Intervention de Catherine Vidal

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 17 novembre 2022 : 1ère réunion
Audition de M. Gilles Lazimi et Mme Catherine Vidal membres du hce

Catherine Vidal, membre de la Commission « Santé, droits sexuels et reproductifs » du HCE :

Bonjour à toutes et à tous et merci de votre invitation. Entrons immédiatement dans le vif du sujet. J'ai eu l'honneur d'être sollicitée par le HCE pour rédiger ce rapport, intitulé Prendre en compte le sexe et le genre pour mieux soigner : un enjeu de santé publique. Il part d'un constat, celui de la persistance des inégalités sociales de santé entre les femmes et les hommes, avec pour conséquence des discriminations dans l'accès aux soins et la prise en charge médicale. L'importance de ces questions a conduit un certain nombre de pays, surtout en Europe du Nord, aux États-Unis et au Canada, à intégrer la thématique « genre et santé » dans les plans stratégiques des institutions de recherche et de médecine et dans les politiques de santé publique. Dans ce domaine, la France est en retard.

Ce rapport a pour objectif de montrer que la prise en compte du genre, alliée à celle du sexe, est source d'innovations dans la médecine, la recherche et les politiques de santé. Il a pour spécificité de reposer sur une approche scientifique au niveau international basée sur des sources robustes issues d'articles de recherche publiés dans des revues internationales. Les enquêtes épidémiologiques que nous citons sont elles aussi validées quant à la taille des échantillons et aux tests statistiques. Les publications en question datent de moins de dix ans. Ces points sont primordiaux pour comprendre l'évolution des connaissances dans ce domaine.

D'abord, une distinction doit être opérée entre les notions de différences et d'inégalités dans la santé. Les premières sont liées au sexe biologique, aux caractéristiques spécifiques des hommes et des femmes au niveau des gènes, des cellules, des organes ou des hormones. Les secondes relèvent en revanche de facteurs sociaux, culturels et économiques dans lesquels le genre joue un rôle prépondérant. Nous pouvons notamment citer 1) les représentations sociales liées aux genres féminins et masculins, qui influencent à la fois les attitudes des patients et celles des soignants, 2) la précarité économique qui touche plus particulièrement les femmes, et 3) les violences et agressions sexuelles dont elles sont les premières victimes.

C'est l'interaction complexe de tous ces facteurs biologiques, environnementaux, sociaux liés au genre qui est source d'inégalités de santé entre les femmes et les hommes, et aussi, hélas, de discriminations dans l'accès aux soins et à la prise en charge médicale.

Abordons à présent quelques exemples, en commençant par la durée de vie. Les femmes vivent en moyenne plus longtemps que les hommes. Leur espérance de vie à la naissance est de 85,4 ans, contre 79,3 ans pour les garçons, ce qui correspond à un écart de six ans. Il est important aussi de considérer l'espérance de vie en bonne santé, sans aucune limitation ou incapacité majeure. L'écart se réduit à un an et demi : 64,4 ans pour les hommes et 65,9 ans pour les femmes. Ainsi, ces dernières vivent plus longtemps que leurs homologues masculins, mais elles passent plus de temps en mauvaise santé. Les raisons sont multiples : y participent le diagnostic tardif de certaines pathologies et la précarité économique avec renoncement aux soins et mauvaise hygiène de vie.

Autre exemple emblématique des différences et inégalités de santé, les maladies cardiovasculaires. Elles sont la première cause de mortalité chez les femmes, le cancer du sein n'est qu'à la dixième place. Or les femmes les développent environ dix ans plus tard que les hommes. Pour l'expliquer, on a longtemps privilégié l'hypothèse hormonale. Les oestrogènes jouent un rôle vasoprotecteur face au dépôt de plaque d'athérome dans les artères. La baisse des oestrogènes à la ménopause rendrait les femmes plus vulnérables. Le problème est que le recours au traitement hormonal substitutif s'accompagne de risques d'AVC. Depuis quinze ans, l'incidence d'infarctus a augmenté de 25 % chez les femmes de moins de 50 ans. Cela signifie que le rôle attribué aux oestrogènes n'est pas suffisant face à d'autres facteurs de risques liés, notamment, au mode de vie. Ce constat nous ouvre de nouvelles pistes de recherche. Parmi celles-ci figurent tous les travaux qui montrent qu'il existe, dans les pratiques, des biais dans les diagnostics et l'accès au soin.

L'infarctus du myocarde, en particulier, est sous-diagnostiqué chez les femmes, parce qu'il est considéré - à tort - comme une maladie uniquement masculine, caractéristique des hommes quinquagénaires stressés au travail. Dans la pratique, et cela a été constaté dans plusieurs pays, pour les mêmes symptômes de fatigue et d'oppression dans la poitrine, ceux des femmes ont trois fois plus de chances d'être attribués à des raisons émotionnelles plutôt qu'à des troubles cardiaques. On observe aussi un retard de prise en charge des femmes par rapport aux hommes à l'arrivée aux urgences en cas de suspicion d'infarctus. Notons également que les femmes minimisent leurs symptômes et appellent plus tardivement les urgences. Cela illustre à quel point les normes sociales et les stéréotypes liés au genre influent sur les attitudes des médecins comme sur celles des malades.

Autre pathologie, l'autisme qui touche trois hommes pour une femme. L'origine de la différence de prévalence entre les sexes n'est pas connue mais nous savons qu'il existe un retard au diagnostic chez les filles. Des enquêtes portant sur des milliers d'enfants aux États-Unis ont montré que 37 % des garçons étaient détectés en bas âge, contre seulement 18 % des filles. Or plus on intervient tôt, mieux la maladie est encadrée. Les normes sociales liées au genre jouent un rôle important dans le sous-diagnostic des filles. Si une petite fille présente des comportements de retrait sur elle-même avec un défaut d'interaction sociale, son attitude sera qualifiée de timidité ou de réserve. Chez un garçon, on s'inquiètera en évoquant un trouble de la communication. Les symptômes sont plus discrets chez les filles et donc plus difficiles à détecter par l'entourage, le corps médical et les enseignants.

Le sujet de la dépression est aussi très illustratif des inégalités de santé. Partout dans le monde, les troubles dépressifs touchent deux fois plus de femmes que d'hommes. On a longtemps mis en avant l'hypothèse hormonale : en cause, les changements d'humeurs liés aux menstruations, à la grossesse, à la ménopause, etc. Pourtant, dans l'état actuel de nos connaissances, il n'existe aucune démonstration scientifique d'un rôle unique des hormones dans la dépression par rapport à d'autres facteurs de risques. Le rôle très important de l'environnement culturel, social et économique a été démontré. Des études internationales réalisées dans deux-cents pays montrent que plus le niveau socioéconomique est élevé, plus l'écart entre les hommes et les femmes dans la prévalence de la dépression se réduit. Une étude a comparé les pays d'Europe du Nord et ceux du Sud. Dans ces derniers, les traditions familiales, la dépendance économique, le travail domestique et les violences sont plus présents. Tous ces facteurs sont fortement corrélés avec une forte prévalence des troubles dépressifs. Ainsi, le contexte socioéconomique expose davantage les femmes que les hommes aux risques de dépression.

La maladie d'Alzheimer touche trois femmes pour un homme. L'origine de la différence de prévalence fait l'objet de recherches importantes. La plus grande longévité des femmes n'est pas seule en cause. De nombreux travaux ont montré le rôle de facteurs socioculturels tels que la précarité économique, un niveau d'instruction faible et le manque d'exercice physique. Ces facteurs de risques de la maladie d'Alzheimer touchent davantage les femmes.

En ce qui concerne l'endométriose, c'est dans les années 1990 que cette pathologie a été reconnue par le corps médical comme une atteinte organique. Ce n'est qu'en 2019 que le premier plan national sur l'endométriose a été lancé. Le second plan la reconnaissant comme une maladie de longue durée date de 2022. On notera aussi que ce n'est qu'en 2020 que l'endométriose été intégrée au programme de deuxième cycle des études médicales. Le temps de latence pour sa reconnaissance est frappant. Cela tient à l'histoire de la médecine : au XVIIIe siècle, les femmes étaient considérées comme le sexe faible, avec leur nature souffreteuse et leurs problèmes gynécologiques. Avec le tabou des règles, la plainte des femmes a été trop longtemps occultée. À noter que l'endométriose est une des premières causes d'arrêt de travail en France. Parmi les recommandations du HCE figurent le soutien à la recherche sur cette maladie très mal connue, et aussi l'organisation de formations auprès des médecins du travail et des infirmières scolaires qui ont affaire aux jeunes filles. Ces secteurs de la médecine sont très déficients. Un effort en la matière est nécessaire.

L'ostéoporose est également un sujet dont on ne parle que trop peu. Elle touche une femme sur trois et un homme sur cinq, avec pour conséquences des handicaps et des coûts importants. Un tiers des fractures ostéoporotiques de la hanche concernent des hommes. Or l'ostéoporose est trop souvent considérée comme une maladie de femmes ménopausées, elle est sous-diagnostiquée chez les hommes. Il est à noter que les femmes sont, elles aussi, insuffisamment suivies et traitées pour cette pathologie.

Abordons un sujet qui a longtemps fait débat, à savoir la participation des hommes et des femmes dans les essais cliniques. Aux États-Unis, les années 1950-1960 ont vu l'essor de l'industrie pharmaceutique. Les essais cliniques s'y sont largement développés, mais ils ont hélas été émaillés de deux énormes scandales, ceux de la thalidomide et du Distilbène, ayant occasionné des malformations foetales et des cancers chez les enfants. En conséquence, en 1977, l'agence du médicament américaine a décidé d'exclure les femmes en âge de procréer des essais cliniques de phase 1 et 2. Ce n'est qu'en 1993 que le Congrès américain a voté une loi imposant l'inclusion de femmes dans ces essais, de même que les personnes de minorités ethniques. Cette démarche politique importante a fait suite à la dénonciation de la sous-représentation des femmes dans les essais cliniques par les milieux féministes américains, dans le domaine de la santé notamment. Cette situation s'expliquait en partie par le fait que le risque d'infarctus avant 70 ans était très faible. De plus, on évite d'inclure des personnes âgées dans les essais cliniques à cause des problèmes de comorbidité. Depuis une quinzaine d'années, une évolution très favorable du pourcentage de femmes est constatée. Pour le cancer du poumon, dont les femmes étaient quasiment indemnes auparavant, leur inclusion dans les essais cliniques est passée de 33 % en 1990 à 48 % en 2012. D'après le registre international des essais cliniques (clinicaltrials.gov), tenu par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et le NIH (Institut national de la santé américain), entre 2008 et 2018, toutes pathologies confondues, l'inclusion des femmes est en moyenne supérieure ou égale à 50 %. Ces chiffres peuvent varier selon les années, en fonction du type de pathologie majoritairement étudié à un moment donné. Par exemple, s'il y a des pistes concernant un nouveau médicament pour le cancer de la prostate, la proportion d'hommes dans l'ensemble des essais cliniques sera plus élevée.

Un facteur majeur d'inégalité dans l'accès aux soins et à la prise en charge médicale est la précarité économique : 70 % des travailleurs pauvres sont des femmes. Un tiers des familles monoparentales - des femmes en majorité - vivent sous le seuil de pauvreté. La précarité économique a pour conséquence un renoncement aux soins et une mauvaise hygiène de vie : alimentation déséquilibrée, consommation d'alcool, de tabac, sédentarité. Ces facteurs conduisent à une dégradation de la santé physique et mentale, avec en particulier des problèmes d'obésité, diabète, maladies cardiovasculaires, dépression, etc.

Il faut souligner que les risques professionnels et la pénibilité au travail ne sont pas suffisamment pris en compte chez les femmes. Les cancers d'origine professionnelle sont souvent sous-évalués, notamment le cancer du poumon, qui fait l'objet de très peu d'études. Les facteurs de risques liés aux agents cancérogènes dans le secteur du nettoyage ne sont pas suffisamment documentés. Une étude de l'Inserm a montré une augmentation de 26 % des risques de cancer du sein en cas de travail de nuit. Il est fondamental de sensibiliser les entreprises à ces questions.

Quant aux troubles musculo-squelettiques, ils sont plus présents chez les femmes qui sont majoritaires dans des emplois peu rémunérés avec des postures répétitives et inconfortables. Les risques psychosociaux sont également plus fréquents : postes peu qualifiés, horaires atypiques, manque d'autonomie, parcours professionnels en rupture, etc. Une étude récente a montré que le risque de basculement d'un mal-être d'ordre psychosocial vers un trouble avéré de la santé mentale concernait 26 % des femmes et 19 % des hommes.

Il est important de noter que la notion de pénibilité au travail est difficile à faire reconnaître pour les femmes car les critères de qualification des maladies professionnelles sont majoritairement fondés sur le travail masculin. Enfin, il faut prendre en compte les charges domestiques et familiales des femmes, avec la double journée de travail, qui se répercutent sur la santé physique et mentale. Les violences et agressions sexuelles ont aussi des conséquences graves, à court et à long terme, sur la santé des femmes. Cet aspect doit être systématiquement pris en compte au même titre que les mesures d'aide matérielle et de prévention.

En conclusion, ce rapport démontre que la prise en compte de la dimension du genre, alliée à celle du sexe, a des retombées majeures en termes de connaissance scientifique, de prise en charge médicale et de traitement, et aussi de prévention et d'optimisation des coûts de santé. Autant de conditions nécessaires pour construire des politiques de recherche et de santé plus égalitaires au bénéfice de la santé des femmes et les hommes.

De ce rapport émanent quarante recommandations, dont quatre recommandations phares :

- intégrer la thématique « genre et santé » dans la formation aux professions médicales et paramédicales, à savoir dans la formation initiale des étudiant(e)s encore très peu développée, et dans la formation continue des professionnels de la santé, en incluant une formation au dépistage des violences ;

- créer une nouvelle institution publique de recherche et de médecine sur la thématique « genre et santé », avec une approche pluridisciplinaire associant les recherches cliniques et biomédicales avec les recherches en sciences sociales et en santé publique ;

- garantir l'accès au soin pour les femmes précaires ;

- favoriser la parité dans les postes de responsabilité dans les professions de la santé et de la recherche.

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