Nous avons conduit, du 7 au 9 novembre, la mission que notre commission mène chaque année dans le cadre de l'Assemblée Générale des Nations unies. Je rappelle que presque tous les pays du monde sont membres des Nations unies. N'y manquent que le Kosovo, la Palestine, le Somaliland et Taïwan, pour les raisons que vous connaissez. Organisation universelle, l'ONU a les faiblesses de cette force : c'est un système lourd et lent, où la recherche du plus petit dénominateur commun entraîne souvent un nivellement par le bas. De plus, le contexte n'a guère été favorable à l'ONU avec la conjonction de plusieurs éléments :
- la pandémie de Covid ;
- la crise syrienne, commencée il y a 11 ans et sans perspectives de résolution, ni de traitement des nombreux crimes commis ;
- les atteintes nombreuses aux droits de l'homme, parfois par des États au coeur du système onusien, en particulier deux des cinq membres permanents du Conseil de sécurité : la Chine et la Russie ;
- et maintenant la guerre en Ukraine, guerre d'agression menée par la Russie, un membre permanent du Conseil de sécurité, contre un État souverain, en violation directe de la charte des Nations Unies.
Cette mission nous a permis de rencontrer de nombreuses délégations étrangères, au niveau de leurs représentants permanents ou de leurs représentants adjoints. Nous avons vu notamment nos partenaires traditionnels du P3, les Américains et les Britanniques, mais aussi la délégation allemande. Nous avons également pu échanger longuement, notamment sur les enjeux indopacifiques, avec les délégations du Japon et de la Corée du Sud. Enfin, nous avons rencontré le représentant permanent ukrainien. Nous avons également rencontré au meilleur niveau des responsables des Nations unies.
Il est évident que la guerre en Ukraine a complétement modifié le cadre dans lequel fonctionnent les Nations Unies, et ce pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, ce conflit a conduit à une forme d'isolement de la Russie. On le voit dans les résolutions sur la guerre en Ukraine, qui ont vu progresser le nombre de pays condamnant explicitement cette agression. Nous l'avons noté aussi dans l'attitude de blocage systématique et de confrontation avec le P3 de la Russie. Lorsque nous avons assisté à la communication du procureur général de la Cour Pénale Internationale (CPI) faite au Conseil de sécurité, communication qui portait sur la Libye, l'intervention de la délégation russe a consisté à prétendre que la CPI était financée par les occidentaux pour dissimuler leurs crimes en Libye. C'est une certaine conception de l'échange diplomatique. C'était un bel exemple de ce phénomène par lequel la guerre en Ukraine et la dégradation des relations avec la Russie impactent tous les dossiers des relations internationales.
Le second élément important de cette nouvelle donne est la position complexe de la Chine : celle-ci soutient la Russie, mais en même temps, cette aventure mal maîtrisée lui pose trois difficultés :
- d'une part, si la Russie devient plus dépendante de la Chine, ce rapprochement signe un fort affaiblissement du partenaire russe et entraine un regain d'unité et de mobilisation des pays occidentaux, ce qui va à l'encontre des objectifs de la Chine ;
- d'autre part, l'affaiblissement de la Russie est également un problème pour son partenaire traditionnel indien, et pourrait rapprocher l'Inde des pays occidentaux, ce qui rendrait plus complexes encore les relations sino-indiennes ;
- enfin, la position russe consistant à dire qu'il est possible d'annexer des portions d'un territoire dès lors qu'une majorité de ces territoires souhaiterait être indépendante de l'état souverain dont elle fait officiellement partie fragilise les revendications de Pékin sur Taïwan et d'autres iles de l'indopacifique. En soutenant la Russie, la Chine discrédite son discours de défenseur de l'application stricte du droit international et crédibilise ceux qui dénoncent la politique expansionniste de Pékin, calquée sur celle de Moscou, au Xinjiang, au Tibet ou à Hong Kong.
La question des relations entre la Chine et la Russie doit aussi nous amener à réfléchir de façon prospective à la possibilité d'une simultanéité des crises. À une crise avec la Russie, ou à la poursuite de la guerre en Ukraine, pourrait s'ajouter une crise majeure dans l'indopacifique, par exemple autour de Taïwan ou en Corée. Cette hypothèse pose la question de la capacité des États-Unis à faire face sur deux fronts, voire trois, s'il fallait imaginer qu'à une crise européenne s'ajouteraient des crises à la fois à Taïwan et en Corée. Bien sûr, cela nous renvoie à notre capacité à nous, Européens, à assurer par nous-mêmes notre défense en Europe et nos approvisionnements en Asie.