Intervention de Eric Jeansannetas

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 7 décembre 2022 à 10h00
Proposition de loi tendant à renforcer la protection des épargnants — Désignation d'un rapporteur

Photo de Eric JeansannetasEric Jeansannetas, rapporteur spécial de la mission « Sport, jeunesse et vie associative » :

Le 15 février 2022, Willy Schraen, président de la Fédération nationale des chasseurs, a en effet déposé sur la plateforme dédiée du Sénat une pétition qui vise à « la fin de la réduction fiscale pour les dons aux associations qui utilisent des moyens illégaux contre des activités légales ».

À la fin du mois de juin 2022, la pétition a dépassé le seuil des 100 000 signatures. La Conférence des présidents a décidé d'y donner suite en la renvoyant à la commission des finances. Par la suite, notre commission a fait le choix de mettre en place une mission d'information « flash » sur le champ et la mise en oeuvre effective des mécanismes de suspension des avantages fiscaux pour les dons aux associations.

Le rapporteur général et moi-même, en ma qualité de rapporteur spécial de la mission « Sport, jeunesse et vie associative », avons mené onze auditions entre les mois de juillet et octobre. Nous avons entendu des représentants des chasseurs, du monde agricole, ainsi que des représentants des associations et les administrations concernées.

Nous avons souhaité, dans le cadre de ces travaux, faire le bilan des dispositifs existants et formuler des recommandations sur la mise en oeuvre des mécanismes de suspension des avantages fiscaux pour les associations.

La réduction d'impôt sur le revenu pour les dons aux associations d'intérêt général, codifiée à l'article 200 du code général des impôts (CGI), est une dépense fiscale ancienne ; elle date, pour être précis, des débuts de la IVe République. Elle a vocation à encourager les contribuables à s'impliquer dans le développement du tissu associatif, qui est l'une des pierres angulaires de la société civile. À cet égard, cette réduction d'impôt fait figure de symbole, et le monde associatif a souvent rappelé lors des auditions son attachement au régime du mécénat.

D'ailleurs, d'autres réductions fiscales ont été mises en place sur ce modèle ; je pense au régime du mécénat applicable pour les entreprises, et à la réduction d'impôt sur la fortune immobilière pour les dons.

Aujourd'hui, la réduction fiscale pour les dons constitue le principal soutien public en faveur des associations. En 2021, on estime à 4,8 millions le nombre de foyers fiscaux donateurs, pour un montant de 2,8 milliards d'euros. Le montant total de la réduction fiscale prévue à l'article 200 du CGI est de 1,6 milliard d'euros.

Cette réduction fiscale repose sur une double relation de confiance. D'un côté, les associations n'ont pas à se prévaloir d'une autorisation préalable pour émettre des reçus fiscaux ouvrant droit à la réduction d'impôt pour les dons. De l'autre, les contribuables doivent pouvoir donner aux causes qui leur tiennent à coeur en ayant la garantie suffisante que les activités menées par les associations respectent la loi.

C'est pour cette raison qu'il n'est pas acceptable que des associations qui commettent des infractions puissent bénéficier indirectement d'un soutien public grâce à cette réduction d'impôt. L'ensemble des personnes auditionnées ont d'ailleurs réaffirmé ce principe. Nous avons notamment reçu des témoignages de violences et de dégradations commises envers des chasseurs et des agriculteurs. Leurs représentants ont exprimé leur inquiétude légitime face à de tels actes et craignent que des associations qui commettent ou soutiennent ces actes puissent parallèlement bénéficier de la réduction d'impôt pour les dons. Tel est d'ailleurs l'objet de la pétition qui a mené à la création de cette mission d'information.

Bien entendu, la mission n'a pas vocation à porter des accusations sur certaines associations en particulier ni la compétence de mener une enquête sur celles qui commettraient des infractions. En revanche, nous nous sommes attachés à vérifier que les mécanismes de suspension du régime du mécénat qui existent aujourd'hui répondent aux enjeux que je vais présenter brièvement.

Tout d'abord, la Cour des comptes a la possibilité de contrôler la conformité des dépenses à l'appel à la générosité publique, et le ministre chargé des comptes publics peut, à la suite d'une déclaration de non-conformité de la Cour, décider de suspendre les avantages fiscaux de l'association.

Ce contrôle porte sur des associations qui présentent des enjeux financiers importants et qui montrent des signes de difficultés de gestion. Ce sont des cas qui ne correspondent pas exactement à ceux de l'objet de la pétition, qui visent les associations qui pourraient mener ou soutenir la réalisation d'infractions de droit commun. Nous nous sommes donc davantage concentrés sur les autres mécanismes de contrôle.

Depuis l'entrée en vigueur le 1er janvier 2022 de l'article 18 de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, l'administration fiscale peut contrôler sur place que les associations qui émettent des reçus fiscaux respectent les conditions prévues par la loi. Ce dispositif étant entré en vigueur il y a moins d'un an, le retour d'expérience de son application n'est pas encore possible. Toutefois, nous en avons étudié la portée.

Enfin, depuis 2009, le paragraphe II de l'article 1378 octies du CGI prévoit un mécanisme de suspension automatique de la réduction d'impôt pour les dons aux associations pour celles qui ont été définitivement condamnées au pénal pour certaines infractions - l'abus de confiance, l'escroquerie, les actes de terrorisme, le blanchiment d'argent, le recel, l'usage de menace ou de violence à l'égard d'un agent public et l'atteinte à la vie d'autrui par la diffusion d'informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle.

Le rapporteur général va maintenant détailler la mise en application concrète de ces mécanismes et présenter nos recommandations qui découlent de nos constats.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - S'agissant, tout d'abord, du contrôle opéré en vertu de l'article 18 de la loi précitée, nous avons constaté qu'il subsistait une ambiguïté : l'administration fiscale se borne-t-elle à effectuer un contrôle formel de l'objet de l'association avec l'une des catégories mentionnées à l'article 200 du CGI, ou mène-t-elle un contrôle approfondi des moyens utilisés pour que l'association remplisse ses objectifs ?

Pour prendre un exemple, une association qui utilise des moyens illégaux dans un objectif d'intérêt général, comme la défense de l'environnement, peut-elle bénéficier de la réduction d'impôt pour les dons ? La direction générale des finances publiques (DGFiP) nous a répondu qu'une association qui utiliserait des moyens illégaux pour des objectifs relevant du régime du mécénat ne serait pas autorisée à émettre des reçus fiscaux. Cela confirme que notre arsenal juridique comprend déjà un dispositif permettant de suspendre le bénéfice de la réduction d'impôt sur les dons pour les associations qui commettent des infractions, même si leurs objectifs entrent dans le cadre de l'article 200 du CGI.

Néanmoins, relevons que la suspension des avantages fiscaux n'est pas automatique dans le cadre de cette procédure. Les services de la DGFiP disposent d'une marge d'appréciation pour savoir quels actes illégaux seraient passibles ou non d'une suspension de l'avantage fiscal pour les dons.

En revanche, comme Éric Jeansannetas vient de l'indiquer, dans certains cas, la DGFiP est obligée de suspendre le régime du mécénat, comme prévu au paragraphe II de l'article 1378 octies du CGI.

Dans la disposition originelle, qui date de 2009, la liste des infractions était limitée à l'abus de confiance et à l'escroquerie. La loi du 24 août 2021 en a étendu le champ, en y intégrant d'autres infractions, que nous vous avons citées. Il a fréquemment été évoqué, notamment lors de l'examen du projet de loi de finances, l'opportunité d'élargir une nouvelle fois ce mécanisme de suspension automatique. Toutefois, nous nous sommes aperçus qu'il convenait avant tout de s'assurer de l'application effective des mesures déjà adoptées.

Si l'administration fiscale exerce désormais un contrôle de la régularité des dons aux associations, elle n'est pas pour autant juge au fond de la légalité des actions que mènent ces structures.

Nous avons bien sûr conscience des difficultés que cela engendre chez les personnes victimes de ces infractions. Mais les associations peuvent aussi compter parmi leurs membres des personnes qui commettent des actes illégaux, sans même le savoir ni cautionner leurs agissements coupables. La détermination des infractions relève avant tout de l'enquête et de la procédure judiciaires, et non de l'action de l'administration fiscale.

L'articulation entre l'exercice de la justice pénale et le contrôle de l'administration fiscale est donc essentielle dans la mise en oeuvre des mécanismes de suspension de la réduction fiscale pour les dons aux associations. Or, nous nous sommes rendu compte au cours de cette mission que cette articulation est tout simplement absente en ce qui concerne le mécanisme de suspension automatique des avantages fiscaux pour les dons aux associations. Il n'existe en effet aujourd'hui aucun circuit qui permet à l'administration fiscale de prendre connaissance des associations ayant été condamnées pour ces infractions, et donc de suspendre leurs avantages fiscaux.

Ainsi, depuis son entrée en vigueur en 2009, le mécanisme de suspension automatique du régime du mécénat n'a jamais été appliqué. Il est pour le moins préoccupant, et même navrant, que cette disposition n'ait jamais été mise en oeuvre depuis treize ans...

Notre première recommandation est donc très simple : il faut mettre très rapidement en place les outils permettant d'appliquer le mécanisme de suspension automatique de la réduction fiscale pour les dons aux associations en cas de condamnation pénale définitive pour certaines infractions. Les juridictions pénales doivent pouvoir transmettre à l'administration fiscale la liste des décisions définitives concernées par les dispositions du paragraphe II de l'article 1378 octies du CGI. En sens inverse, il est nécessaire que l'administration fiscale communique à la direction des affaires criminelles et des grâces la liste des organismes à but lucratif faisant appel à la générosité du public.

Ces échanges de données permettront - c'est notre deuxième recommandation - de produire des statistiques sur le nombre d'associations condamnées en vertu de l'une des infractions susmentionnées.

Les remontées de données provenant de l'autorité judiciaire pourraient également permettre à l'administration de lancer un contrôle de la régularité des dons, sur le fondement de l'article L. 14 A du livre des procédures fiscales, tel qu'il a été modifié par l'article 18 de la loi précitée. C'est ainsi que la suspension du régime du mécénat pourrait être décidée dans l'un ou l'autre de ces cas.

Nous recommandons donc de finaliser les conditions de mise en oeuvre de la nouvelle procédure de contrôle de la régularité des dons aux associations issue de l'article 18 de la loi précitée, et de mettre en place un suivi quantitatif des décisions qui sont prises sur son fondement.

Pour conclure, la mission déplore l'absence, à l'heure actuelle, d'un véritable contrôle de l'éligibilité à la réduction fiscale pour les dons aux associations, faute de la mise en place d'un circuit entre l'autorité judiciaire et l'administration fiscale. La raison de cette carence ne provient pas d'une lacune des textes législatifs, qui couvrent aujourd'hui déjà un grand nombre de cas, mais simplement d'un défaut d'application de ces textes. Il est indispensable que tout soit mis en oeuvre pour que ce contrôle soit rendu opérationnel le plus rapidement possible, afin que soit préservée la double relation de confiance au fondement du régime fiscal des dons.

C'est seulement une fois que nous aurons un réel retour d'expérience sur ces dispositifs que nous pourrions envisager de les ajuster, si nécessaire.

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