Intervention de André Gattolin

Commission des affaires européennes — Réunion du 8 décembre 2022 à 8h30
Culture — Proposition de règlement du parlement européen et du conseil établissant un cadre commun pour les services de médias dans le marché intérieur et modifiant la directive 2010-13-ue com2022 457 final - communication et proposition de résolution portant avis motivé

Photo de André GattolinAndré Gattolin, rapporteur :

La proposition que nous examinons est en effet très imprécise sur son articulation avec la directive SMA qu'elle est censée pourtant prolonger, selon le long exposé des motifs de la Commission européenne. Or les définitions proposées devraient être intégralement harmonisées avec celles de la directive SMA, en particulier pour les services de médias, mais aussi pour les notions de responsabilité et de décisions éditoriales.

L'article 6, qui concerne le niveau de protection applicable aux fournisseurs de services de médias et d'actualité, ne tient aucun compte des dispositions existantes dans ce domaine dans la directive SMA. Il en va de même des dispositions obligatoires sur l'organisation éditoriale des médias.

Aux articles 7 et suivants sur le rôle des autorités de régulation et la création d'un « comité » européen - curieuse traduction d'ailleurs de l'anglais board, qui désigne à mon sens un « conseil » plus puissant, un directoire -, la proposition de règlement modifie de façon importante l'équilibre entre autorités nationales et européennes, tout en prévoyant que la Commission européenne en assure le secrétariat. Mais si nous créons des autorités indépendantes, c'est précisément pour les détacher de l'exécutif et de l'État, et pour garantir une plus grande neutralité. Or en l'espèce, au contraire, le comité européen serait chapeauté par la Commission. La question se pose : la Commission est-elle une instance technique ou politique ? Nous avons auditionné les représentants de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique : ils ne sont pas défavorables à ce texte, mais ce point les inquiète.

Quant à la compatibilité avec la directive CabSat2, la notion de contenus d'informations et d'actualités (« news and current affairs ») soulève des questions importantes, bien que différentes, à la presse et à l'audiovisuel.

Dans l'audiovisuel, la notion se trouve déjà dans la directive CabSat2. Selon cette directive, les programmes de télévision qui sont « des programmes d'informations et d'actualités » sont soumis au principe du pays d'origine pour faciliter la collecte des droits. Le législateur européen a considéré que les programmes d'information et d'actualités sont très spécifiques aux États membres et ont donc peu de valeur de licence en dehors de leur territoire d'origine. Qui va racheter en France les informations qui sont diffusées au Danemark, sauf images particulières ? C'est ce qui explique pourquoi ces programmes ont été inclus dans le champ d'application de la disposition du pays d'origine et, a contrario, pourquoi d'autres types de contenu audiovisuel en ont été exclus.

Les programmes d'information et d'actualité doivent donc être strictement distingués de programmes d'autre nature, tels que les documentaires, les émissions de variétés et les programmes de téléréalité. Or la présente proposition laisse planer sur le périmètre de cette notion une totale incertitude, tant qu'elle ignore ou feint d'ignorer la différenciation fondamentale, selon nous, entre les écosystèmes de la presse et de l'audiovisuel.

Quant à la compatibilité avec le DSA, à l'article 17, la proposition de règlement prévoit un nouveau mécanisme destiné à éviter une double modération des contenus publiés ou édités par les médias.

De fait, il instaure une obligation pour les « fournisseurs de très grandes plateformes » de mettre à disposition des utilisateurs un formulaire de déclaration en tant que « fournisseur de services de médias » afin de bénéficier de modalités de modération spécifiques. Il s'agit là d'une modification significative des dispositions du DSA, alors même que ce dernier n'est pas encore entré en application.

En outre, le DSA prévoit à l'article 33 que les dispositions qui s'appliquent aux très grandes plateformes s'appliquent également aux très grands moteurs de recherche, ce qui ne semble pas être le cas dans la rédaction de la précédente proposition de règlement. Il est indispensable de lever ces ambiguïtés pour articuler cette proposition avec le DSA qui vient d'être adopté.

Il nous semble donc, pour répondre à notre interrogation sur la « mesure » dont a fait preuve la Commission européenne, qu'elle soit ici, sur une base juridique insuffisante et fragile, allée un peu trop loin, trop vite, dans son ambition législative, en confondant la régulation des médias locaux et culturels de presse avec le développement d'un « marché intérieur » des médias dans l'audiovisuel et le numérique.

Il n'existe pas ou très peu de facteurs communs entre la presse et les services audiovisuels. La volonté de doter l'Europe d'un règlement qui embrasse ainsi ces deux écosystèmes nous paraît peu conforme aux principes de subsidiarité et de proportionnalité.

Il importe enfin de souligner, pour le sénateur membre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) que je suis, que, selon l'article 167 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), paragraphe 5, l'Union et les États membres « favorisent la coopération avec les pays tiers et les organisations internationales compétentes dans le domaine de la culture, et en particulier avec le Conseil de l'Europe ». Or celui-ci a adopté plusieurs conventions dans le domaine de la protection du pluralisme et de la liberté des médias. L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe est très active dans ce domaine. Pour ne citer que deux exemples relativement récents, elle a adopté en janvier 2020 une résolution intitulée Menaces sur la liberté des médias et la sécurité des journalistes en Europe et, en juin 2022, une résolution intitulée Le contrôle de la communication en ligne : une menace pour le pluralisme des médias, la liberté d'information et la dignité humaine.

Hélas, la présente proposition de règlement de la Commission ne mentionne nullement le Conseil de l'Europe, négligeant d'encourager l'Union européenne et ses États membres à coopérer avec cette institution particulièrement attentive au respect des droits des journalistes et des médias. C'est pourquoi nous avons inclus dans notre avis motivé un paragraphe à ce sujet. Tout ceci nous conduit in fine à apprécier négativement la conformité au principe de subsidiarité du texte que nous examinons.

Tel est en effet, vous l'aurez compris, le sens du projet que nous vous soumettons, qui rejoint, au stade initial où nous en sommes de l'examen de la proposition de la Commission européenne, le point de vue de nos collègues allemands, mais aussi l'initiative que s'apprêtent à adopter demain nos collègues du Folketing danois et, à ce stade, les interrogations de nos collègues suédois et irlandais.

Sans aller, comme le fit naguère Helmut Kohl dans une déclaration retentissante, à dénoncer une « furie réglementaire » de la Commission, nous appelons, par cette résolution, à la prudence, à la mesure, au respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité, qui sont, conformément à l'esprit des traités, des principes régulateurs particulièrement nécessaires à la pérennité du projet européen.

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