Intervention de Éric Jalon

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 14 décembre 2022 à 9h00
Régime juridique du secours en mer et accueil des personnes débarquées — Audition de M. éric Jalon directeur général des étrangers en france au ministère de l'intérieur et des outre-mer

Éric Jalon, directeur général des étrangers en France :

Les mineurs non accompagnés ont été confiés à l'ASE, ainsi que le prévoient les textes, dès l'après-midi du 11 novembre, après un passage de quelques heures dans le site d'hébergement de Giens, même s'ils n'ont pas juridiquement été placés en zone d'attente.

Concernant l'articulation entre notre cadre juridique sur l'asile à la frontière et le cadre communautaire, vous avez tout à fait raison, monsieur Leconte : dès lors qu'une personne a été admise à pénétrer sur le territoire national pour y déposer une demande d'asile, c'est l'Ofpra qui doit examiner la demande. Nous sommes donc redevables de l'examen de l'ensemble des demandes d'asile qui ont été présentées. Le cadre des relocalisations repose sur une double volonté : celle, d'une part, de l'État qui accueille volontairement la relocalisation et endosse ainsi la responsabilité de la demande d'asile, sur le fondement de l'article 17 du règlement de Dublin ; celle, d'autre part, de la personne relocalisée. Notre cadre ne va pas plus loin que cela, en attendant la fin des négociations sur le Pacte sur la migration et l'asile.

Après la déclaration de La Valette, en 2019, conséquence de l'épisode de l'Aquarius, et après la décision prise en juin, sous présidence française de l'Union européenne, d'instaurer un mécanisme volontaire de solidarité, il s'agit maintenant de donner un cadre législatif plus ferme, plus contraignant, plus engageant, à ce dispositif de relocalisation.

Les choses se seraient-elles passées différemment si l'Ocean Viking avait débarqué dans le ressort d'un autre tribunal judiciaire ? En l'occurrence, les moyens du tribunal judiciaire de Toulon ont été renforcés : cinq JLD ont été mobilisés par la cour d'appel d'Aix-en-Provence pour venir en renfort du tribunal judiciaire. Le débarquement eût-il eu lieu Marseille, on aurait été dans le ressort de la même cour d'appel et la marge de manoeuvre disponible n'aurait pas été très différente.

Quid des enseignements que l'on peut tirer de cette expérience ? La situation de l'Aquarius, en juin 2018, était différente : à ma connaissance, ce navire n'avait pas pénétré dans la zone de responsabilité Search and Rescue française. À la suite de la décision prise par le gouvernement italien de fermer ses ports, les débarquements de personnes avaient été gérés au cas par cas, de manière bilatérale, par quelques États membres volontaires, dont la France, qui avait eu un rôle pionnier en la matière. Un mécanisme temporaire avait ensuite été mis en place, le 23 septembre 2019, par quatre pays - France, Allemagne, Italie, Malte - dans la déclaration de La Valette.

Malgré cette déclaration, les débarquements de navires de sauvetage sont restés suspendus à des négociations souvent longues entre les États membres. Le Pacte sur la migration et l'asile présenté par la Commission européenne le 23 septembre 2020 a notamment pour objet de définir des procédures de solidarité obligatoires, concernant en particulier la répartition des personnes secourues en mer ; les négociations afférentes ne sont pas encore abouties. La présidence française a permis l'adoption d'une déclaration de solidarité qui crée un mécanisme temporaire et volontaire de relocalisation de 10 000 personnes par an - c'est ce mécanisme qui a été suspendu pour ce qui est des relocalisations de l'Italie vers la France à la suite de l'accueil de l'Ocean Viking. La Commission européenne a par ailleurs émis des recommandations relatives à la coopération entre les États membres en matière de secours en mer, et un groupe de contact censé faciliter la coordination des activités des États membres avec celles des ONG s'est réuni deux fois en 2021. À l'occasion du Conseil « Justice et affaires intérieures » exceptionnel du 25 novembre dernier, il a été proposé de réactiver ce groupe.

Nous avons donc à présent une feuille de route, signée sous présidence tchèque le 7 septembre 2022, en vue de l'adoption avant la fin de la législature européenne d'un certain nombre de textes, dont celui qui permettra de consolider le cadre juridique des opérations de relocalisation.

Monsieur Reichardt, les espaces maritimes sont divisés en zones dites Search and Rescue placées chacune sous la responsabilité d'un État via son MRCC.

En l'espèce, de ce que je comprends des informations qui nous avaient été données par l'ONG SOS Méditerranée, six opérations de secours se sont faites dans les eaux libyennes et maltaises ; et, toujours selon l'ONG, les autorités libyennes et maltaises n'ont pas répondu aux demandes d'assignation d'un port sûr. Ce bateau continuant sa navigation vers le nord, il a fini par se trouver dans les eaux françaises. Et les autorités françaises ont considéré, en application du droit international applicable au secours en mer, qu'il était de leur responsabilité de leur assigner un port sûr - le secrétaire général de la mer vous donnera l'ensemble des précisions nécessaires.

Y a-t-il matière à redire quant à l'intervention des ONG ? Plus exactement, il nous semble nécessaire de mieux encadrer les opérations des ONG en précisant leurs droits et obligations et en mettant en place un cadre de coopération plus clair entre les États de la Méditerranée et lesdites organisations, pour davantage de coopération et d'anticipation. C'est ce qu'a redit le Conseil « Justice et affaires intérieures » réuni de manière exceptionnelle le 25 novembre à la demande de la France : les ministres y ont souligné « la nécessité de prévenir les pertes de vie en mer et ont soutenu l'intention de la Commission de relancer le groupe de contact européen sur la recherche et le sauvetage afin, entre autres, d'élaborer un cadre de coordination et de coopération avec tous les acteurs impliqués dans les opérations ». Dit autrement, il s'agit d'établir un cadre de bonnes pratiques avec les ONG. Je ne m'étendrai pas sur le comportement de ces dernières. On lit beaucoup de choses à ce sujet, avec des coupures de transpondeurs alléguées par exemple, mais tel n'est pas le champ de compétence de la direction générale des étrangers en France. En tout état de cause, le constat de la nécessité de reprendre ce travail d'élaboration d'un cadre de coordination est criant.

Concernant le nombre de demandes d'asile, en 2022, environ 13 000 demandes sont enregistrées chaque mois, ce qui devrait engendrer un total de 125 000 à 135 000 demandes à la fin de l'année, soit un niveau proche de celui historiquement record de 2019. Ce dernier sera d'ailleurs probablement dépassé en 2023 si la tendance actuelle se poursuit.

Dans le cas qui nous occupe, il s'agit de 190 personnes majeures, ce qui est peu au regard du nombre de demandes d'asile adressées à la France. Rapporté à sa population, le nombre de demandeurs d'asile accueillis en France est moins important que celui de certains pays européens, mais plus important, par exemple, que celui de l'Italie.

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