Nous allons maintenant examiner les conclusions du rapport d'information sur les perspectives du processus de paix au Proche-Orient. Je présenterai les principales conclusions du rapport, puis chacun pourra exprimer son point de vue ou celui de son groupe.
J'ai conduit du 26 juin au 2 juillet 2022 une délégation composée de nos collègues Olivier Cigolotti, Guillaume Gontard, Pierre Laurent, Sylvie Goy-Chavent et Nicole Duranton en Israël et dans les Territoires palestiniens de la bande de Gaza. Mickaël Vallet faisait partie de la délégation, mais il a été touché par la covid dès le premier jour et n'a pu participer à l'ensemble du programme.
Cette mission avait pour thème l'avenir du processus de paix au Proche-Orient, un sujet d'une haute sensibilité sur lequel nul d'entre nous n'ignore les divergences politiques qui existent au niveau international, entre les acteurs de la région, mais aussi à notre niveau sur la question de la reconnaissance de la Palestine comme un État souverain. C'est pourquoi, en accord avec le bureau de notre commission, j'avais demandé et obtenu une dérogation à nos règles de déplacement, afin que tous les groupes politiques du Sénat qui le souhaitaient soient représentés, avec donc sept sénateurs.
Après la résolution 181 de l'ONU de 1947, il y a 75 ans, et bientôt 30 ans après les accords d'Oslo instituant la solution à deux États, l'occasion nous était ainsi donnée d'interroger chacune des parties sur les chances de reprise d'un dialogue autour de la solution à deux États, sans ignorer le contexte d'extrême tension sécuritaire et politique qui entourait notre déplacement.
En effet, après la grave crise de Gaza de mai 2021, la situation n'a cessé de se dégrader avec, dans les trois mois précédant notre visite, la mort de 19 Israéliens tués dans des attaques terroristes et de plus de 60 civils palestiniens, du fait des forces de sécurité israéliennes ou de colons. Cette situation s'est depuis encore dégradée, avec un très net regain de violence en Cisjordanie et à Jérusalem, qui a connu un double attentat à l'explosif fin novembre.
Dans le même temps, notre mission a coïncidé avec la dissolution de la Knesset et le lancement de nouvelles élections législatives, les cinquièmes en moins de quatre ans. Comme vous le savez, ces élections se sont tenues le 1er novembre dernier et ont donné une assez large victoire au Likoud. À l'heure où nous parlons, Benjamin Netanyahou est toujours en train de négocier des accords de coalition, en vue de former un nouveau gouvernement.
Compte tenu de ce contexte, il est important de saluer l'excellent accueil qui nous a été réservé par la Knesset à Jérusalem puis par l'Autorité palestinienne à Ramallah. J'en profite également pour souligner les efforts déployés par notre ambassade, et ceux de notre consulat, qui a rendu possible la visite à Gaza de l'antenne de l'Institut français, ainsi que d'une usine de traitement des eaux financée par l'Agence française de développement (AFD) et l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). Je souligne le formidable travail réalisé par la France dans les Territoires palestiniens.
Nous avons donc été reçus à haut niveau, et les deux parties, israélienne et palestinienne, nous ont exprimé leurs positions sur la question du processus de paix. Il est ressorti de nos entretiens et visites de terrain un état des lieux très inquiétant : une tension extrême, une montée des radicalismes et le risque d'une rupture irréversible du processus de paix.
Les priorités pour Israël, comme cela nous a été dit clairement, sont la sécurité et la lutte contre le terrorisme, le regard tourné vers l'Iran. De fait, nous avons vu que la crise de Gaza de mai 2021 a mis en évidence l'exposition de tout le territoire aux tirs de roquettes provenant de la bande de Gaza, du Hamas et du Jihad islamique, plus extrémiste encore, mais aussi du Liban et du Hezbollah. Nous sommes descendus dans les fameux tunnels creusés par les terroristes à la frontière entre le Liban et Israël, pour infiltrer le territoire israélien.
Les principales formations politiques de la Knesset que nous avons rencontrées sont convaincues que la principale menace sur l'existence de l'État d'Israël est l'Iran, en raison de son programme nucléaire et balistique ainsi qu'à cause de ses ramifications au Liban via le Hezbollah, ou dans les Territoires palestiniens, par l'intermédiaire du Hamas et du Jihad islamique.
L'échiquier politique israélien relègue la question palestinienne au second plan, compte tenu de la nécessité de composer avec des coalitions où les partis les plus radicaux rejettent toute relance d'un processus de paix. Ainsi, même si le parti Yesh Atid de Yaïr Lapid soutenait la solution à deux États, il n'a pu progresser sur ce sujet en raison de l'absence d'accord de plusieurs partis de sa coalition. Il n'en sera pas autrement pour la nouvelle coalition que Benjamin Netanyahou s'efforce de mettre en place, dont certains membres soutiendraient même l'idée d'une annexion de la Cisjordanie.
Pour l'Autorité palestinienne, la reconnaissance de la souveraineté de la Palestine constitue toujours l'objectif politique majeur.
De notre entretien avec le Premier ministre, Mohammad Shtayyeh, nous avons bien saisi l'appel en direction de la France et de l'Europe face au désengagement américain et à l'absence d'initiative en faveur d'un processus politique de résolution du conflit israélo-palestinien. Plus largement, la viabilité d'une Palestine indépendante est remise en cause par la poursuite de la politique de colonisation et la discontinuité territoriale des Territoires palestiniens, dont on prend bien la mesure sur place.
De nos visites à Bethléem, Hébron et Jérusalem-Est, nous comprenons le découragement devant l'absence de perspective d'accession à l'indépendance et la dégradation généralisée de la situation. À Hébron, des rues de la vieille ville sont fermées par des murs, de chaque côté desquels les populations s'épient et s'agressent. Cette perte d'espoir et de perspectives est en soi un important facteur de risque. Concrètement, l'Autorité palestinienne pourrait être débordée par des mouvements encore plus radicaux que le Hamas.
Les éléments que nous vous livrons ici ne sont bien sûr que très partiels, et plus de précisions figureront dans le rapport. Toujours est-il que si j'ai veillé à respecter un équilibre dans l'organisation de cette mission entre nos partenaires israéliens et palestiniens, cela ne signifie pas que nous jugions la relation entre Israël et les Territoires palestiniens comme égale et équilibrée. Mes collègues, et notamment Pierre Laurent et Guillaume Gontard, pourront compléter mes propos sur l'asymétrie des rapports israélo-palestiniens, dans lequel seul Israël détient les pouvoirs d'un État souverain, et sur le nécessaire respect du droit international. Le rapport rappellera bien sûr la position de la France en faveur de la solution à deux États, avec d'une part le droit d'Israël à exister et à vivre en sécurité, et d'autre part la création d'un État palestinien, vivant dans des frontières sûres et reconnues. Cette position va de pair avec le respect du droit international et la condamnation ferme de toute politique de colonisation.
J'en viens au rôle de la France. Nos interlocuteurs nous ont fait remarquer que la France continuait à avoir un rôle à jouer en raison de son influence dans la région, notamment au Liban, en Jordanie et en Égypte, mais aussi de par sa présence institutionnelle et historique, notamment au titre de ses domaines nationaux de Jérusalem et de l'antenne de l'Institut français à Gaza, laquelle se situe dans une zone ayant connu de nombreux bombardements. C'est une fierté de voir que la France est présente auprès de la population de Gaza, pour offrir un regard sur le monde et sur notre culture à des habitants dont la plupart ne sont jamais sortis de l'enclave - notons qu'aucune mission sénatoriale ne s'était rendue à Gaza depuis près de 18 ans.
Côté israélien, il y a une demande et un intérêt mutuel bien compris de renforcement du dialogue politique et interparlementaire. Côté palestinien, nous avons bien entendu le besoin de soutien financier et politique que la France peut apporter soit directement, soit par son entremise avec l'Union européenne et les Nations unies.
J'en viens maintenant à nos conclusions sur cette mission. Soyez rassurés, nous n'avons pas la prétention de proposer des recommandations sur un dossier qui n'a pas pu être réglé en 75 ans. On voit bien ce que deviennent les plans de paix et les conventions internationales de toutes sortes. Je me contenterai de vous proposer tout au plus quelques constats et quelques pistes de réflexion consensuelles, élaborées par l'ensemble des commissaires ayant réalisé ce déplacement.
S'agissant des constats, force est de reconnaître que le processus de paix se trouve dans une triple impasse de politique intérieure israélienne - l'élection de Benjamin Netanyahou ne devrait d'ailleurs pas favoriser les choses -, de déficit de légitimité de l'Autorité palestinienne et de paralysie du « Quartet pour le Moyen-Orient » composé des États-Unis, de la Russie, de l'Union européenne et des Nations unies. Mais le statu quo est-il possible ? La solution d'un État unique trouve un écho auprès de Palestiniens qui désespèrent du blocage du processus de paix et espèrent un meilleur développement économique, mais cette solution est-elle viable et acceptable ?
Toutes les parties prenantes s'accordent sur le fait que la solution à deux États n'est pas viable dans les paramètres actuels. Mais pour autant, il ne faut pas oublier que le statu quo et l'absence de résolution du conflit israélo-palestinien restent une source de danger pour la société israélienne elle-même : la crise de Gaza a embrasé la société israélienne avec des affrontements intra-israéliens entre juifs et arabes, bien au-delà de l'affrontement entre Israël et le Hamas.
La solution à un seul État a semblé poser des problèmes insurmontables à tous nos interlocuteurs, qu'il s'agisse de problèmes démographiques ou consubstantiels à la judéité de l'État d'Israël, mais aussi, du point de vue palestinien, des risques de ségrégation et d'apartheid pour les droits des Palestiniens.
Aussi, pour reprendre le célèbre aphorisme de Winston Churchill, nous pourrions en arriver à la conclusion que la solution à deux États est la pire des solutions, à l'exception de toutes les autres.
J'en viens donc aux pistes de réflexion que nous proposons. Comment redonner un espoir au processus de paix, avec un horizon politique et un nouvel agenda ?
Il faut admettre que la solution à deux États est devenue une posture purement incantatoire, dans laquelle les parties, la communauté internationale et nous-mêmes, avec notre diplomatie, nous nous sommes enfermés. Soutenir concrètement la solution à deux États doit nous conduire à établir un diagnostic qui tienne compte des nouveaux paramètres de la situation et de ce que veulent vraiment les populations, en Israël et en Palestine.
Nous proposons de fixer comme premier objectif que la France et l'Union européenne reprennent l'initiative politique, afin, dans un second objectif, de réfléchir à une nouvelle feuille de route, un nouvel agenda « pas à pas » pour le processus de paix. Cette expression a été reprise avec insistance par plusieurs de nos interlocuteurs : les plans tout faits, comme celui de Jared Kushner, sont voués à l'échec, et le processus sera très lent. Pour mettre en oeuvre ces deux objectifs, nous vous proposons douze pistes de réflexion.
La première, c'est de réaffirmer que la solution à deux États est la seule voie possible et acceptable par toutes les parties. Il vaut mieux tordre le cou à l'idée d'un seul État, rejetée par les deux parties pour des raisons différentes.
Notre deuxième proposition est de préparer, à l'initiative de la France, une conférence internationale pour établir un diagnostic et étudier les paramètres d'une relance du processus de paix israélo-palestinien. Mais, pour qu'il ne s'agisse pas d'une énième conférence internationale sans lendemain, il faudrait qu'un groupe de travail s'attache en amont à élaborer avec toutes les parties prenantes un nouveau diagnostic de la situation, en remettant à plat les paramètres d'application de la solution à deux États et cesser d'en parler de manière incantatoire. Tant du côté israélien que du côté palestinien, les choses ont énormément changé : il faut prendre en compte les évolutions de la population et des problématiques internationales, comme le fait que les Palestiniens se sentent oubliés, y compris du monde arabe. Avant d'organiser une conférence internationale, il faut donc un groupe de travail réunissant toutes les parties prenantes pour établir un nouveau diagnostic de la situation.
Notre troisième proposition est d'appeler l'Union européenne à s'emparer du volet politique du processus de paix, en plus de son rôle de bailleur financier et humanitaire. Nous ne pouvons que constater qu'en matière diplomatique et politique, l'Union européenne est trop absente.
Notre quatrième proposition est d'associer à la démarche les États riverains, l'Égypte, la Jordanie et le Liban, ainsi que les pays partenaires des accords d'Abraham. La commission des affaires étrangères a réalisé ou va mener en 2023 des déplacements dans ces pays, et il nous faut réunir les travaux des rapports précédents. Les accords d'Abraham méritent de faire l'objet d'un examen précis, car des pays qui se combattaient autrefois s'entendent désormais pour des intérêts régionaux qui dépassent le sort des populations, comme la confrontation entre l'Arabie Saoudite et l'Iran en témoigne.
Notre cinquième recommandation est de s'appuyer sur la mission institutionnelle de la France en Israël et en Palestine, au titre notamment des domaines nationaux de la France à Jérusalem, de l'Institut français de Gaza et de ses actions de coopération en matière de développement. La présence française est immédiatement identifiable, notamment dans le domaine culturel, mais pas seulement.
Notre sixième proposition est d'intensifier les relations interparlementaires, notamment pour préciser le diagnostic et les paramètres de relance du processus de paix. Israël se plaint d'insuffisants contacts, tant entre les dirigeants gouvernementaux qu'entre les parlements, et notamment entre les groupes d'amitié. Entendons-les.
Pour le second objectif, qui vise à promouvoir une nouvelle feuille de route, voici six autres préconisations.
D'une part, il faut recenser les irritants et réfléchir à une levée progressive des points de blocage de la solution à deux États.
Puis, nous devons examiner les conditions d'implantation à Jérusalem-Est d'une capitale de droit pour la Palestine. Ce sujet est épineux, car le contentieux revient de manière permanente, le principal argument avancé par les Palestiniens pour ne pas organiser d'élections étant qu'Israël ne permet pas l'organisation de ces élections à Jérusalem-Est.
Notre troisième recommandation est de réfléchir à la question de la reconnaissance officielle de l'État de Palestine, à condition de l'assortir d'un calendrier partagé d'accession « pas à pas » à la souveraineté, cette progression devant permettre de faire accepter la situation nouvelle.
Quatrième recommandation, il faut fixer un agenda démocratique pour la Palestine avec une garantie internationale sur le déroulement du scrutin en Cisjordanie, à Gaza et à Jérusalem-Est. Une part des critiques faites aux Palestiniens est d'être incapables d'introduire un processus démocratique : il n'y a pas eu d'élection depuis 16 ans. En plus de l'opposition entre le Hamas et l'Autorité palestinienne, le Jihad islamique apparaît encore plus radical que le Hamas.
Notre cinquième recommandation est d'appeler Israël à abandonner la stratégie de colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Lorsque l'on visite Israël, les murs et les séparations sont effroyables. À Hébron, l'hostilité entre les deux communautés est la plus forte. Dans une rue qui sépare les deux communautés, les Israéliens ont l'habitude de jeter les pires déchets sur la tête des Palestiniens, et la rue doit être couverte de grillages de protection. Nous avons constaté dans cette ville de très fortes tensions entre les communautés, et notamment l'hostilité de colons juifs d'origine américaine.
Enfin, nous terminons par un voeu pieux : celui d'engager les parties à s'abstenir de toute provocation ou action susceptible d'aggraver la situation, afin d'engager une désescalade de la violence.
J'ai résumé nos principales pistes de réflexion qui font l'objet d'un consensus. Je propose que les collègues ayant participé à cette mission éreintante et passionnante prennent désormais la parole.
Nous reviendrons peut-être sur le fait que j'ai dû personnellement insister auprès des autorités militaires et intervenir auprès de la Knesset pour obtenir, grâce à cette dernière, que nous puissions entrer à Gaza, alors que ce voyage avait été négocié depuis longtemps, avec un engagement de notre part sur le programme des visites. Nous avions également dû insister pour voir les installations du « dôme de fer ».