Intervention de André Reichardt

Commission des affaires européennes — Réunion du 8 décembre 2022 à 8h30
Institutions européennes — Projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'union européenne ddadue dans les domaines de l'économie de la santé du travail des transports et de l'agriculture - communication

Photo de André ReichardtAndré Reichardt, président :

Le projet de loi dit Ddadue rassemble diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne (UE) dans les domaines de l'économie, de la santé, du travail, des transports et de l'agriculture. Or, depuis quatre ans, vous le savez, la commission des affaires européennes assure une mission de veille sur les sur-transpositions de textes européens, dans le cadre de l'examen des projets et propositions de loi comportant des mesures de transposition en droit interne de directives ou des mesures d'application de règlements européens. Ainsi notre commission formule, en tant que de besoin, des observations, lorsqu'elle constate qu'il est proposé d'aller au-delà de ce qu'impose le droit européen au détriment de la compétitivité de nos entreprises, et sans justification documentée ou recevable. Cette mission, d'abord mise en oeuvre à titre expérimental, a été consacrée à l'article 73 sexies du Règlement du Sénat en 2019.

C'est dans ce cadre que la Conférence des présidents a décidé, à la demande du président Jean-François Rapin, de consulter notre commission sur le projet de loi Ddadue. Déposé le 23 novembre dernier, ce texte doit être examiné par le Sénat en séance publique dès la semaine prochaine, motif pour lequel les commissions permanentes compétentes se sont déjà prononcées : la commission des affaires sociales au fond, sur le rapport de notre collègue Pascale Gruny, hier, et les commissions des finances, des lois, des affaires économiques, et de l'aménagement du territoire et du développement durable, pour avis, avec délégation au fond, ce mardi.

Le président Jean-François Rapin m'a demandé de vous présenter les observations qui lui paraissent pouvoir être faites au titre du risque de sur-transposition de textes européens dans le droit français.

Première observation, la démarche de transposition sectorielle par un véhicule dédié est de bonne méthode, car elle permet de mieux identifier les risques de sur-transposition. Deux autres textes ayant le même objet ont d'ailleurs été adoptés en 2020 et 2021. Toutefois, les secteurs concernés sont aussi divers que nombreux, alors même que les délais d'examen sont particulièrement contraints.

Deuxième observation, les modifications apportées au droit interne sont d'importance inégale. Six d'entre elles sont de simples coordinations de références dans différents codes ou rectifient des erreurs de transposition, dans un cas après une procédure d'infraction et, dans un autre, après que le juge a constaté que la transposition française ne respectait pas le texte européen. Par ailleurs, plusieurs articles procèdent directement à la transposition de textes européens, sans rien y ajouter.

Troisième observation, il est proposé de supprimer une sur-transposition résultant du choix d'une option plus exigeante ouverte par une directive de 2017 en cas de perte grave du capital social souscrit. La commission des lois, sur le rapport de notre collègue Didier Marie, a estimé qu'il s'agissait d'un allègement justifié, « à l'aune des conséquences économiques des crises récentes [...] ainsi que des nouvelles modalités de financement des sociétés ».

Quatrième observation, plusieurs transpositions sont tardives et le seront plus encore lorsque le Gouvernement demande à procéder par voie d'ordonnances, avec des délais d'habilitation allant au-delà du calendrier prévu par le texte européen.

Cinquième et dernière observation, il est proposé de procéder par voie d'ordonnances dans sept cas, surtout pour des textes techniques n'ouvrant pas de marges de manoeuvre, mais dont la transposition en droit national exige des mesures d'adaptation et de coordination ainsi que la définition des modalités d'application outre-mer.

Il n'en va pas ainsi pour la directive concernant la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises (dite CSRD, Corporate Sustainability Reporting Directive). Définitivement adoptée en novembre dernier mais non encore publiée, cette directive procède à une harmonisation des obligations d'information non financières des entreprises en matière de durabilité plus exigeante que celle que prévoyait la directive européenne sur le reporting extra-financier, dite NFRD (Non Financial Reporting Directive) de 2014, à laquelle elle succède. Elle impose ainsi la publication d'informations détaillées standardisées sur l'impact environnemental et social des entreprises, et sur les droits humains, en s'appuyant sur des critères communs alignés sur les objectifs climatiques de l'UE. Il s'agit, ce faisant, de porter la publication d'informations sur la durabilité au même niveau que celle des informations financières, pour répondre aux attentes des parties prenantes. Pour s'assurer de leur fiabilité, les informations seront soumises à des vérifications et des audits indépendants qui feront l'objet d'un rapport d'assurance écrit.

Le périmètre des entreprises visées est fortement élargi : 50 000 à terme, contre 11 700 actuellement. Les entreprises concernées devront prendre en compte, non seulement leurs propres activités, mais également leur chaîne de valeur, y compris les produits et services, les relations d'affaires et la chaîne d'approvisionnement.

Le Gouvernement précise que la transposition de la directive impose d'adapter, de clarifier et de mettre en cohérence les critères d'application des obligations de publication d'informations extra-financières en droit français, à la fois en termes de champ d'application et de contenu, tout en assurant un cadre clair et articulé avec les dispositions en vigueur en France en matière de publication environnementale, sociale et de gouvernance des entreprises.

Or, si le contenu des obligations d'information à transposer est détaillé par la directive, il n'est pas limitatif. Il en est de même pour les modalités de contrôle de celles-ci, ou encore le périmètre des entreprises concernées, qui pourrait donc être étendu en droit interne, sans compter que la directive ouvre aux États membres des marges de manoeuvre.

En 2017, l'ordonnance de transposition avait introduit des dispositions plus exigeantes que celles prévues par la directive NFRD, au motif de l'expérience de la France en matière d'obligations de publication d'informations extra-financières résultant de la loi de 2001 dite NRE (sur les nouvelles régulations économiques) et de la loi Grenelle 2 de 2010.

L'habilitation sollicitée pour la transposition de la directive CSRD est également très large : elle permet en effet de procéder à des modifications des obligations des entreprises en matière d'enjeux sociaux, environnementaux et de gouvernance. En raison du long délai d'habilitation, les services de l'État n'ont pas été en mesure d'apporter au Sénat des réponses précises sur les intentions du Gouvernement en la matière. Il pourrait donc en résulter des obligations de transparence renforcées pour les opérateurs français, susceptibles d'avoir des effets concurrentiels négatifs au regard des autres opérateurs européens.

Notre collègue Hervé Maurey, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances, a également fait ce constat d'un risque de sur-transposition. Il a proposé en conséquence un amendement visant à restreindre le champ de l'habilitation, qu'il qualifie de « bien trop large », aux seules mesures modifiant les obligations de publication dans les domaines couverts par la directive CSRD et les actes délégués que celle-ci prévoit. Le président Rapin, qui est membre de la commission des finances, a bien sûr soutenu cette proposition.

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