Plusieurs questions nous étaient posées sur le positionnement de SPF par rapport à l'administration centrale, aux autres agences sanitaires et aux agences régionales de santé (ARS), sur l'adéquation des moyens, le mode de financement et l'effectivité des gains d'efficience attendus de la création de SPF en 2016. Nous avons mené des comparaisons internationales, comme vous nous y invitiez, sur certains sujets comme les stocks stratégiques, la prévention ou la promotion de la santé ; cependant, ces comparaisons ont été limitées, compte tenu des différences de périmètres entre agences, et parce que nous n'avons pas accédé à la comptabilité analytique des agences étrangères. Une différence importante, historique, tient à ce que les agences anglo-saxonnes, par exemple, intègrent des moyens importants de recherche, ce qui n'est pas le cas de SPF.
L'examen des rapports déjà publiés - de la Cour des comptes, du Parlement - montre que SPF joue un rôle essentiel dans la surveillance et la veille sanitaire. L'agence réceptionne les signaux issus des dispositifs d'alerte et de surveillance, elle les traite pour déclarer, s'il y a lieu, une alerte sanitaire. L'agence est donc à la fois acteur et organisateur de ces dispositifs de surveillance et de veille sanitaire ; nous avons constaté qu'ils étaient parfois obsolètes et qu'on recherchait désormais davantage à identifier des signaux précoces et des signaux faibles. La Cour constate la diversité des outils de veille et de surveillance, ils couvrent les risques potentiels pour la santé ; cependant, leur efficacité est limitée par l'ancienneté du système d'information, le Haut Conseil de la santé public l'a déjà souligné. Le contrat d'objectifs et de performance (COP) 2018-2022 demandait d'analyser la pertinence de ces dispositifs, la Cour constate que ce travail n'a pas été fait. Il y a un besoin d'évaluation pour mieux traiter les signaux, cela fait l'objet d'une recommandation dans notre rapport, il faut quantifier les besoins matériels de SPF pour améliorer ces outils qui servent à déclencher l'alerte sanitaire.
S'agissant des stocks stratégiques, nous constatons l'effet de la crise sanitaire, qui a vu ces stocks décupler - nous sommes passés de 200 millions à 2 milliards d'éléments, principalement des équipements de protection individuelle. Nous avons examiné la question de leur dépréciation, qui revêt une ampleur nouvelle compte tenu des montants en jeu - il faut assumer le coût du renouvellement de ces stocks. La Cour estime que le cadre d'emploi de ces stocks appelle des précisions, qu'il faudrait lier à la cinétique des événements : il faut mieux graduer et évaluer les réponses en fonction du degré de la crise sanitaire. La question s'est posée de savoir s'il fallait maintenir, au sein de SPF, la mission relative aux stocks stratégiques. La Cour ne propose pas de remettre en cause l'organisation retenue en 2016, considérant que l'agence n'est pas responsable du niveau des stocks puisqu'elle agit comme opérateur de l'État - et c'est bien l'État qui est responsable en la matière. Cependant, nous proposons que l'agence puisse s'autosaisir de la gestion des stocks stratégiques, pour émettre des recommandations en tant que de besoin.
Sur la prévention et la promotion de la santé, la Cour constate que le budget est passé de 59 millions d'euros à 84 millions d'euros entre 2017 et 2021 hors dotations exceptionnelle, une augmentation qui est liée en particulier à la campagne d'information sur les 1 000 premiers jours. Les effectifs que l'agence peut y affecter sont cependant bien moindre que ceux de ses homologues anglo-saxonnes : 62 ETP, contre près de 1 000 pour l'agence britannique, c'est aussi ce qui rend la comparaison délicate. La Cour se félicite qu'un continuum de santé publique se consolide, avec des campagnes sur la nutrition, le tabac ou l'alcoolisme, mais constate aussi que d'autres champs ne sont pas couverts, comme la santé mentale. L'établissement de programmes de formation à l'éducation pour la santé évolue sous l'effet de la crise sanitaire. Cependant, nous pointons des retards dans l'anticipation et dans ce qu'on appelle la promotion des actions prometteuses et probantes, alors que c'était une demande explicitement formulée en 2016. Dès la création de SPF, en effet, il était demandé de mettre en oeuvre des programmes objectivés par des données épidémiologiques probantes et des indicateurs pertinents, ainsi qu'un référentiel d'actions prometteuses et probantes ; en réalité, très peu d'actions ont été conduites sur ce volet, la Cour recommande d'y travailler davantage et d'enrichir ce référentiel. Nous avons constaté également que les services d'aide à distance en santé sont insuffisamment évalués, en particulier leur intégration dans le parcours de santé.
La Cour consacre une partie de son rapport à la réserve sanitaire, fortement mobilisée pendant la crise sanitaire, principalement en faveur des outre-mer ; la crise sanitaire a fait changer d'échelle la réserve sanitaire, évolution facilitée par une évolution de la réglementation, puisque la période maximale d'emploi de la réserve est passée de 150 à 300 jours par an. Cependant, cet outil s'est trouvé dépassé par l'ampleur de la pandémie, sa gestion administrative s'est avérée défaillante et son système d'information a montré qu'il était vieillissant. C'est pourquoi la Cour recommande d'actualiser le cadre d'emploi de la réserve sanitaire, en lui donnant une dimension interministérielle. Il y a aussi des enjeux financiers, avec le basculement vers un financement lié à l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam), sans passer par des ajustements en collectif budgétaire. La Cour considère qu'il faut une information suffisante du Parlement et qu'il y a eu une perte en ligne avec la nouvelle présentation : il y a une différence entre le « jaune » budgétaire opérateurs et l'annexe 8 du projet de loi de financement ; la Cour recommande donc que les informations de ce « jaune » figurent bien dans cette annexe, en particulier le nombre d'emplois, le niveau de trésorerie, ou la surface du parc immobilier.
Les concours publics à la réserve sanitaire sont passés de 159 millions d'euros en 2017 à 248 millions d'euros en 2021. Les gains d'efficience liés à la fusion des quatre organismes sont difficiles à objectiver dans la durée, nous n'avons pas d'éléments probants en la matière. Les enveloppes exceptionnelles ont représenté 12,8 milliards d'euros, avec un reste à payer de 2,4 milliards d'euros en mai 2022, l'essentiel ayant été utilisé à l'acquisition d'équipements de protection individuelle puis de vaccins. Dans cette mobilisation exceptionnelle, la Cour critique le recours à plusieurs fonds de concours financiers pour abonder des dépenses de l'État, à hauteur de 1,8 milliard d'euros sur deux ans ; nous recommandons de nouveau l'extinction de ces fonds de concours et de financer ces achats par des crédits budgétaires.
L'agence SPF a montré une capacité d'adaptation et une certaine souplesse d'organisation au cours de la crise sanitaire. Nous constatons cependant qu'elle a eu besoin d'un prestataire extérieur pour élaborer son plan de continuation d'activité (PCA), qui est un document stratégique qu'elle aurait dû élaborer de longue date. Nous soulignons également le recours à d'autres prestataires externes pour la gestion des stocks et plus généralement la logistique liée aux équipements de protection individuelle et aux vaccins. L'agence maitrise ses ressources d'emploi, malgré quelques dépassements du plafond d'emplois. La gestion des ressources humaines est donc perfectible, il reste à améliorer la gestion des emplois et à élaborer des parcours professionnels pour les salariés.
Les systèmes d'information ont connu des progrès limités depuis la création de SPF, alors que leur importance est centrale pour la veille sanitaire. Les enjeux de modernisation et d'interopérabilité sont signalés depuis 2016, mais la Cour constate une faible priorisation des chantiers et des retards d'exécution, qui conduisent à une obsolescence de nombreuses parties du système d'information. Nous recommandons d'adopter rapidement un schéma directeur des systèmes d'information et d'assurer la déclinaison opérationnelle en priorisant plus finement les projets associés, en définissant la cible à atteindre et en élaborant les modalités de suivi - et nous pointons le risque d'indisponibilité des systèmes d'information si rien n'est fait.
La stratégie de SPF reste à clarifier, en particulier les attentes en matière de santé publique. La Cour constate que son COP a été adopté tardivement, deux ans après la création l'agence - malgré une phase de préfiguration -, et qu'il contribue en réalité très peu au pilotage de l'agence, avec des indicateurs peu précis. Les 22 objectifs énoncés par le contrat ne sont pas rattachables au programme 204 et cette faiblesse reflète en réalité l'absence d'objectifs nationaux pluriannuels de plan national priorité prévention - ce constat reflète donc celui que l'on fait aussi pour le ministère de la santé. La Cour souligne que le foisonnement des programmes de SPF n'est guère propice à l'efficience du pilotage et que ces programmes ne sont pas priorisés par rapport aux enjeux ; une réorientation est en cours depuis 2020, il faut assurément intégrer des indicateurs d'efficience chiffrés dans le prochain COP.
Sur la gouvernance de SPF, la Cour constate la faible impulsion du conseil d'administration sur le pilotage stratégique de l'agence : il n'a pas participé à l'élaboration ni débattu de la stratégie, et il se focalise sur des questions budgétaires et administratives. Le conseil scientifique de SPF joue un rôle effectif mais incomplet, tandis que le comité d'orientation et de dialogue reste très discret, c'est en quelque sorte un rendez-vous manqué avec l'agence.
Enfin, les relations avec la tutelle et les ARS sont à conforter. Le ministère ne hiérarchise pas suffisamment les missions de SPF, ses demandes ont plus de quadruplé entre 2019 et 2022, passant de 20 à 88, ceci sans priorisation - le ministère demande à l'agence de prioriser son action, mais sans prioriser lui-même ses nombreuses demandes. C'est pourquoi la Cour recommande d'assortir les programmes annuels de travail d'une estimation chiffrée des moyens humains et budgétaires et de propositions de priorisation liée au degré de sévérité ou de létalité des maladies.
Nous considérons également que l'expertise de SPF est trop peu utilisée par les pouvoirs publics. Le rôle du comité d'animation du système d'agences est des plus limités, il peine à trouver sa place, entre les relations bilatérales qui se sont renforcées entre agences, et les travaux confiés au Haut conseil de la santé publique.
Enfin, la Cour considère qu'il n'y aurait pas de plus-value évidente à rattacher les cellules régionales de SPF aux ARS - les directeurs généraux d'ARS que nous avons rencontrés sont partagés sur cette question et nous considérons, nous, que le statu quo est préférable à l'expérimentation d'un rattachement.