malheureusement longue ?

Cette guerre n'épuise bien sûr pas, à elle seule, l'ensemble des problématiques de la réflexion prospective, mais toutes les caractéristiques de ce conflit de haute intensité sur le sol européen devront être prises en compte dans la prochaine loi de programmation militaire, qui est actuellement en préparation par le gouvernement.

C'est pourquoi la commission a constitué un groupe de travail sur le retour d'expérience du conflit ukrainien. Les rapporteurs sont Cédric Perrin et Jean-Marc Todeschini. Il s'agit d'évaluer la portée de cette guerre sur le plan géostratégique et ses enseignements sur le plan militaire.

Vous nous livrerez en particulier votre analyse de l'usage de l'arme aérienne dans ce conflit. Les Russes n'ont pas acquis la supériorité aérienne, ce qui a été pour beaucoup une surprise. L'ont-ils cherchée ? Si non, pourquoi ? Dans la doctrine occidentale, l'acquisition de la supériorité aérienne est essentielle.

Nous avons vu une nouvelle fois, après la guerre au Haut Karabagh, l'usage massif des drones. Ce changement fondamental repose sur l'usage de drones relativement peu coûteux, mais aux effets cinétiques et psychologiques dévastateurs. Quelle sera la place de l'aviation de combat dans ce nouveau contexte ? Le concept du SCAF est-il adapté à ces évolutions ?

Nous sommes préoccupés par le retard de la France en matière de drones, mais aussi par la rareté de notre défense sol-air et de nos capacités de suppression des défenses aériennes adverses. Nous disposons de moyens de haute technologie enviés de tous, en particulier des Ukrainiens, mais dans des quantités quasi échantillonnaires. Où fixer le partage entre le contenu technologique et la masse ?

Mon Général, vous avez la parole.

Général Bruno Clermont - Je vous remercie de m'accueillir. Mon analyse sera plus stratégique que tactique. En préambule, un point important. Je m'attache aux faits. J'évite la morale ou l'émotion. Pour autant, il est clair que ce que fait Poutine est inacceptable. L'armée russe se livre à une succession ininterrompue de crimes de guerre depuis huit mois. Si leurs auteurs ne comparaissent pas devant le tribunal des hommes, ils comparaîtront devant le tribunal de l'Histoire.

Mon propos s'articulera en deux parties. Je brosserai d'abord les caractéristiques principales de cette guerre, avant d'en tirer les enseignements.

Il faut bien comprendre que les deux armées sont issues du même moule : celui de l'Union Soviétique. Au début de la guerre, elles utilisaient les mêmes équipements militaires. Ces deux armées ont longtemps conservé les modes de fonctionnement rigides et centralisés des forces soviétiques. La seule différence : environ 10 fois plus d'équipements côté russe, souvent un standard plus avancé et aucune marine de guerre côté ukrainien depuis 2014. Le rapport de puissance est donc en faveur des Russes, qui auraient dû faire la différence. Cela n'a pas été le cas.

Du côté ukrainien, l'invasion russe en Crimée et le début de la guerre dans le Donbass en 2014 ont servi d'électrochoc. La guerre n'a pas commencé en 2022, mais en 2014. À partir de cette date, l'OTAN d'un côté, les États-Unis, le Canada et la Grande-Bretagne de l'autre, ont commencé à former l'armée ukrainienne. Au début de la guerre, on estime que 40 000 des 80 000 soldats de l'armée régulière ont été formés par les occidentaux et combattent « à l'occidentale ». Des unités de forces spéciales ont même été créées ; elles se montreront extrêmement efficaces sur le théâtre d'opération.

De leur côté, les forces russes n'ont rien à voir avec les forces soviétiques, notamment pour ce qui concerne la quantité. En réalité, elles sont très réduites. Si Poutine a modernisé ses forces nucléaires, la modernisation de ses forces conventionnelles est très loin d'être achevée lorsqu'il déclenche l'offensive. En Russie, les forces nucléaires captent une large part des crédits, au détriment des capacités conventionnelles.

De plus, l'armée russe est minée par la corruption et la violence, à l'image de la société russe, par la médiocrité de ses chefs militaires et par le manque d'entraînement. Parachutistes, appelés fraîchement engagés, professionnels, mercenaires de Wagner, soldats de Kadyrov : ce n'est pas une armée, mais la juxtaposition d'armées différentes agissant de manière non-coordonnée. Surtout, ces forces sont trop réduites en nombre. La Fédération de Russie, c'est 17 millions de kilomètres carrés, soit 30 fois la taille de la France, pour un budget de la défense de l'ordre de 1,5 fois celui de la France.

Le rapport de force sera progressivement modifié par la livraison massive d'équipements militaires à l'Ukraine : d'abord des équipements ex-soviétiques de la part d'anciens pays du Pacte de Varsovie, puis très rapidement des équipements occidentaux.

Pour résumer la situation du début de la guerre, qui prévaut toujours aujourd'hui : les Ukrainiens ont des combattants à volonté, mais pas assez d'armements, tandis que les Russes ont de l'armement à volonté, mais pas assez de combattants.

La guerre peut se décomposer en 4 phases. La première est celle de l'invasion manquée. Elle débute le 24 février et dure 45 jours, jusqu'à la mi-avril, le temps que Poutine réalise que ses généraux lui mentent. L'offensive russe repoussée par les Ukrainiens s'est terminée par un désastre stratégique et militaire pour la Russie. Les explications sont multiples. Ce désastre est d'abord la conséquence d'une analyse totalement erronée des Russes sur 3 points : l'existence d'une nation ukrainienne, la sur-estimation de la puissance de l'armée russe et la sous-estimation de la puissance de l'armée ukrainienne.

Les Russes pensaient que la résistance ukrainienne serait minime et que Kiev et le Donbass tomberaient aussi facilement que la Crimée en 2014. C'est une faute majeure de la part de Poutine et de ses services de renseignement, dont il a d'ailleurs très vite limogé la plupart des chefs. Ainsi, les forces parachutistes, qui sont la fine fleur de l'armée russe, ont été décimées lors d'une tentative de débarquement sur l'aéroport d'Hostomel au début de la guerre.

Durant cette phase, les Russes ont conquis une grande partie du territoire de l'Ukraine, pratiquement sans combattre, dont la région de Kherson et la centrale de Zaporijia. Cette phase se termine le 18 avril avec une humiliation majeure pour la Russie : la marine ukrainienne, qui n'a pas de bateau, est parvenue à couler le croiseur Moskva, qui était le bateau amiral de la flotte russe en mer Noire. Les Ukrainiens ont gagné la première phase de la guerre sans aucune ambiguïté.

Commence alors la deuxième phase, celle de la nouvelle stratégie russe. Il s'agit de concentrer les efforts sur le Donbass d'abord, sur le contrôle de la mer Noire ensuite. Cette phase durera 4 mois. Les Russes progressent dans le Donbass au prix de lourdes pertes. À la mi-juillet, ils ont pris la totalité de l'oblast de Louhansk et 80 % de celui de Donetsk. Ils contrôlent alors une partie importante de l'Ukraine en plus de la Crimée. Pour autant, ils sont toujours confrontés aux mêmes problèmes : manque d'hommes, commandement défaillant. Les Russes ont tout de même gagné cette deuxième phase de la guerre, marquée notamment par la prise de la ville martyre de Marioupol. En revanche, ils se montrent incapables de poursuivre l'offensive jusqu'à Odessa.

Du côté ukrainien, la mobilisation décidée le premier jour porte ses fruits. Des dizaines de milliers de combattants armés par les occidentaux renforcent l'armée régulière. La nation ukrainienne est en armes. Elle est galvanisée par un chef exceptionnel : Volodymyr Zelensky.

La troisième phase est celle de la contre-offensive ukrainienne. Elle ne sera visible qu'en août avec des mouvements de troupes, mais elle a démarré en juin avec la livraison d'armes, notamment les Himars. Ces armes frappent loin et fort, avec une très grande précision. Chaque roquette tirée est un coup au but. Pendant des semaines, les Ukrainiens s'emploient à détruire le deuxième échelon russe (logistique, dépôts de carburant, dépôts de munitions). En outre, les Ukrainiens conçoivent une opération de déception remarquable, faisant croire aux Russes qu'ils attaqueront à Kherson, alors qu'ils lancent l'offensive dans la région de Kharkiv. N'ayant pas assez d'hommes, les Russes choisiront de sauver Kherson, ce qui entraînera une débâcle dans le nord. Le 21 septembre, Poutine déclare la mobilisation partielle et annexe les territoires occupés. La troisième phase de la guerre a été gagnée par les Ukrainiens.

Nous sommes actuellement dans la quatrième phase, qui a débuté le 8 octobre par l'attentat contre le pont de Kertch, qui relie la Crimée à la Russie. Cette affaire a été une humiliation pour Poutine, qui en a profité pour nommer un nouveau commandant chargé des opérations en la personne du général Sourovikine. Sourovikine a commandé les forces russes en Syrie. Il y a largement utilisé l'aviation de bombardement. Il a aussi commandé les forces aérospatiales russes. Pour la première fois, le général à la tête des opérations connaît l'aviation et la puissance aérienne. À compter de sa nomination, la guerre change de nature.

Cette phase comprend le retrait inattendu, et en bon ordre, des troupes russes de Kherson, qui évitent ainsi une défaite inéluctable. C'est à ce moment-là que Sourovikine décide de lancer la première campagne aérienne vraiment efficace, avec des raids incessants de drones iraniens et des bombardiers stratégiques qui décollent de bases russes sans franchir la frontière avec l'Ukraine ; ils sont donc totalement invulnérables. La seule solution, pour les Ukrainiens, est d'intercepter les missiles. C'est possible, mais ils manquent de système de défense anti-aérien.

Les cibles sont d'abord des infrastructures civiles, mais aussi des cibles plus militaires. L'objectif de la campagne aérienne est de faire souffrir la population et de paralyser l'économie ukrainienne afin de freiner l'effort de guerre. Dans le même temps, les Russes prennent des positions défensives sur la rive gauche du Dniepr pour protéger la Crimée. Nous en sommes là aujourd'hui, alors que l'hiver approche. Cette météo permettra-t-elle aux Ukrainiens de reprendre l'offensive ou aux Russes de regagner du terrain ? Nous le saurons bientôt.

La campagne aérienne se poursuivra aussi longtemps que la Russie aura des missiles. L'été dernier, Poutine a fait passer l'économie russe en économie de guerre. Priorité est donnée aux usines d'armement.

Il est évident que sans la formation de l'armée ukrainienne, débutée en 2014, et sans les livraisons massives d'armes, le sort de cette guerre aurait été différent. 50 pays participent au groupe de Ramstein, lequel coordonne, sous autorité américaine, la livraison des armements fournis par les occidentaux (qui ne sont d'ailleurs pas qu'occidentaux puisque les Japonais, les Israéliens et les Coréens du sud sont impliqués). Les États-Unis ont créé un état-major pour coordonner cet effort colossal. Les armements qui ont été livrés équivalent à quatre fois le budget de la défense de l'Ukraine. La nature des armes a évolué au cours des quatre phases de la guerre. La coordination entre l'OTAN et les forces ukrainiennes est étroite et permanente. Certains pays considèrent que la Russie poursuivra son offensive au-delà de l'Ukraine ; ils livrent donc massivement leurs armements, au risque de s'affaiblir. C'est le cas de la Pologne et des pays baltes. Ces pays livrent une guerre par procuration à la Russie. Ce n'est pas le cas de tous les pays.

Les occidentaux fournissent également un renseignement militaire permanent et extrêmement précis, qui permet aux Ukrainiens de connaître la position de chaque canon, de chaque char. Du côté russe, le renseignement est certainement de bonne qualité également.

La livraison de 25 000 terminaux Starlink par Elon Musk au début de la guerre garantit une circulation de l'information.

Le Pentagone ne cache pas qu'il fournit un conseil opérationnel, par exemple dans la planification de la contre-offensive ukrainienne.

De son côté, la France donne ce qu'elle peut. En réalité, nous n'avons pas grand-chose à donner. Toutefois, à la différence de certains, nous donnons tout ce que nous annonçons.

Le soutien militaire de l'Iran est un facteur important. Se poursuivra-t-il ? Se diversifiera-t-il ?

A priori, la Chine ne fournit rien. Elle a trop peur des sanctions brandies par les Américains.

Les Ukrainiens ont mené une offensive contre la marine russe en mer Noire et à Sébastopol avec des drones navals qu'ils ont fabriqués eux-mêmes.

Les Shahed 126 iraniens sont redoutables. Ils sont faciles à intercepter, mais il y en a au moins 30 qui passent dans une salve de 50.

Les munitions rodeuses sont aussi redoutables. Elles se tirent comme un mortier. La munition déploie ses ailes, monte en altitude et le soldat la guide avec une petite commande. Ce système est encore manuel, mais des versions automatiques arrivent sur le marché. N'oublions pas que le but de la guerre, c'est de faire des morts. Le but des munitions est donc de faire des morts.

Il existe différents types de guerre : terrestre, aérienne, navale, cyber, spatiale. Aujourd'hui, les militaires ne parlent plus de guerre interarmées, mais de milieu. Regardons comment ces milieux ont été traités depuis le début de la guerre.

Dans la guerre de l'information, il est évident que l'Ukraine a pris l'avantage dès le début. Les Ukrainiens nous parlent, quand la propagande russe parle au peuple russe. En réalité, nous ne savons pas grand-chose de fiable dans cette guerre. Ainsi, nous n'avons pas d'éléments fiables sur le matériel détruit et le nombre de victimes. Le seul élément objectif est celui qu'a donné le général Milley, chef d'Etat-major des armées américaines, qui a évoqué il y a 3 semaines les chiffres de 100 000 soldats hors de combat des deux côtés et de 40 000 civils tués.

La cyberguerre est un domaine très confidentiel, que les nations ne partagent pas. Nous ne savons donc pas vraiment ce qu'il se passe. En revanche, nous savons que nous n'avons pas assisté au « grand soir » de la cyberguerre. Il serait intéressant d'interroger le responsable de la guerre cyber en France. Une chose est certaine : ce n'est pas une guerre du XXIème siècle. La guerre du XXIème siècle aura une dimension cyber très importante.

Il n'y a pas de guerre dans l'espace car les moyens sont russes et américains. Or les Russes et les Américains font tout pour ne pas se confronter directement.

La guerre navale est particulière dans la mesure où les Ukrainiens n'ont pas de marine. Ils sont néanmoins parvenus à couler le Moskva et à empêcher une opération de débarquement amphibie en direction d'Odessa. La Turquie, spécialiste du rôle trouble, a joué un rôle important en bloquant l'accès à la mer Noire.

Le principal échec de l'armée russe tient à son mauvais emploi de sa puissante aviation. Les Russes se sont montrés incapables de conduire une campagne aérienne comme l'OTAN l'aurait fait, sous leadership américain. Cette campagne aurait consisté à détruire l'essentiel des radars, des systèmes de défense aérienne, ainsi que l'aviation adverse, afin d'obtenir la supériorité aérienne, condition indispensable à la liberté d'action des forces terrestres. C'est d'ailleurs ce que craignait Zelensky lorsque, dès le début de la guerre, il a demandé à l'OTAN une no fly zone. Il s'attendait à une campagne de supériorité aérienne des Russes. De leur côté, les Ukrainiens ont été très malins. Ils ont su protéger leur cinquantaine de chasseurs en les déplaçant. Ils ont très bien utilisé leurs systèmes mobiles de défense anti-aérienne.

L'opération terrestre est devenue le coeur de cette guerre, qui est une guerre de position, de destruction et d'attrition. En cela, elle ressemble plus à la première et à la seconde guerres mondiales qu'à une guerre du XXIème siècle. A la puissance destructrice et au manque de troupes des Russes, les Ukrainiens ont répondu par une maîtrise de la guerre et de la manoeuvre terrestre, avec une force morale et une motivation qui font défaut aux Russes depuis le début.

Le nucléaire est une épée de Damoclès depuis le début de cette guerre. Le risque d'accident s'est cristallisé sur la centrale de Zaporijia, qui est très vite tombée entre les mains des Russes. Le Président Macron a rappelé l'importance de la sécurité de cette centrale, qui est située sur la ligne de front. Le risque d'accident nucléaire reste majeur.

Cette guerre a surtout rappelé l'importance de la dissuasion nucléaire et de sa grammaire. Nous vivons une situation inconnue depuis la fin de l'URSS, avec une gesticulation nucléaire faite de menaces récurrentes. Le conflit implique directement la première puissance nucléaire mondiale, la Russie, et indirectement trois puissances occidentales, les États-Unis, la France et le Royaume-Uni, ainsi que l'OTAN à travers sa dissuasion partagée. Si la Suède et la Finlande ont tourné la page d'une très longue neutralité, c'est d'abord pour se placer sous la protection du parapluie nucléaire américain. On n'a jamais autant parlé de l'arme nucléaire, même durant la guerre froide. La menace nucléaire fait partie de la grammaire nucléaire.

La dissuasion nucléaire a fonctionné pour les Français et pour l'OTAN. La dissuasion nucléaire française est remarquable dans son concept et ses moyens. Néanmoins, elle a été maintenue au détriment de nos forces conventionnelles de haute intensité. C'est la première leçon militaire de ce conflit pour la France.

Récemment, les Ukrainiens ont frappé la base d'Engels, située en Russie, avec un drone Tupolev 141, détruisant l'un des bombardiers Tupolev 195 utilisés par les Russes contre eux. L'Ukraine peut-elle gagner la guerre si elle ne peut pas attaquer son adversaire en Russie ? La réponse est non.

Quand la politique et la diplomatie échouent, la parole est à la guerre. Cela pose la question des accords de Minsk.

Nous sommes dans une guerre proche de la seconde guerre mondiale, mais ce n'est pas une guerre totale. Nous ne sommes pas en présence de deux pays qui veulent se détruire, mais en présence d'un pays qui veut prendre le contrôle d'un autre. Il s'agit d'une guerre de haute intensité, mais pas d'une guerre de très haute intensité.

Il s'agit d'une guerre de procuration entre la Russie et certains pays de l'OTAN. La Pologne et les pays baltes donnent tout leur armement à l'Ukraine. De son côté, la France est dans une logique d'aider l'Ukraine à se défendre, pas à contre-attaquer. On peut évidemment comprendre que la Pologne et les pays baltes n'aient pas les mêmes inquiétudes que nous.

Cette guerre régionale a des conséquences mondiales. Les combats se déroulent en Ukraine, mais tout le monde en subit les conséquences.

Nos armées tiennent leur place dans l'OTAN, qui est incontournable.

Nous sommes surpris des limites de l'armée russe. Personne ne connaissait l'armée russe. De la même manière, personne ne connaît l'armée chinoise. Nous avons une liste impressionnante d'unités, mais c'est au combat qu'une armée se juge, pas sur une liste d'équipements.

L'Ukraine fait preuve d'une grande résilience. Qu'en serait-il de la résilience, ou de la résistance, de la France ? Comment la nation résisterait-elle à une guerre du même type ?

L'art de la guerre est admirablement utilisé par les Ukrainiens, qui sont très bien conseillés par les Occidentaux.

Les Russes ont très peu de munitions de précision. Il s'agit d'un handicap majeur. Une seule munition rodeuse peut détruire un char plus sûrement qu'une salve de 250 obus.

Nous sommes dans la première guerre des réseaux sociaux. Si vous n'êtes pas sur Twitter, vous ne savez pas ce qu'il se passe. Vous ne pouvez donc pas répondre.

C'est la première guerre des drones aériens et navals. Les engins pilotés par des hommes à distance ne sont que la première étape. La seconde étape sera celle des engins qui, avec l'intelligence artificielle, choisiront eux-mêmes leurs objectifs. Nous n'éviterons pas la guerre des robots.

Sans attaquer l'ennemi au sol, il est difficile de gagner la guerre. Les Ukrainiens ont lancé quelques frappes limitées en Crimée, jamais avec des équipements occidentaux. Pour gagner la guerre contre la Russie, l'Ukraine doit frapper le sol russe, ce qu'elle ne fera pas. Dès lors, elle ne peut pas gagner la guerre. Mais la Russie ne peut pas gagner cette guerre non plus, pour des raisons différentes.

L'OTAN est incontournable. La France doit y prendre toute sa place. L'OTAN est à la fois une organisation militaire qui sert à apprendre aux alliés à combattre ensemble et une organisation politique qui donne parfois le sentiment de vouloir imposer la loi occidentale. Autant l'OTAN est un outil militaire indispensable, autant il faut faire attention à l'instrumentalisation de l'OTAN. L'OTAN n'a rien à faire en Afghanistan, en Irak ou en Indopacifique.

La dissuasion nucléaire fonctionne pour les États qui la possèdent. L'Ukraine doit amèrement regretter le mémorandum de 1994, qui l'a conduite à rendre ses armes nucléaires contre la protection de la communauté internationale. Cela conforte certainement des pays comme la Corée du Nord et l'Iran dans l'idée que la dissuasion nucléaire les protège.

La France n'est pas prête à une guerre de haute intensité, hypothèse dont nous n'avons jamais tenu compte dans nos programmations militaires. Nous n'avons pas les capacités conventionnelles. Notre doctrine est axée autour de la dissuasion nucléaire. Les forces nucléaires sont centrales et extrêmement efficaces. Or, pour la guerre de haute intensité, il nous faut des forces conventionnelles qui évitent le contournement de la dissuasion nucléaire.

La France a un rôle à jouer en tant que puissance au Conseil de sécurité et acteur majeur d'une construction européenne ambitieuse. Il nous faut des forces armées ambitieuses. Notre industrie d'armement est un atout extraordinaire. Nous ne sommes pas obligés d'acheter du matériel aux États-Unis ou en Allemagne puisque nous fabriquons 95 % de notre matériel.

J'en ai terminé. Je suis prêt à répondre à vos questions.

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