Intervention de François Toujas

Commission des affaires sociales — Réunion du 14 décembre 2022 à 9h30
Audition de M. François Toujas président de l'établissement français du sang

François Toujas, président de l'Établissement français du sang :

Depuis ma dernière audition au Sénat, le 28 juillet 2020, liée au renouvellement de mes fonctions au sein du conseil d'administration de l'EFS, le modèle économique de ce dernier s'est fortement dégradé.

Depuis sa création il y a vingt-trois ans, l'EFS a engagé des réformes structurelles et a su se transformer, se moderniser. Il traverse aujourd'hui une crise économique et sociale sans précédent. La poursuite des réformes de l'établissement est essentielle pour pérenniser le modèle éthique, mais elle ne pourra avoir lieu sans investissements humains et financiers supplémentaires.

L'EFS est confronté à sept enjeux majeurs.

Premier enjeu : retrouver des capacités opérationnelles satisfaisantes et adaptées au nouveau contexte, pour déployer une offre agile et garantir la continuité du service de collecte et de délivrance de produits sanguins dans les hôpitaux. L'élément clé sera l'amélioration de l'attractivité des emplois offerts par l'établissement et de la qualité de vie au travail, ainsi que la redéfinition des parcours professionnels. Ce matin, nos stocks étaient de 81 300 poches de sang, un niveau dangereux ; il faudrait disposer, pour assurer la qualité du service sur l'ensemble du territoire, de 90 000 à 100 000 poches. Comme d'autres structures de la santé, l'EFS subit toujours les effets de la crise du covid, en termes de mobilisation des donneurs et d'absentéisme des personnels.

Deuxième enjeu : participer au renforcement de la filière française du fractionnement via une augmentation sensible des volumes de plasma collectés. La revalorisation à hauteur de 10 % des tarifs de cession au Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB) du plasma collecté, au 1er janvier 2023, est une bonne nouvelle et doit se poursuivre pour approcher le niveau des coûts mondiaux. Le prix du litre de plasma cédé au LFB est en France de 120 euros, contre une moyenne européenne de 170 euros, et un prix moyen de 200 dollars aux États-Unis.

Troisième enjeu : répondre toujours mieux aux besoins des patients dotés d'un phénotype dit « d'intérêt », c'est-à-dire d'un groupe sanguin rare. En effet, la répartition des groupes sanguins varie en fonction de l'origine des populations, et nombre de nos compatriotes d'ancestralité africaine présentent des caractéristiques sanguines spécifiques - ils sont ainsi plus nombreux à souffrir de maladies du sang, comme la drépanocytose, qui ne sont soignées que par transfusions. Il est donc important que la population des donneurs ressemble à celle des malades. L'autosuffisance quantitative - disposer de suffisamment de produits sanguins - doit se doubler d'une autosuffisance qualitative, laquelle est un enjeu social, éthique et de santé publique prioritaire.

Quatrième enjeu : participer au développement des thérapies d'avenir, notamment par la mise au point de biothérapies, avec une offre de bioproduction dans les secteurs de l'immunologie et de la médecine régénératrice permettant de préparer les médicaments de demain, et d'assureur notre souveraineté sanitaire.

Cinquième enjeu : poursuivre la transformation de l'EFS, établissement public qui dépend de financements publics, dans le sens d'une plus grande efficience, en particulier numérique.

Sixième enjeu : renforcer la démocratie sanitaire. Dans les instances de gouvernance de l'EFS siègent d'ores et déjà des représentants des donneurs et des patients. Nous devons réfléchir à les associer davantage, comme ce fut le cas lors de la crise sanitaire.

Septième enjeu : promouvoir le modèle éthique français - né d'une crise de santé publique majeure, celle du sang contaminé - en encourageant l'engagement citoyen. J'ai ainsi été frappé, au lendemain des attentats en France, par le nombre de jeunes donneurs.

Je tiendrai un langage de vérité : la situation de l'établissement est difficile, ce qui réinterroge la totalité de nos activités. Comment garantir la continuité de l'activité, qui est un élément essentiel de la sécurité sanitaire ? Chaque jour, en effet, 10 000 produits sanguins doivent être collectés et distribués aux malades. Notre filière de plasma pour fractionnement et nos activités de bioproduction, actuellement déficitaires, risquent-elles de pâtir d'un manque de financements ?

Si l'EFS devait connaître une situation déséquilibrée, toute une partie de notre souveraineté sanitaire serait remise en cause. Nous recherchons donc, avec nos tutelles, des solutions permettant de garantir la sécurité sanitaire et, ce faisant, la sécurité publique.

Nous venons de sortir d'un conflit social important. Celui-ci avait débuté lors de la période de pandémie, durant laquelle l'ensemble des collaboratrices et des collaborateurs de l'établissement ont fait preuve d'un engagement continu, en portant haut et fièrement les valeurs du service public.

La présence quotidienne de l'EFS sur les territoires est le résultat d'une relation forte avec les associations de donneurs, la Fédération française pour le don de sang bénévole (FFDSB) et les bénévoles qui nous aident, sans lesquels rien ne serait possible. Par ailleurs, les exigences légitimes des associations de patients sont fondamentales pour nous projeter dans l'avenir. Nous avons pu mesurer durant la crise sanitaire à quel point notre relation avec les collectivités locales, notamment les communes, était forte. Les mairies nous aident, par exemple, en mettant à notre disposition des salles. L'EFS est un service public qui exerce ses activités dans les territoires.

Cet établissement, indispensable pour notre système de santé, n'est pas le seul du secteur à connaître des difficultés depuis la crise épidémique. Pour autant, durant celle-ci, on n'a jamais manqué de produits sanguins : malgré les difficultés, nous avons assuré la mission que nous ont assignée les pouvoirs publics.

Le modèle économique de l'EFS est confronté à plusieurs facteurs qui mettent en péril son équilibre, voire sa continuité. Le premier d'entre eux est l'absence de revalorisation tarifaire sur le niveau de cession des produits sanguins entre 2015 et 2021. Les recettes de l'établissement ont diminué, précisément parce qu'il est financé par la vente de ces produits aux hôpitaux, lesquels en ont d'ailleurs moins consommé au cours des dernières semaines. Cette baisse a un impact défavorable sur le chiffre d'affaires de l'établissement, alors que c'est grâce à la cession de produits sanguins qu'il finance des activités déficitaires, comme la bioproduction et la recherche.

L'activité de cession de plasma pour fractionnement est structurellement déficitaire. Il convient donc d'améliorer les capacités de collecte du LFB, à l'heure où va s'ouvrir son usine d'Arras, et d'augmenter les tarifs de cession du plasma.

L'EFS rencontre trois problèmes particuliers.

Tout d'abord, il doit faire face à des difficultés de recrutement et au manque d'attractivité de ses métiers. Ses personnels n'ont pas pu bénéficier de la totalité des revalorisations prévues dans le Ségur de la santé, ce qui a provoqué le récent conflit social. Le ministre de la santé a cependant décidé d'une augmentation de 3,5 % des salaires, en conformité avec les hausses de rémunération dans les fonctions publiques et au sein de la sécurité sociale. Nous avons cependant besoin de financements pour réorganiser nos classifications - ce que l'on a appelé, pour l'hôpital, le Ségur II -, car il est difficile non seulement de recruter mais aussi de fidéliser les personnels. D'autant qu'une grande partie des réformes que nous avons faites, notamment pour la collecte, étaient liées à la revalorisation du rôle des infirmières et des infirmiers lors de la téléassistance médicale ou de l'entretien préalable au don.

Ensuite, l'ESF souffre d'une baisse de sa productivité. En effet, si une infirmière manque dans une équipe parce qu'elle est malade, c'est l'ensemble de la collecte qui n'a pas lieu. Du 1er janvier à la fin novembre 2022, plus de 1 600 collectes ont été supprimées, ce qui représente 160 000 produits sanguins non collectés.

Enfin, l'inflation actuelle aura des conséquences négatives sur nos comptes. Trois chiffres sont à retenir : les revalorisations salariales nous coûteront 30 millions d'euros, la baisse d'activité 30 millions, et le choc inflationniste encore 30 millions, ce qui fait un total de 90 millions d'euros. Nous travaillons donc avec l'ensemble de nos tutelles pour présenter un budget permettant de poursuivre notre activité. Je suis optimiste. Il y aura sans doute des économies à trouver, mais on ne pourra pas répondre à tous ces enjeux budgétaires sans ressources supplémentaires.

L'EFS est un bel établissement, qui représente l'excellence de l'éthique française, alliant efficacité et refus de la marchandisation du corps humain. Nous devons améliorer notre activité. Les questions de revalorisation, de classification et de conciliation entre vie privée et vie professionnelle doivent trouver des réponses.

La véritable vie de l'EFS se déroule dans les territoires, là où ont lieu les collectes et les diverses mobilisations. Nous avons besoin d'être aidés pour nous projeter dans l'avenir.

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