Monsieur Ravignon, nous sommes réunis aujourd'hui pour examiner votre candidature à la présidence du conseil d'administration de l'Ademe. Nous allons, tous ensemble, analyser ce matin les forces et faiblesses de votre candidature à la tête d'un opérateur désormais incontournable dans la conduite des politiques publiques suivies par notre commission.
J'aimerais tout d'abord faire un petit détour par l'histoire de l'Ademe, qu'il me semble pertinent de rappeler ici pour mieux apprécier l'importance de votre candidature.
À l'origine, en 1982, l'Agence française pour la maîtrise de l'énergie (AFME) est créée par François Mitterrand pour réfléchir aux questions d'économies d'énergie et au développement des énergies nouvelles. Elle est alors perçue comme un contre-pouvoir à EDF dans un contexte de montée en puissance du secteur électrique nucléaire en France.
Une première étape dans l'inexorable croissance de l'opérateur dont vous briguez la présidence est franchie dix ans plus tard, en 1992, avec la création de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), qui résulte de la fusion de plusieurs agences préexistantes : l'Agence française pour la maîtrise de l'énergie, l'Agence pour la qualité de l'air (AQA) et l'Agence nationale pour la récupération et l'élimination des déchets (Anred).
Cette fusion illustre la dynamique qui sera dès lors celle de l'Ademe : une extension de son champ de compétence, au-delà de son périmètre initial, cantonné à l'énergie. En 2022, l'agence poursuit ainsi des actions aussi diverses que la mise en oeuvre des objectifs nationaux en matière de chaleur renouvelable, d'économie circulaire, de mobilité durable, d'amélioration de la qualité de l'air, de reconversion des friches polluées, d'accompagnement des entreprises et des territoires, ou encore d'adaptation au changement climatique.
L'Ademe incarne aujourd'hui quelques programmes phares, que nous connaissons bien. Tout d'abord, le fonds Chaleur, pour le développement de la chaleur renouvelable, a été doté, pour 2023, de 520 millions d'euros. Il connaît une croissance continue, notamment grâce aux amendements portés par notre chambre et, en particulier, par nos deux collègues rapporteurs budgétaires, François Calvet et Pascal Martin. Ensuite, le fonds Économie circulaire a été abondé, pour 2023, de 210 millions d'euros et le fonds Décarbonation de l'industrie, créé à la faveur du plan de relance, a bénéficié de 1,7 milliard d'euros.
L'Agence est passée, institutionnellement, de la marge au coeur du réacteur - si vous me permettez cette image - pour devenir un acteur incontournable, mais autonome. À la lecture de son histoire et de son institutionnalisation progressive, on comprend également que les problématiques environnementales qu'elle porte, notamment les économies d'énergie et le développement des énergies renouvelables, ont fini par irriguer pleinement le débat public.
Cette croissance continue de l'Ademe s'est récemment traduite par une très forte augmentation des moyens budgétaires mis à sa disposition : alors que son budget fluctuait au cours de la précédente décennie entre 500 millions d'euros et 1 milliard d'euros, il atteindra en 2023 un niveau record de 4,2 milliards d'euros.
Je constate toutefois que les moyens humains n'ont pas suivi dans les mêmes proportions. Certes, les effectifs augmenteront en 2023, avec la création de 90 postes supplémentaires. Mais il faut prendre un peu de recul : en 2022, les moyens humains de l'Ademe étaient en réalité inférieurs à ce que cet opérateur a connu au cours d'une bonne partie de la décennie précédente. On sait par ailleurs que le fonctionnement de l'Ademe se caractérise par un recours significatif à de l'intérim ou des contrats à durée déterminée (CDD). Une telle situation est-elle durable, alors même que les politiques menées par l'Ademe demandent un suivi au long cours ? On peut évidemment en douter. Monsieur Ravignon, nous voudrions en savoir plus concernant le schéma d'emplois. Nous espérons que vous pourrez nous communiquer des éléments rassurants sur ce sujet.
En outre, la croissance passée et présente de l'Ademe nous invite naturellement à vous interroger sur la trajectoire d'évolution future de l'opérateur que vous vous apprêtez à diriger. En particulier, envisagez-vous de positionner l'Ademe sur de nouveaux périmètres d'intervention ? Comment comptez-vous articuler vos compétences avec celles d'autres opérateurs de l'État qui interviennent dans des champs proches du vôtre ? Je pense notamment au Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) concernant l'adaptation au changement climatique ? L'efficacité de l'action publique implique d'éviter les redondances, voire les logiques de concurrence entre opérateurs publics, qui doivent toutes aller dans la même direction.
Il me faut également aborder les questions relatives à la gouvernance de l'Ademe, profondément impactée par la récente adoption de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS), qui attribue au préfet de région la fonction de délégué territorial de l'Ademe. Ce dernier représentera localement l'établissement, édictera à l'attention du représentant territorial de l'établissement des directives d'action territoriale et participera à l'évaluation du responsable territorial de l'établissement. Si l'on peut comprendre la volonté d'un contrôle de l'État sur un établissement dont l'importance croît d'année en année, cette évolution ne doit pas se traduire par une mainmise de Paris sur l'action territoriale de l'Ademe. Nous le savons, c'était un motif d'inquiétude pour votre prédécesseur, M. Arnaud Leroy. Pouvez-vous nous donner des garanties quant à l'autonomie de l'établissement vis-à-vis de l'État ? C'est un point qui sera très important dans l'appréciation que nous porterons sur votre candidature.
Parallèlement, la loi 3DS opère un mouvement décentralisateur auquel nous ne pouvons que souscrire. En effet, le législateur a souhaité mieux associer les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre à la gouvernance de l'Ademe. Il a également prévu la délégation d'une partie des fonds Chaleur et Économie circulaire gérés par l'Ademe aux régions volontaires ayant conclu avec elle une convention de transition énergétique régionale. Souhaitez-vous renforcer plus encore les relations et collaborations entre l'Ademe et les collectivités territoriales, en particulier avec le duo régions/intercommunalités ?
J'aimerais enfin vous poser une question plus spécifique sur l'application de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (Agec), à laquelle nous avons largement contribué.
Nous avons souhaité renforcer les moyens de l'Ademe pour contrôler les éco-organismes. Pour ce faire, nous avons créé une redevance directement prélevée sur les filières pour financer des équivalents temps pleins (ETP) dédiés. Par ailleurs, nous avons élaboré un régime de sanctions pour pénaliser les éco-organismes en cas de non-respect de leurs obligations et de non-atteinte des objectifs qui leur sont assignés. Pour faire avancer notre politique d'économie circulaire, il nous faut maintenant assurer la crédibilité de cet édifice de contrôle et de sanctions.
Nous attendons donc que vous fassiez preuve d'autonomie et, le cas échéant, de fermeté à l'égard des filières à responsabilité élargie du producteur (REP). Sinon la loi Agec sera un échec. Votre responsabilité est très grande. Nous espérons que vous pourrez nous rassurer quant à votre volonté d'agir résolument en la matière.