Je voudrais présenter deux points qui ont particulièrement retenu mon attention.
Tout d'abord, notre échange très marquant avec le représentant permanent ukrainien. Il faut noter que, de son point de vue, on ne pouvait nier l'apport de l'ONU dans la situation dramatique qui frappait son pays. Certes, le statut de membre permanent du Conseil de sécurité qu'a la Russie aboutit à la paralysie du Conseil, mais il ne faut pas oublier les pouvoirs de l'Assemblée Générale, que la Russie n'a pas la possibilité juridique de bloquer, et l'action personnelle du secrétaire général Antonio Guterres. Le représentant ukrainien a particulièrement salué l'engagement du secrétaire général pour aboutir à la conclusion de l'accord sur les exportations ukrainiennes et russes de céréales, enjeu pour la stabilité du monde, tant sont nombreux les pays qui dépendent essentiellement de ces deux fournisseurs.
Au-delà, vous serez peut-être étonnés de l'attention que notre interlocuteur portait au continent africain. Il nous a fait part d'une analyse assez décapante sur le fait que les Américains et les Européens ont abandonné le continent africain aux appétits des États autoritaires. Cette analyse ne manque pas de pertinence, et elle témoigne d'un manque de profondeur stratégique de la part des Européens. Avant-hier en séance, nous avons esquissé cette question à l'occasion d'amendements qui réduisaient de 200 millions d'euros le montant de l'aide publique au développement. Je pense que laisser le champ libre en Afrique à la Russie, à la Chine, à la Turquie, mais aussi à d'autres acteurs qui ont une vraie politique d'influence pour atteindre leurs objectifs politiques ou économiques, c'est rendre un mauvais service à notre pays, mais aussi aux pays africains. Nous voyons bien aujourd'hui que les pays africains qui ont fait le choix russe ou chinois paient un lourd prix, surtout leurs populations.
Vous savez comment, en Europe, on oppose parfois les pays dits « du sud », qui auraient un intérêt pour la stabilité de l'Afrique et du bassin méditerranéen, et les pays du nord et de l'est de l'Europe. Je peux vous assurer que l'Ukraine est bien consciente du lien qui existe entre les enjeux de sécurité africains et européens. Cela doit nous faire réfléchir. Du reste, sur le plan opérationnel, la France est capable de faire cette bascule puisqu'au moment où nous arrêtons Barkhane, nous renforçons notre posture de réassurance sur le flanc est.
Par ailleurs, notre interlocuteur ukrainien nous a aussi interrogés sur notre conception d'une paix entre la Russie et l'Ukraine. Pour les Ukrainiens, la question est de savoir si un accord de paix déboucherait sur une situation stable dans la durée ou s'il s'agirait simplement d'une cessation des hostilités sans changement de la donne politique. Dans ce cas, d'après lui, il faudrait s'attendre à une nouvelle attaque russe dans les 3 à 7 ans, le temps que la Russie tire les leçons de son échec, réorganise son armée et constitue les stocks de matériels et de munitions nécessaires à une nouvelle guerre. Il nous a aussi précisé qu'à l'heure actuelle, les différents sondages montraient que 83 à 87 % des Ukrainiens refusaient que l'Ukraine fasse des concessions territoriales à la Russie.
Un autre dossier sur lequel je souhaite revenir est celui des opérations de maintien de la paix (OMP). Nous avons notamment pu rencontrer le général Diop, conseiller militaire du sous-secrétaire général chargé des OMP. Des différents échanges que nous avons eus sur ce sujet au cours de notre mission, je retiens notamment la difficulté à dégager une unité des membres du Conseil de sécurité sur ce que doivent faire les Casques bleus là où ils sont déployés. Cela nous renvoie à la difficulté déjà évoquée à assurer un fonctionnement efficace des Nations unies lorsque les membres du Conseil de sécurité s'opposent entre eux. D'autre part, il ne faut pas méconnaître la difficulté de la situation des Casques bleus, qui ne peuvent s'affranchir du strict mandat qui leur est assigné et qui, par conséquent, déçoivent toujours, à terme, les attentes des populations, alors même qu'ils prennent des risques significatifs. En 70 missions, les Casques bleus ont déploré plus de 4 000 soldats tués. C'est un chiffre à avoir en tête lorsque l'on critique les troupes qui participent à ces OMP.
Une piste de progrès, tout de même : il me semble qu'on pourrait et devrait aller plus loin pour clarifier la position des pays où les missions des Casques bleus sont déployées. Il s'agirait d'éviter ainsi qu'après quelques mois les Casques bleus ne soient critiqués ou stigmatisés par les autorités locales. Naturellement, cela ne répond pas à une situation où il y a un changement de régime, ce que la France a vécu de son côté au Mali, où nous nous étions déployés en réponse à une demande malienne.
Enfin, le général Diop nous a confié qu'il était de plus en plus difficile de convaincre les pays de contribuer aux OMP. Il a estimé que de façon croissante, on voyait une distinction entre ceux qui votent les OMP, ceux qui les financent (les pays à plus fortes contributions) et ceux qui prennent les risques en étant déployés sur le terrain. De façon croissante, on attend des pays voisins qu'ils soient les premiers contributeurs à une OMP. Il reste le problème de certaines capacités critiques rares et coûteuses dont seuls les pays développés disposent, comme les vecteurs aériens. Il y a un vrai déficit des OMP sur certaines capacités, en particulier au niveau de la mobilité.