Intervention de Jean-François Husson

Réunion du 15 décembre 2022 à 11h00
Loi de finances pour 2023 — Rejet en nouvelle lecture d'un projet de loi

Photo de Jean-François HussonJean-François Husson :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons, en nouvelle lecture, le projet de loi de finances pour 2023, après l’usage, une nouvelle fois, de la procédure de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution à l’Assemblée nationale.

En effet, la commission mixte paritaire, qui s’est réunie le 6 décembre dernier, n’a pu aboutir favorablement, en raison de la persistance de divergences trop importantes portant sur les 237 articles restant en discussion. Notons qu’en première lecture l’Assemblée nationale et le Sénat avaient déjà adopté, dans les mêmes termes, 88 articles.

À l’issue de la nouvelle lecture, le texte considéré comme adopté par l’Assemblée nationale – qui est finalement le vôtre, monsieur le ministre – a parfois suivi le Sénat, même partiellement. J’en présenterai quelques exemples, avant de vous indiquer, toutefois, les nombreux désaccords qui demeurent entre nos deux chambres.

Parmi les principaux apports du Sénat conservés par l’Assemblée nationale figure évidemment, tout d’abord, la suppression de l’article 40 quater du projet de loi de finances, tel que considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture. Celui-ci consistait, en réalité, à réintroduire le dispositif de contractualisation et de sanction, souhaité par le Gouvernement, à destination des collectivités territoriales, alors même que celui-ci avait été rejeté par les deux assemblées lors de l’examen du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.

Je me félicite, ensuite, qu’aient par exemple été conservées non seulement l’exonération de malus pour les véhicules des services départementaux d’incendie et de secours (Sdis), mais aussi les mesures de financement défendues par le président de la commission des finances, Claude Raynal, en faveur des nouvelles lignes à grande vitesse (LGV).

Plusieurs mesures de prorogation ou d’amélioration de dépenses fiscales assurent un soutien, notamment économique ou dans la lutte contre l’habitat indigne, aux collectivités d’outre-mer, qui font face à des contraintes et à des difficultés spécifiques. Il en est de même pour la Corse.

Je me réjouis aussi du maintien, non pas de tous, mais de plusieurs dispositifs visant à lutter contre la fraude fiscale, qui constituent la traduction législative de recommandations issues des travaux de la mission d’information relative à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, créée par la commission des finances.

Je salue également le fait que le texte reprenne la position du Sénat en conservant, sous réserve de divers aménagements, l’essentiel des modifications apportées à la nouvelle contribution sur la rente inframarginale, applicable aux producteurs d’électricité.

Pour autant, sur les mesures fiscales et budgétaires relatives à l’énergie, je rappelle que le Sénat a fait preuve d’un sens aigu des responsabilités en votant les dispositions proposées par le Gouvernement visant à lutter contre la hausse des prix de l’énergie et à faire contribuer à leur financement les producteurs d’énergie, conformément aux décisions prises à l’échelon européen.

En effet, je le rappelle, monsieur le ministre, nous avons accepté de voter des dispositifs qui n’ont cessé d’évoluer de façon majeure au cours de la navette parlementaire, sans que nous ayons pu disposer d’études d’impact suffisamment solides ni même de tous les éléments nous permettant de comprendre parfaitement l’ensemble des enjeux des modifications opérées.

Sachez-le, monsieur le ministre, nous serons particulièrement attentifs à la mise en œuvre de l’ensemble de ces dispositifs et au fait qu’ils répondent véritablement aux besoins. Je pense en particulier au bouclier tarifaire et à l’amortisseur électricité.

Pour autant, malgré le maintien de ces apports du Sénat, des désaccords importants subsistent entre les positions de notre assemblée et celles qui figurent dans le texte considéré comme adopté par l’Assemblée nationale, sur lequel le Gouvernement engage sa responsabilité.

Nous avons, tout d’abord, eu l’occasion d’exprimer nos réserves quant aux prévisions de croissance retenues par le Gouvernement pour l’année 2023. L’hypothèse de 1 % de croissance est, à ce jour, bien éloignée du consensus des économistes et, surtout, ne tient pas compte des récents événements conjoncturels. Le Président de la République lui-même partage l’avis du Sénat et en a fait état publiquement. Il faudrait donc, monsieur le ministre, que votre position soit en harmonie avec les propos du Président.

Quand la dette publique atteint 111, 5 % du PIB, la remontée des taux d’intérêt constitue un risque pour la soutenabilité de notre dette. S’il est vrai que l’inflation est mieux maîtrisée en France que dans d’autres économies développées, c’est au prix d’une forte mobilisation de nos finances publiques.

Si le soutien aux ménages et aux entreprises est maintenu, un effort pour maîtriser la dépense ordinaire des administrations publiques doit parallèlement être engagé.

Concernant le budget de l’État, le Gouvernement fait en réalité le choix d’identifier les dépenses qui doivent continuer à augmenter, sans s’occuper des économies qui devraient les compenser. Ce n’est pas faire preuve de responsabilité.

Le déficit de l’État, supérieur à 150 milliards d’euros pour la quatrième année consécutive, reste sur les sommets atteints pendant la crise sanitaire. Ce budget est celui de tous les records en termes de niveau, aussi bien de déficit présenté en loi de finances initiale que d’emprunts nouveaux.

Un grand nombre des amendements adoptés par le Sénat n’ont pas été conservés.

Le rétablissement de l’article 5 par le texte issu de la nouvelle lecture, qui supprime la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), est opéré sans que soient proposées de meilleures garanties quant aux modalités de compensation prévues pour les collectivités territoriales. Pourtant, la volonté d’assurer une véritable autonomie financière de ces collectivités ainsi que leur capacité à assumer les charges qui leur sont imposées expliquait le choix d’une majorité du Sénat de supprimer cet article – c’est ce qu’il fallait comprendre –, donc de contester la suppression de la CVAE. Toutefois, cela ne remet en rien en cause notre soutien aux entreprises, qui doivent rester concurrentielles.

Des mesures en faveur des PME n’ont pas été retenues. Il s’agit du rehaussement du plafond des bénéfices soumis au taux d’impôt sur les sociétés tenant compte de l’inflation ou encore de la prorogation, pour une année supplémentaire, du renforcement du crédit d’impôt pour les travaux de rénovation énergétique des bâtiments à usage tertiaire.

Je reviens aux finances locales.

Nous pourrions nous réjouir du fait que, sous la pression du Sénat et du dispositif que nous avions adopté, le Gouvernement ait été contraint d’ouvrir davantage les conditions d’éligibilité au filet de sécurité prévu pour les collectivités territoriales à l’article 14 ter. Pourtant – et je le regrette –, la conservation du critère de perte d’épargne brute, même réduit à 15 %, est une mauvaise nouvelle pour deux raisons : d’une part, il est fortement excluant et générateur d’importants effets de seuil ; d’autre part, il ne me paraît pas utile pour s’assurer que les collectivités doivent être aidées, dans la mesure où les modalités mêmes de calcul de la dotation mettent déjà en relation la différence entre la progression des dépenses et celle des recettes.

Notre proposition, qui visait à rendre éligibles un plus grand nombre de collectivités territoriales durement touchées par la crise, donc à étendre la protection qui leur serait apportée, était à mon sens à la fois juste, équitable et raisonnable. En effet, elle devait permettre aux collectivités, par des effets cumulés avec ceux du bouclier tarifaire et de l’amortisseur électricité, d’envisager plus sereinement l’arrivée des prochains mois et la construction de leurs budgets primitifs.

Il est d’ailleurs regrettable que d’autres mesures de soutien aux collectivités n’aient pas été conservées, à l’instar de l’intégration des opérations d’aménagement et d’agencement dans le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), devenues inéligibles à la suite de la réforme portant sur l’automatisation de ce dernier.

Je ne comprends pas non plus pourquoi la majorité gouvernementale ne nous a pas rejoints autour d’amendements pourtant votés à la quasi-unanimité. Ainsi en est-il du relèvement du plafond du prêt à taux zéro (PTZ), qui doit permettre de soutenir l’accession à la propriété des primo-accédants, sous conditions de ressources, dans un contexte de durcissement des conditions d’emprunt immobilier.

Le texte considéré comme adopté par l’Assemblée nationale a également rétabli les crédits des quatre missions qui avaient été rejetés par le Sénat, sans apporter aucune réponse aux objections du Sénat.

Pour finir, j’aborderai un sujet apparemment plus technique. Aucun des amendements adoptés par notre assemblée afin de « sincériser » le budget n’a été conservé. Nous avons pourtant déjà la confirmation que le Gouvernement s’est bien ménagé une confortable réserve de crédits au sein de la dotation pour dépenses accidentelles et imprévisibles (DDAI).

En effet, celle-ci est subitement réduite de 700 millions d’euros en nouvelle lecture, tandis que cette même somme figure désormais dans la mission « Écologie, développement et mobilité durables » pour couvrir le financement de la nouvelle aide aux carburants de 100 euros, annoncée récemment. Ces crédits, tels qu’ils étaient inscrits dans le texte initial, avaient donc une tout autre destination. Cela n’est évidemment pas satisfaisant pour le législateur.

Monsieur le ministre, vous le constatez, les sujets de désaccords entre le Sénat et la majorité gouvernementale sont nombreux. C’est pourquoi la commission des finances proposera d’opposer la question préalable sur le projet de loi de finances pour 2023.

Monsieur le ministre, je conclurai en évoquant l’état d’esprit qui anime le Gouvernement à l’endroit des collectivités territoriales. J’entends de nombreux reproches adressés aux collectivités locales, qui se nourriraient sur le dos de l’État. Cependant, la France des collectivités n’est pas l’ennemi de la République : elle la sert chaque jour !

Alors, faites-lui confiance et donnez à la France, ainsi qu’aux territoires, les meilleures chances d’agir pour l’avenir !

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