Intervention de Bérangère Couillard

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 9 novembre 2022 à 16h35
Audition de Mme Bérangère Couillard secrétaire d'état chargée de l'écologie

Bérangère Couillard, secrétaire d'État chargée de l'écologie :

Je vous remercie pour cette invitation. Je suis ravie de me trouver parmi vous et d'entamer un échange constructif avec votre commission.

L'été 2022, marqué par des pénuries d'eau et des incendies, a été une nouvelle illustration de l'urgence écologique à laquelle nous sommes confrontés. Le changement climatique a désormais un impact concret sur tous les pans de notre vie quotidienne, que plus personne ne peut nier. L'urgence est également celle de la préservation de la nature. En 50 ans, la situation de nos espaces naturels, de nos océans, comme de la faune mondiale, est devenue extrêmement alarmante : perte de 35 % des lacs, rivières et marais ; disparition de 66 % des mammifères ; perte de 80 % des poissons d'eau douce. Un million d'espèces sont aujourd'hui menacées, ce qui est inédit dans notre histoire.

Le portefeuille qui m'a été confié répond à cette vocation : mettre la préservation de la biodiversité au même niveau que le climat. Cette extinction silencieuse, qui se déroule sous nos yeux, doit être combattue avec la plus grande force. Elle constitue avec la lutte contre le changement climatique une priorité absolue du mandat du Président de la République qui a, pour la première fois, confié à la Première ministre la charge de la planification écologique. Son pilotage s'appuie sur des moyens nouveaux et importants.

Comme vous le savez, la Première ministre a annoncé la création d'un fonds d'accélération de la transition écologique dans les territoires, doté de deux milliards d'euros, dont au minimum 150 millions d'euros pour la biodiversité. Il s'agit bien de crédits nouveaux, tous orientés vers l'adaptation de nos territoires aux enjeux du changement climatique et la lutte contre l'érosion de la biodiversité.

Le budget que je viens vous présenter est donc bien un budget de cohérence, entre l'ambition que nous portons et les moyens que nous nous donnons. Pour 2023, la préservation de la biodiversité et la prévention des risques bénéficieront de 3,6 milliards d'euros. La troisième stratégie nationale biodiversité, en cours d'achèvement, doit être la référence cadre pour la mobilisation de nos énergies. 150 millions d'euros lui seront spécifiquement dédiés, dans le cadre du fonds d'accélération de la transition écologique.

Le premier objectif de mon portefeuille est la protection des espaces naturels et des habitats. C'est ce que je porte avec la stratégie nationale pour les aires protégées, qui a été inscrite dans la loi dite « Climat et résilience ». Elle a fixé deux cibles majeures : protéger 30 % de notre territoire, dont un tiers en protection forte. Ces cibles concernent l'hexagone comme les outre-mer, la terre autant que la mer. Aujourd'hui, si l'objectif de protection est atteint, il reste encore du chemin à parcourir en matière de protection forte. De nouveaux projets sont en cours de réflexion localement et nous n'écartons pas la possibilité d'un douzième parc national consacré à la protection des zones humides. Je travaille par ailleurs à l'aboutissement du transfert aux régions des sites Natura 2000, décidé par la loi dite « 3DS ». Le dialogue se poursuit avec l'association Régions de France.

La protection des espèces et des habitats doit aussi nous permettre de mieux appréhender la seconde priorité, qui est la protection du vivant. L'érosion de la biodiversité animale est tout aussi inquiétante que celle de nos espaces naturels. Les plans nationaux d'actions constituent un autre outil majeur, en complément du régime de protection légale des espèces. Sept plans nationaux de préservation d'espèces menacées dans l'hexagone comme dans les outre-mer ont été récemment lancés. Je suis également régulièrement interpellée au sujet des prédateurs. Je souhaite d'abord apporter tout mon soutien à nos éleveurs. Je consulte tous les acteurs, sans exclusivité, pour connaitre les visions de chacun et trouver une méthode satisfaisante de résolution de ces conflits. Les espèces sont protégées : il s'agit donc d'accompagner l'augmentation des spécimens vers des populations viables, en gérant au mieux les dommages causés aux élevages.

L'eau est le troisième grand pan de la lutte pour la préservation de la biodiversité. Pour répondre à ces tensions sur l'eau, nous avons lancé, avec Christophe Béchu et Agnès Firmin-Le Bodo, un grand chantier eau, à Marseille, le 29 septembre dernier. Nous devons rapidement apprendre à concilier solutions de court et de long terme. Principaux financeurs de la biodiversité en France, les agences de l'eau bénéficient d'un plafond annuel de recettes adossées à des redevances, fixé à 2,2 milliards d'euros depuis la loi de finances pour 2021. En 2023, ce plafond est maintenu, tout comme leur schéma d'emplois.

L'érosion du trait de côte est un sujet que vous connaissez bien et qui pèse sur les collectivités territoriales. Il est également au coeur de mon portefeuille. Sur ce sujet, j'ai conscience de la nécessité de construire une capacité pérenne de financement des adaptations qui seront nécessaires dans les prochaines années. Nous estimons à 20 millions d'euros le besoin de financement annuel pour répondre aux enjeux. Nous avons conscience que certaines années nécessiteront plus de crédits et d'autres moins. En 2023, plus de 20 millions d'euros seront engagés dans le cadre du PLF. Toutefois, nous devrons parvenir à trouver un mode de financement pérenne, qui ne repose pas uniquement sur les collectivités territoriales, ni uniquement sur l'État. Je vais donc lancer une grande consultation, avec les parlementaires et les élus locaux, d'une durée d'un an, pour une élaboration conjointe de ce modèle de financement.

Je partage également avec le ministre de l'agriculture l'enjeu de la protection et d'une utilisation durable de nos forêts. 200 millions d'euros seront consacrés à l'adaptation des forêts au changement climatique. S'agissant du renouvellement forestier, il est envisagé un financement pérenne de 100 à 150 millions d'euros par an, mobilisant les outils de la finance carbone. Dans le même temps, un chantier national de replantation des forêts sera lancé, avec l'objectif de replanter un milliard d'arbres d'ici 10 ans. Cet objectif a été annoncé par le Président de la République la semaine dernière. Plus globalement, la Première ministre a indiqué que la forêt serait un des premiers secteurs concernés par la planification écologique. Dans cette perspective, je souhaite que les acquis des Assises de la forêt servent de socle pour prolonger et amplifier les actions.

Je suis aussi concernée par la question de la chasse. Les accidents sont une préoccupation majeure. Si des progrès ont été réalisés depuis 20 ans avec une baisse sensible du nombre d'accidents, nous devons tendre vers le zéro accident. Les sénateurs Patrick Chaize et Maryse Carrère ont produit un rapport dont je souhaite souligner la qualité. Il constituera l'une des bases de la réflexion globale que je souhaite lancer sur ce sujet. Cette consultation devra permettre de trouver des solutions qui portent sur l'ensemble des enjeux : la formation, l'encadrement des pratiques de la chasse, l'information et le partage de l'espace. Je souhaite aboutir d'ici Noël sur ce dossier.

Les moyens du ministère sont concentrés sur le programme 113 « Paysages, eau et biodiversité ». Ce programme connaît une nouvelle augmentation de 30,4 millions d'euros par rapport à 2022 et atteindra 274 millions d'euros en 2023. L'Office français de la biodiversité (OFB), sous la tutelle du ministère de la transition écologique, verra sa subvention pour charges de service public augmenter de 25 millions d'euros à format constant. Elle atteindra donc 78,8 millions d'euros et s'ajoutera à la contribution de près de 383 millions d'euros des agences de l'eau pour 2023. L'Office national des forêts (ONF), placé principalement sous la tutelle du ministère de l'agriculture, bénéficiera d'une augmentation pour ses missions d'intérêt général de 2,5 millions d'euros, auxquels s'ajoutent 10 millions d'euros pour renforcer les missions de défense des forêts contre les incendies (DFCI). Enfin, nous pouvons noter que 5 ETP supplémentaires ont été attribués au conservatoire du littoral. Ils viendront soutenir la politique d'extension des territoires qu'il protège.

J'en viens maintenant à la politique d'économie circulaire. Nous devons tendre vers une société de la réparation, du réemploi et du recyclage pour économiser nos ressources et décarboner notre consommation. Aujourd'hui, les financements de l'économie circulaire sont supportés, d'une part, par les filières à responsabilité élargie des producteurs (REP) et, d'autre part, par l'agence de la transition écologique (ADEME), opérateur de l'État dans ce domaine. Cette agence bénéficiera de crédits du programme 181 pour le fonds économie circulaire, qui est porté à 220 millions d'euros pour 2023. Ces moyens financiers doivent répondre à un objectif clair : État, collectivités, producteurs et consommateurs doivent réduire les quantités de déchets mis en décharge et développer le recyclage, particulièrement des plastiques, ainsi que la valorisation des biodéchets. Pour parvenir à cet objectif d'une meilleure gestion de nos déchets, une trajectoire de hausse de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) sur l'enfouissement des déchets a été programmée entre 2018 et 2025. Son but est de donner de la visibilité et rendre le recyclage des déchets économiquement plus attractif que leur élimination. Cette réforme s'inscrit dans un équilibre global, dans lequel de nouvelles capacités financières ont été données aux collectivités pour investir et s'adapter. Plusieurs mécanismes de soutien ont été instaurés, comme l'allégement à 5,5 % du taux de la TVA sur les activités de tri, de recyclage et de prévention des déchets, la réduction des frais de gestion perçus par l'État sur la taxe d'enlèvement des ordures ménagères incitatives ou encore la mise en place de nouvelles filières à REP.

Au-delà des mesures de réduction des déchets, la politique de l'économie circulaire que nous menons réoriente la prise en charge des déchets de plus en plus fortement vers les fabricants et distributeurs des produits, dans une logique de pollueurs-payeurs. D'ici 2030, l'ensemble de ces filières REP pour réduire les coûts de réparation des produits représenteront six milliards d'euros. Cela doit permettre d'augmenter leur durée de vie, de développer le réemploi des produits reconditionnés et de recycler les déchets. Une nouvelle REP pour les produits et matériaux de construction du bâtiment a par exemple été lancé en octobre. Quatre éco-organismes viennent d'être agréés pour une entrée en vigueur entre 2023 et 2027. L'objectif est de développer dès 2023 le recyclage et le réemploi des déchets du bâtiment mais aussi de mettre fin aux décharges sauvages, grâce à la reprise gratuite des déchets et la création de nouvelles déchetteries accessibles aux artisans et TPE.

Le secteur du textile est celui où nous devons le plus accélérer. C'est un des secteurs aux marges de progression les plus fortes. Il représente 450 000 tonnes jetées chaque année dans les poubelles, soit 45 tours Eiffel. L'empreinte carbone de notre consommation textile est de près de 30 millions de tonnes équivalent carbone. C'est pour répondre à ces défis que j'ai lancé, début octobre, une grande consultation pour transformer en six ans la filière textile, afin de financer la réparation, le réemploi et le développement d'une filière industrielle de recyclage des textiles en France. Cette REP peut atteindre 600 millions d'euros sur la période et 350 millions d'euros pour avantager les produits éco-conçus grâce à des bonus.

Nous agissons aussi sur les emballages ménagers. Parmi les nouveaux financements, on compte 62 millions d'euros pour les nouvelles poubelles de rue et 100 millions d'euros pour accompagner les collectivités dans le nettoyage des espaces publics.

S'agissant du plastique, toutes REP confondues, quatre millions de tonnes sont jetées chaque année, en majorité des emballages. Le recyclage de tous les plastiques reste insuffisant : à peine 20 % sont recyclés. Nous pouvons et devons faire mieux. Certaines solutions, qui ont pu être écartées dans un passé récent, sont désormais assez mûres pour être réabordées. Je pense par exemple à la consigne. La loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) a fixé un calendrier clair. Une décision doit être prise en juin 2023. Si nous avons à décider d'une consigne en juin prochain, je veux traiter au préalable tous les enjeux rappelés précédemment : la mise à jour des soutiens financiers aux collectivités pour assurer la couverture des coûts de gestion des autres déchets d'emballage, la sensibilisation des citoyens sur le geste de tri pour éviter les risques de confusion, l'implication des collectivités dans le maillage territorial des points de reprise et la prise en compte des petits commerces dans le dispositif.

Pour prendre une décision éclairée, nous devons nous y préparer. Cette question doit être débattue en concertation avec les collectivités et les assemblées parlementaires. C'est pourquoi nous organiserons des concertations techniques dès le début de l'année 2023. L'objectif sera d'évaluer les conditions de la mise en place éventuelle d'une consigne. Nous discuterons également des solutions alternatives à la consigne. C'est ainsi, en connaissance de cause, que nous pourrons prendre une décision à l'été 2023.

Comme je vous l'ai démontré, d'importants moyens sont dédiés à la transition écologique dans ce budget, pour la préservation de la biodiversité et pour une économie circulaire performante. J'aurai besoin de tout votre soutien pour accompagner l'ensemble de ces politiques volontaristes et je me tiens prête à répondre à vos questions.

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