Intervention de Charles Touboul

Délégation aux Collectivités territoriales et à la décentralisation — Réunion du 17 novembre 2022 à 9h30
Audition de M. Charles Touboul maître des requêtes au conseil d'état rapporteur de ses études de 2016 et 2018 sur la simplification des normes et ancien directeur juridique des ministères sociaux sur la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales : « après le choc de la simplification enfin une thérapie de choc ? »

Charles Touboul, maître des requêtes au Conseil d'État, rapporteur de ses études de 2016 et 2018 sur la simplification des normes et ancien directeur juridique des ministères sociaux :

Merci beaucoup, Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les Sénateurs. Je suis très heureux d'être avec vous aujourd'hui.

Je vous parlerai très librement, comme ami de la simplification. Je ne m'exprimerai donc pas ici comme directeur d'administration centrale et n'engagerai pas la parole du Conseil d'État.

J'ai un peu travaillé sur ces sujets. Mon expérience des deux ans et demi de crise sanitaire a remis en question certains de mes fondamentaux en matière de production de la norme et de simplification.

J'ai été rapporteur en 2016 de l'étude du Conseil d'État sur la simplification. Cette étude rouvrait la question, après deux rapports, produits en 1991 et 2006. D'une certaine façon, ce troisième rapport constituait déjà un aveu d'échec des recommandations précédentes. La situation n'est guère différente aujourd'hui.

Les lois de simplification se sont pour la plupart avérées des facteurs de complexification. Partant d'un modèle assez pur, elles se sont alourdies au fil des discussions.

Par ailleurs, les études d'impact n'ont pas rempli leurs objectifs. Elles n'ont pas provoqué l'effet dissuasif ou le ralentissement escomptés dans la production de la norme. L'exercice s'avère compliqué et nécessiterait un contrôle effectif. Or, ni le Parlement ni le Conseil d'État ne sont équipés pour assurer un contrôle scientifique. Le Conseil d'État avait suggéré un vrai contrôle technique de la solidité des études d'impact. Il n'a pas été mis en place, mais mériterait peut-être un approfondissement et une expérimentation.

Le contrôle du CNEN est ce qui s'en rapproche le plus. Il porte un regard sur la norme, mais aussi sur son impact financier. Cependant, il demeure encore trop loin des actions nécessaires.

Cela étant, cela ne suffirait pas à changer la situation. Les études d'impact seraient certes plus fiables, mais l'apport politique du Gouvernement et du Parlement doit être pris en considération. Or, la politique n'est pas de la science, sauf à verser dans la technocratie.

Dans ces conditions, ne conviendrait-il pas de conduire des actions totalement nouvelles ?

La crise sanitaire a certes multiplié les normes. Cependant, elle a aussi permis des actions efficaces et inimaginables auparavant, sans modification de la Constitution ni bouleversement de notre système.

Certaines pistes ont d'ores et déjà produit des effets très positifs. Ainsi, des tests de « délégifération » pourraient s'expérimenter dans des microsecteurs extrêmement ciblés. Je ne me risquerai pas à les indiquer, principalement car l'expérience doit venir du terrain. Évidemment, cela ne saurait concerner des secteurs comme la santé publique ou la sécurité, compte tenu des risques pour l'intérêt général. Si ces tests sont positifs, ils pourront redonner de la liberté aux acteurs.

Une autre piste consisterait à étendre le « deux pour un ». Actuellement, toute proposition de norme réglementaire, essentiellement de décret, doit être gagée par deux suppressions ou deux simplifications dans le même champ. Les résultats sont très bons, mais l'assiette très réduite. Elle est circonscrite au pouvoir réglementaire autonome, non aux décrets d'application des lois.

Son élargissement passerait par une extension du dispositif à certains champs législatifs. Une révision de la Constitution n'apparaît pas envisageable pour de multiples raisons. En revanche, rien n'interdirait au Parlement de s'autolimiter de façon expérimentale sur certains champs. Le Sénat dispose d'une expérience similaire en matière du droit du travail, puisqu'il s'engage de lui-même à parler d'abord aux partenaires sociaux de ses propositions de réforme.

Enfin, la surveillance parlementaire de l'application des lois s'avère particulièrement efficace. Elle a conduit le Gouvernement à mettre en place un système de suivi très lourd dans les administrations. L'obligation pour le Gouvernement de s'équiper face à un suivi pointu et ciblé du Parlement serait intéressante en matière de simplification.

Ainsi, le Parlement pourrait peut-être mettre en place un observateur ou un défenseur de la simplification, particulièrement dans le domaine des collectivités territoriales. À mon sens, cela se ferait sans doute en lien avec le CNEN qui occupe déjà cette position de vigie. Cela doit pouvoir se réaliser de manière souple. Si vous le jugiez opportun, vous disposez de tous les leviers, sans modifier pour autant la Constitution. Je parle de faisabilité technique, non d'opportunité à agir.

Ainsi, certaines pistes, déjà tentées, pourraient être approfondies. D'autres, notamment la dernière, sont plus novatrices. En revanche, renoncer serait dommage.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion