Intervention de Viviane Artigalas

Délégation aux Collectivités territoriales et à la décentralisation — Réunion du 17 novembre 2022 à 9h30
Communication de mesdames viviane artigalas et dominique estrosi sassone relative au rapport d'information n° 800 2021-2022 « la politique de la ville un tremplin pour les habitants »

Photo de Viviane ArtigalasViviane Artigalas :

Nous assurerons donc cette présentation à deux voix.

Merci pour votre invitation. Nous avons présenté nos travaux à la commission des affaires économiques qui nous a missionnées. Cependant, il est important pour nous d'intervenir devant la délégation des collectivités territoriales.

Le but de notre rapport est de procéder à une évaluation de la politique de la ville, et plus spécifiquement de l'application de la loi Lamy du 21 février 2014. Nous avons réalisé une trentaine d'auditions et quatre visites de terrain à Val-de-Reuil dans l'Eure, Allonnes dans la Sarthe, Valenciennes dans le Nord et Nice dans les Alpes-Maritimes.

Beaucoup de rapports ont été écrits sur la politique de la ville et vous pourriez vous dire « un de plus ! ». Nous n'y échappons pas tout à fait, il est vrai, mais nous avons voulu nous distinguer par notre méthode et notre objectif.

Tout d'abord, ce rapport vient cinq ans après celui que Valérie Létard et Annie Guillemot avaient rendu en 2017. Notre commission et la Haute Assemblée ont de la suite dans les idées. Ce n'est pas si fréquent et cette persévérance est, je crois, la bonne méthode !

Ensuite, notre travail intervient dans un moment où se prépare une nouvelle génération de contrats de ville. Le précédent Gouvernement a lancé une commission à laquelle Valérie Létard et moi-même avons participé. L'objectif est de conclure de nouveaux contrats d'ici 2024, alors que les précédents sont prolongés depuis dix ans. Cela pose une vraie question d'application de la loi qui les voulait concomitants aux mandats municipaux. Se pose aujourd'hui la question d'une révision de la loi Lamy. Nous avons voulu la préparer, voire l'anticiper.

Enfin, et ce n'est pas la moindre des motivations de notre travail, nous voulions redonner une perspective à cette politique. Le quinquennat précédent a été celui du stop and go entre les quartiers et le Gouvernement. Des espoirs du plan Borloo à son classement sans suite, de l'oubli des quartiers dans le plan de relance, après une crise sanitaire dramatique, à son déploiement sous la surveillance directe du Premier ministre, Jean Castex, réunissant un comité de suivi tous les deux mois, les coups de frein et d'accélérateur se sont succédé, sans constance et sans boussole. Aujourd'hui, quelle orientation doit-on donner à cette politique qui a plus de quarante ans et fait l'objet de critiques récurrentes ?

Pour répondre à ces questions, nous avons voulu jeter un nouveau regard sur la politique de la ville. Cela nous conduit à proposer de compléter les objectifs et d'ajuster les outils. Dans ce cadre, nous nous sommes intéressées plus spécifiquement à l'entrepreneuriat comme exemple des trajectoires ascendantes des habitants de ces quartiers.

Ce nouveau regard sur la politique de la ville se caractérise par la volonté de mettre en valeur sa dimension de tremplin pour les habitants.

Ces quartiers sont confrontés à de multiples difficultés en matière de sécurité, d'éducation, d'intégration, de santé ou de chômage. C'est un fait et nous ne le négligeons pas. Nous n'avons pas chaussé nos lunettes vertes comme au pays d'Oz, je vous rassure ! Cependant, « à regarder la photo et non le film », les difficultés des quartiers et non l'histoire des habitants, une partie de la réalité échappe à l'analyse.

En effet, depuis une vingtaine d'années, la politique de la ville vise à réduire les écarts entre les territoires où se concentre la pauvreté et le reste du pays. L'objectif est de les normaliser, de leur faire rejoindre la moyenne statistique. Elle est conçue comme une politique de discrimination positive. Nous le savons, dans les quartiers transformés par l'ANRU, ce n'est pas sans résultat, bien au contraire.

Cependant, comme l'a souligné avec constance la Cour des comptes dans ses rapports de 2002, 2012 et 2020, la situation des quartiers ne s'améliore pas fondamentalement. Il y aurait une forme d'échec malgré les milliards engloutis. Ce constat nourrit le procès en légitimité de la politique de la ville, d'autant que depuis le mouvement des « gilets jaunes », les problèmes de la « France périphérique » et de la ruralité peuvent apparaître plus urgents. Pourtant, opposer ville et campagne est un piège, nous le savons bien.

Sans nier ces constats et tout en entendant ces demandes, il faut déconstruire certaines idées reçues. Dans les quartiers prioritaires, l'insuffisance du droit commun est encore et toujours une réalité. Les rapports Borloo, Cornut-Gentille et Kokouendo comme celui de l'Institut Montaigne l'ont largement démontré.

Pour ne donner qu'un seul chiffre, il y a moins de personnels de la fonction publique hospitalière pour 100 000 habitants en Seine-Saint-Denis que dans le reste de la France, mais aussi dans les départements très ruraux de la « diagonale du vide ». Pour autant, la Seine-Saint-Denis, département le plus pauvre de France, se révèle être le huitième contributeur net à la protection sociale et celui où la masse salariale a le plus augmenté dans la décennie qui a précédé la crise sanitaire. Sa contribution à l'économie nationale n'est donc pas négative.

Il faut également savoir regarder la politique de la ville dans le temps long des quartiers. Beaucoup ont été créés après-guerre dans le contexte de la reconstruction, de l'exode rural et de l'accueil des rapatriés d'Algérie. Les défauts rédhibitoires de certains grands ensembles sont apparus très tôt. Ainsi, la « sarcellite », expression décrivant les difficultés à y vivre des habitants, date de 1962, avant même tout problème d'immigration ou de ghettoïsation. À Val-de-Reuil, à Saint-Dizier ou à Grigny, les opérations de « couture urbaine » visant à réparer les erreurs de conception sont toujours en cours. Il ne faut donc pas en avoir une vision court-termiste. Améliorer la vie des habitants reste un travail de longue haleine.

Enfin, ces quartiers sont à bien des égards des sas et la politique de la ville un tremplin. Certains ont pu comparer la Seine-Saint-Denis à un Ellis Island français. Dans les métropoles, les quartiers populaires remplissent des fonctions d'accueil et de rebond. Bien que l'on manque d'études de cohorte pour confirmer les témoignages et les analyses sociologiques, plusieurs travaux montrent qu'il existe une réelle mobilité résidentielle et de revenu dans ces quartiers. L'on y déménage autant ou plus qu'ailleurs, par exemple pour devenir propriétaire, à proximité notamment afin de ne pas perdre les liens de solidarité. Cependant, les nouveaux entrants qui les remplacent disposent d'un revenu inférieur.

En matière de revenu justement, une étude récente de l'INSEE montre que la mobilité intergénérationnelle est plus importante en France qu'aux États-Unis, sous réserve d'accéder à l'enseignement supérieur et d'être mobile géographiquement.

Nous plaidons donc pour adopter une vision dynamique de la politique de la ville. En effet, de manière statique, de dix en dix ans, et sans qu'il faille s'en satisfaire, un quartier pauvre sera le plus souvent confronté aux mêmes difficultés. En revanche, de manière dynamique, si l'on regarde qui sont les habitants, on verra qu'ils ont changé. En dix ans, environ 50 % d'entre eux auront déménagé.

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