La proposition de loi qui sera examinée le 8 décembre prochain dans le cadre de l'espace réservé du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain vise à lutter contre la désertification médicale de certains de nos territoires au cours des dix prochaines années. Le constat est connu et documenté, je n'y reviendrai donc que brièvement.
Notre pays connaît de graves difficultés de démographie médicale qui sont appelées à perdurer et à s'intensifier pour encore une décennie. Celles-ci sont particulièrement prononcées s'agissant des soins de premier recours. Après une stagnation dans les années 2000, la France a perdu 5 000 médecins généralistes entre 2010 et 2021 quand elle gagnait presque 2,5 millions d'habitants. Ce constat dramatique ne suffit pas à décrire l'ampleur de la difficulté ; il faut ajouter que, dans le même temps, l'âge moyen de la population française augmentait de deux ans et la prévalence des maladies chroniques grandissait de plus de deux points. Les conséquences de ces difficultés sont encore aggravées par l'inégale répartition des professionnels de santé ; dans de nombreux territoires, la densité médicale est deux fois inférieure à la moyenne nationale.
La suppression du numerus clausus produit ses effets. En 2021 et 2022, plus de 15 % d'étudiants supplémentaires dans les filières médicales ont été recrutés en comparaison à 2020 ; mais cette augmentation ne permettra pas d'améliorer la densité médicale avant 2030. Nul besoin d'épiloguer sur les raisons d'un tel défaut d'anticipation par les pouvoirs publics et par les médecins eux-mêmes. Désormais, il convient de trouver des solutions pour que les 72 % de la population vivant en zone sous-dense aient accès à des soins satisfaisants et, à moyen terme, de faire en sorte que cette situation ne se reproduise plus. Dans l'attente de jours meilleurs, cette proposition de loi vient apporter cinq pierres à cet indispensable édifice collectif.
L'article 1er reprend l'idée d'une année supplémentaire pour les étudiants de médecine générale, mesure adoptée récemment par le Sénat, et l'assortit de conditions spécifiques visant à garantir son efficacité. Pour assurer l'effectivité du dispositif, cette année d'exercice en autonomie progressive sera réalisée, non pas « en priorité », mais obligatoirement en zone sous-dense. Nous assumons de demander aux étudiants en fin de cursus cette contribution à l'effort collectif pour améliorer l'accès aux soins dans nos territoires, et nous pensons que ce discours de franchise est indispensable.
En contrepartie, nous souhaitons que cette année de professionnalisation enrichisse véritablement le parcours des étudiants, favorise l'installation dans nos territoires et valorise justement l'effort demandé. Pour ce faire, les étudiants pourront choisir leur affectation sur des listes départementales établies en coordination avec les élus. Il assortit cette quatrième année de conditions de rémunération et d'exercice spécifiques, définies par décret après négociation avec les organisations syndicales des étudiants de troisième cycle. Nous souhaitons que celles-ci se distinguent nettement des statuts d'interne ou de docteur junior et donnent accès à une rémunération attractive.
Pour favoriser la coordination entre les professionnels de santé de premier recours et l'élaboration de projets de santé répondant aux besoins d'un territoire, l'article 2 rend par ailleurs obligatoire pour l'exercice de la médecine générale, à compter du 1er janvier 2026, la constitution d'équipes de soins primaires (ESP) avec d'autres professionnels. Les médecins se sont peu emparés de ce dispositif depuis sa création en 2016 ; on dénombre seulement 220 ESP, réunissant un nombre variable de professionnels médicaux et paramédicaux. Pourtant, l'exercice coordonné constitue un outil indispensable pour structurer le parcours de soin et améliorer l'offre ; il contribue à l'attractivité de l'exercice ambulatoire dans les territoires, particulièrement vis-à-vis des jeunes médecins qui ne souhaitent plus exercer de manière isolée.
Le texte conforte les ESP dans leur vocation de dispositif souple, complémentaire des maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), centres de santé ou communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), en prévoyant que celles-ci pourront consister en une simple convention conclue entre professionnels. Il favorise ainsi une coordination adaptable à l'ensemble des dynamiques territoriales.
L'article 3 rétablit une obligation, pour les médecins, de participer à la permanence des soins ambulatoires (PDSA) lorsque la continuité de ce service public l'exige. Fondée sur le principe du volontariat individuel depuis le début des années 2000 et la suppression de l'obligation de garde par le Gouvernement, la PDSA est aujourd'hui affaiblie dans certains de nos territoires par la démographie médicale déclinante et le désengagement de certains médecins. D'après le ministère, 38 % des médecins en moyenne participaient, en 2021, à la PDSA. Le Conseil national de l'ordre des médecins (Cnom) souligne que certains territoires ne sont plus couverts en soirée.
Le texte ne rétablit pas une obligation individuelle de garde en nuit profonde et indépendamment des besoins évalués. Il vise, au contraire, à renforcer la responsabilité collective des médecins à assurer la continuité de la PDSA chaque fois que, sur un territoire, elle apparaît indispensable à la prise en charge des soins non programmés pendant les horaires de fermeture des cabinets. Il reviendra aux agences régionales de santé (ARS), en lien avec l'ordre des médecins et les représentants des professionnels, d'évaluer les besoins, d'organiser cette permanence et, le cas échéant, d'appliquer cette obligation dans chaque territoire. L'absence de PDSA nuit à la prise en charge des patients et contribue à saturer les services d'urgence hospitaliers. Veiller à sa continuité, chaque fois que les besoins le justifient, apparaît ainsi indispensable.
L'article 4 paraîtra sûrement familier ; ce n'est pas la première fois que des dispositions visant à un conventionnement sélectif sont soumises à l'examen du Sénat, mais il n'est jamais trop tard pour trouver son chemin de Damas. Le principe d'une arrivée de médecin conventionné pour un départ dans les zones sur-dotées ne viendra pas répondre à l'urgence des territoires sur lesquels le manque de médecins est le plus criant. Il ne s'appliquera, d'ailleurs, que sur un nombre restreint de territoires, puisqu'il est établi que la France est globalement une zone sous-dense, à l'exception de quelques quartiers ou villages chanceux. De même, les nombreux départs en retraite à venir le rendront rarement limitatif dans un premier temps.
Dans l'immédiat, cette conditionnalité sera donc très peu contraignante et ne poussera pas les médecins, comme certains le prédisent, dans les bras du déconventionnement. En revanche, ce principe de conventionnement prépare d'ores et déjà l'avenir, dans la mesure où il guidera l'installation des médecins lorsque la démographie de la profession redeviendra favorable. Il évitera qu'un faible nombre de zones ne récoltent les fruits des promotions plus importantes d'internes en médecine générale ; je vous propose donc d'adopter l'article 4.
Enfin, l'article 5 prévoit que la distinction entre l'exercice libéral, d'une part, et l'exercice salarié en centre de santé, d'autre part, ne puisse suffire à fonder des différences dans l'octroi des aides conventionnelles visant à inciter à l'installation des professionnels, le maintien de leur activité et leur remplacement dans des zones sous-dotées.
Les conventions entre l'assurance maladie et les professionnels de santé prévoient toutes sortes de contrats incitatifs à destination des professionnels libéraux ou des centres de santé. Les conditions d'octroi, les montants et les modalités de versement varient selon le professionnel de santé, le mode d'exercice et les majorations décidées par les ARS. Il n'est pas aisé de se retrouver dans ce maquis et les jeunes professionnels ignorent généralement ces dispositifs ; un vrai chantier de clarification serait à mener.
Si toutes les aides ne sont pas défavorables aux centres de santé, concernant par exemple des chirurgiens-dentistes, les contrats d'aide à l'installation des médecins (CAIM) sont clairement plus avantageux pour les médecins libéraux que pour un poste salarié en centre de santé. Pour un praticien travaillant à temps plein en zone sous-dotée, l'aide est ainsi de 50 000 euros pour un exercice en libéral, contre 30 000 euros pour le premier équivalent temps plein (ETP) au sein d'un centre de santé, puis 20 000 euros pour les deuxième et troisième. L'article 5 prévoit donc de mettre fin à cette inégalité de traitement alors que les centres de santé concourent, aux côtés de la médecine libérale, à l'accès aux soins de premier recours dans les zones sous-denses.
Cette proposition de loi n'a pas la prétention de mettre miraculeusement fin à la pénurie de médecins. Les années qui viennent ne seront pas faciles, nous le savons. Cependant, les nombreuses auditions m'ont confortée dans l'idée qu'il était possible, par un effort collectif, d'atténuer les effets de la pénurie. Ce texte vise à garantir partout un accès aux soins de proximité, en évitant les concurrences entre territoires, entre professionnels de santé et entre modes d'exercice. Il demande, pour cela, des efforts proportionnés aux étudiants comme aux médecins. Il vise à favoriser l'indispensable coopération avec les autres professionnels de santé. Pour l'ensemble de ces raisons, je vous invite donc à l'adopter.
Les efforts conjugués, dans chaque territoire, des pouvoirs publics et des professionnels viendront compléter ces mécanismes d'équilibrage de l'offre de soins. De nombreuses initiatives locales émergent et sont à soutenir, comme le dispositif « Présence médicale 64 » du département des Pyrénées-Atlantiques, qui réunit l'ensemble des parties prenantes du territoire pour favoriser l'accueil des internes et des jeunes médecins. Le dispositif a ainsi déjà permis d'effacer la chute du nombre de généralistes dans le département.
D'autres territoires ruraux s'organisent pour favoriser l'accès de leurs lycéens aux études médicales, en créant des bourses ou en favorisant leur formation. Ils fournissent ainsi aux universités des étudiants qui, bientôt, reviendront peut-être s'installer dans leur département. Ces initiatives sont autant de pierres à l'édifice, qui permettront demain de construire un système de santé garantissant, partout sur le territoire, un accès satisfaisant aux soins de premier recours.
Enfin, en tant que rapporteure, il me revient de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution.
Je considère qu'il comprend des dispositions relatives à la formation, aux conditions de conventionnement et d'exercice des médecins et aux aides incitatives conventionnelles destinées aux professionnels de santé. En revanche, j'estime que ne présenteraient pas de lien, même indirect, avec le texte dont nous avons à débattre, des amendements relatifs à la formation des autres professions médicales et paramédicales ; au régime fiscal ou social des professionnels de santé ; et aux compétences des professionnels de santé. De tels amendements seraient donc déclarés irrecevables par notre commission en application de l'article 45 de la Constitution.
Il en est ainsi décidé.