Je vous remercie de vos propos liminaires. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur, a été auditionné à l'Assemblée nationale et a réitéré cette proposition qui devrait être prochainement concrétisée d'un peu plus de 900 effectifs supplémentaires sortis de l'école de gendarmerie, permettant de créer un certain nombre de nouvelles brigades dès 2023. Certains proposent que ces brigades soient installées là où elles avaient été supprimées. Au regard de votre expertise, est-ce la bonne solution ? Ou faut-il réfléchir à une autre implantation en fonction de l'évolution de la délinquance ?
Général Bruno Jockers. - Concernant le contact avec la population et l'exercice du renseignement, la gendarmerie nationale en a pris le virage en 2015-16. C'était prémonitoire. C'est grâce à la volonté du directeur général de l'époque, qui voulait que l'on revienne au contact de la population, notamment lié à un besoin de service public dans nos territoires. Trois ans plus tard, on avait les gilets jaunes dans la rue. Le contact fait partie des éléments de réflexion. Et la gendarmerie a su l'anticiper dans son domaine.
Quand on donne des objectifs chiffrés comme le taux d'élucidation des affaires, on instaure des comportements déviants. Il y a ce qui se compte et il y a ce qui compte ! Et ce qui compte, c'est la réalité du travail qui se fait auprès de la population. Comme beaucoup d'institutions, nous avons été bercés par le contrôle de gestion et la performance. Sauf que ce qui est plus important pour un gendarme, c'est quelque chose qui ne peut pas se mesurer par des statistiques. J'ajoute qu'en gendarmerie il n'y a aucune directive en matière statistique, ni d'objectif chiffré. En revanche, il y a une consigne qui est d'augmenter la présence sur la voie publique. Nous n'avons plus la culture du chiffre même si on l'a eu il y a une quinzaine d'années. Mais nous avons eu la lucidité de réagir et je suis heureux que le ministre de l'intérieur ait décidé d'organiser des sondages auprès de la population sur le sujet. Voilà le cheminement que l'on a fait mais qui n'est pas facile car cela se heurte à d'autres priorités. Aujourd'hui, nos brigades passent un temps considérable sur le traitement des violences intrafamiliales et conjugales, en intervention, puis dans le traitement judiciaire de l'affaire. Notre objectif est le contact, on veut libérer les énergies. Le meilleur service à rendre aux gendarmes est de leur dire que l'on a confiance en eux.
Nous considérons que l'officier de gendarmerie est avant tout quelqu'un qui a été éprouvé au plus près du terrain, dès son premier poste. Je pense que c'est un très bon système qui existe depuis plus de 10 ans. Nos cadres supérieurs ne commencent pas par des fonctions de cadre supérieur. Cela nous permet d'avoir de jeunes officiers qui savent de quoi ils parlent et qui n'auront pas une conception intellectualisée du métier. Discuter sur le terrain avec un élu mécontent qui constate des incivilités et qui vous reproche de ne jamais être là où il faudrait, cela apprend la vie. Ce contact est essentiel. Notre métier est aussi un métier de commandement qui vise à prendre des décisions.
Concernant des simplifications, nous avons des projets, comme oraliser davantage la procédure avec des systèmes de retranscription automatique, la procédure pénale numérique en déploiement... afin de gagner du temps. C'est parfois contradictoire : on fait beaucoup pour simplifier et en même temps on fait beaucoup pour compliquer, même si cela est pour de nobles raisons.
Sur la question de l'expertise de la police nationale, nous avons beaucoup à apprendre de nos partenaires de la police nationale. Ils ont des pôles d'expertises. Notre part dans la lutte contre le terrorisme, c'est la détection des signaux faibles, le renseignement auprès de la population. Nous devons aussi travailler avec des unités spécialisées. Nous avons aussi des projets communs comme celui de la visio-plainte. Cela nous intéresse particulièrement car nous avons des espaces importants à couvrir et que cela pourrait permettre d'éviter de longs déplacements et de simplifier la vie des Français. La loi d'orientation et de programmation pour le ministère de l'intérieur prévoit une agence du numérique commune aux forces de sécurité.
Sur le recrutement d'experts, nous avons besoin d'une grande souplesse de gestion. En fait, le statut militaire autorise beaucoup de souplesse par rapport à la gestion des personnels civils. Nous avons des officiers qui sortent de grandes écoles, des gendarmes qui deviennent experts, nous allons chercher des officiers recrutés sur titre au regard de leur diplôme, nous recrutons des officiers sous contrat pour une période déterminée, et certains passeront quelques années dans le privé pour acquérir une expertise dans un domaine. On est capable de recruter et de fidéliser. La création du commandement cyber de la gendarmerie obéit à cette logique. Le centre de gravité de la lutte contre la cybercriminalité, c'est la compétence en ressource humaine. Nous avons regroupé l'opérationnel, les moyens, la recherche et la gestion de la filière métier.
Nous croyons dans une gendarmerie hiérarchisée, structurée et vertébrée. Quand nous avons deux gendarmes, il y en a toujours un qui commande l'autre. Si on ne suit pas ce principe de base, on va vers l'irresponsabilité collective. C'est un principe essentiel. Nous essayons de travailler en « devis judiciaire ». Lorsque l'on s'engage sur un objectif, il faut déterminer combien ça va coûter en termes d'effectifs et de moyens, pour une période donnée. On décide alors d'y aller ou non, en commun avec le magistrat. C'est là que le chef hiérarchique a un rôle à jouer avec le magistrat, même si c'est ce dernier qui décide en dernier ressort. Nous ne sommes pas comme les britanniques qui choisissent de travailler sur ce qui intéresse la population. Est-ce qu'au bout du compte on aura participé à la sécurité de nos concitoyens ?
Sur le passage aux grandes régions, l'organisation de la gendarmerie était jusqu'à il y a peu encore calée sur les 22 régions. Nous nous sommes retrouvés dans des régions sans correspondants, avec 22 états-majors de région alors que nous avions besoin de renforcer nos unités de terrain. Cette logique nous a amené à mettre en cohérence notre organisation avec les 13 régions. J'ai été successivement commandement de groupement du Bas-Rhin et commandant de la région Grand-Est. Je pense que c'est une bonne réforme pour le service que nous rendons à la population, qui fait coexister un commandement de plein exercice au niveau départemental et un commandement de région qui a la charge de coordonner les moyens. J'en ai une vision plutôt positive. Nous avons économisé un peu de moyens au niveau des états-majors régionaux.
Concernant les nouvelles brigades, les préfets doivent poser un diagnostic sur l'organisation et l'activité de la gendarmerie, en collaboration avec le commandement et les élus, afin d'en déduire les endroits où la création d'unités pourrait être profitable. Il ne s'agit pas de recréer des unités là où elles ont été dissoutes mais là où l'on considère qu'il y a un besoin. Et nous sommes très souples dans les types d'unité créés.