Intervention de Vincent Segouin

Délégation aux entreprises — Réunion du 8 décembre 2022 à 9h50
Examen du rapport d'information relatif aux difficultés des pme et eti face au défi du commerce extérieur

Photo de Vincent SegouinVincent Segouin, co-rapporteur :

Monsieur le président, chers collègues, nous sommes heureux de revenir vers vous pour la troisième fois pour évoquer le sujet du commerce extérieur de la France. La première présentation était un bilan d'étape et la seconde le compte rendu de nos déplacements en Italie, en Allemagne et au Royaume-Uni. Le temps des conclusions est venu et je dois dire que l'on pourrait aisément se sentir découragé face à l'ampleur du problème ; mais évidemment cela n'est pas dans nos gènes de sénateurs et en particulier à la délégation aux entreprises.

La question du commerce extérieur et du déficit de la balance commerciale en particulier pourrait paraître insurmontable tant l'évolution de la situation française est catastrophique.

Cette situation résulte d'une erreur stratégique que fut le choix, assumé par les gouvernements successifs, de la désindustrialisation. Tous les économistes entendus nous l'ont dit. La Cour des comptes le rappelle également, dans un rapport publié il y a deux mois ; elle y précise que parmi les grands pays industrialisés, la France est celui qui a connu la désindustrialisation la plus marquée au cours de ces 40 dernières années. La part de l'industrie dans le PIB a diminué de 10 points depuis 1980 pour atteindre 13,5 % en 2019, contre 24,2 % en Allemagne et 19,6 % en Italie ou 15,8 % en Espagne. Vous le verrez dans un prochain graphique, le classement de ces pays selon la part de l'industrie dans le PIB est exactement celui du classement des mêmes pays par la balance commerciale. Ce phénomène de désindustrialisation s'est accompagné de nombreuses délocalisations. Les entreprises françaises se sont délocalisées pour produire moins cher et pour limiter la baisse du pouvoir d'achat des Français sans nécessairement conquérir les marchés locaux. Seuls 3,2 millions d'emplois industriels sont recensés en France, contre 7 millions en Allemagne, je tiens à le préciser. Logiquement, la diminution du nombre d'entreprises industrielles, plus portées vers l'export que les autres, a entraîné un ralentissement des exportations industrielles : entre 2002 et 2020, elles n'ont augmenté, en valeur, que de 1 % contre 3,6 % en Allemagne.

Le résultat de cette désindustrialisation vous le connaissez ; nous avions déjà évoqué les chiffres devant vous mais il n'est pas inutile de les rappeler brièvement :

L'année 2021 a été marquée par un déficit record de 84,7 milliards d'euros, contre 64,7 milliards en 2020 et 58 milliards en 2019. Soit moins 26,7 milliards en deux ans. Cette accélération de la dégradation, que l'on pourrait imputer à la crise sanitaire, n'est malheureusement pas la première depuis 2002, dernière année où la France a connu un solde commercial positif. La dégradation qui se poursuit en 2021, même si elle est moins forte qu'en 2020, est en partie liée à un alourdissement de 17,9 milliards d'euros de la facture énergétique qui s'explique par la hausse des prix mondiaux de l'énergie. Et à la lecture des chiffres des trois premiers trimestres de l'année 2022 qui annoncent d'ores et déjà un déficit de 149,9 milliards d'euros, certains commentateurs estiment que « la France a touché le fond », en soulignant l'impact des importations énergétiques.

On voit d'ailleurs sur le graphique projeté l'importance du déficit dans le secteur de l'énergie pour l'année 2021. Mais considérer que la balance commerciale est en majorité dégradée par le coût des importations énergétiques, c'est ignorer les maux réels de la désindustrialisation.

Les conséquences sont également désastreuses lorsque l'on se compare aux autres membres de l'Union européenne. Les chiffres d'Eurostat, dont les méthodes de calcul diffèrent de ceux des douanes françaises puisqu'ils ne prennent pas en compte les mouvements commerciaux au sein des États membres, offrent néanmoins une comparaison européenne qui nous place au dernier rang. Dans le graphique projeté, vous voyez que la France est très loin derrière la Grèce, la Roumanie et l'Espagne avec 109 milliards de déficit ! Je rappelle que les trois principaux clients de la France sont l'Allemagne, l'Italie et la Belgique, ayant tous trois une balance commerciale excédentaire.

Le déficit calculé par Eurostat montre notre dépendance à l'étranger ; il n'est dès lors pas étonnant de constater que la Chine est notre deuxième fournisseur, pour 63,8 milliards d'euros, après l'Allemagne, 81,4 milliards, et avant l'Italie, 46,3 milliards. Nous l'avons vu avec la crise sanitaire, cette dépendance soulève la question de notre souveraineté, mais nous y reviendrons plus tard.

Le drame de la désindustrialisation, au-delà des chiffres, se traduit à plusieurs niveaux.

L'économiste Thomas Grjébine parlait du « cercle vicieux » entraîné par la désindustrialisation : chômage endémique, affaiblissement de l'innovation et des compétences, fragilisation de l'économie et moindre résistance de notre pays aux chocs tels que la crise sanitaire.

Pour Patrick Artus, la France doit faire face à un « triptyque infernal » découlant de la désindustrialisation et constituant des obstacles à toute décision de relocalisation. Pour l'économiste, ce triptyque se caractérise par :

1- la faiblesse des compétences de la population active : l'enquête PIAAC de l'OCDE sur les faiblesses des compétences des adultes place la France en 21ème position sur 24 pays étudiés ;

2- les surcoûts salariaux : même si l'on a vu que l'écart avec l'Allemagne n'est plus aussi fort qu'à la fin des années 1990, on observe néanmoins un surcoût de 20 % pour le salaire horaire -- cotisations sociales incluses -- par rapport à la zone euro hors France et une multiplication par 3,7 par rapport aux pays d'Europe centrale et orientale (PECO) ;

3- Enfin, le troisième élément du triptyque selon Patrick Artus, est la pression fiscale pesant sur les entreprises : prise au sens large, elle représente 19 % du PIB contre 12 % dans la zone euro hors France. Il faudrait, selon lui, une baisse des impôts de production trois fois plus importante que celle annoncée par le Gouvernement pour ramener la France au niveau des autres pays européens. Je me permets de rappeler que les aides aux entreprises représentent par ailleurs 8,4 % du PIB, ce qui fait d'ailleurs réfléchir à la cohérence et à la complexité d'un système qui taxe pour ensuite aider. La mission que notre délégation a décidé de lancer sur la simplification est bienvenue pour appréhender cette situation.

J'ajouterais bien volontiers au « triptyque » le recours systématique à la dette, que l'économiste Jean-Marc Daniel avait résumé dans cette formule lors de notre table ronde : « Puisque nous n'arrivons pas à vendre, nous nous vendons ». Ainsi notre position extérieure nette, qui reflète l'endettement de la France vis-à-vis du reste du monde, atteint 32,3 % du PIB, se rapprochant du seuil d'alerte européen de 35 %. Ce constat nous inquiète, contrairement au Gouvernement qui se flatte d'attirer des capitaux étrangers pour racheter et investir en France.

Enfin n'oublions pas l'impact des normes franco-européennes qui, en l'absence de contrôle, ne s'appliquent pas aux importations qui concurrencent ainsi nos productions. Je pense par exemple à l'interdiction de diméthoate pour les cerises produites en France, au bien-être animal pour nos poulets, aux normes bio s'appliquant aux bananes des Antilles françaises.

Enfin, avant de laisser la parole à ma collègue Florence Blatrix Contat, je dois préciser que la difficulté du sujet que nous avons traité tient au fait qu'il n'y a pas de solution miracle, pas de mesure phare qui réglerait une grande partie du problème. En effet, la balance commerciale résulte de plusieurs politiques publiques trop souvent pensées en silos : fiscalité, recherche et innovation, formation et amélioration des compétences, etc. Toute approche doit donc être transversale et écosystémique.

Or la Cour des Comptes, dont nous avons rencontré les représentants, ont confirmé ce que nous avions perçu des différentes auditions et tables rondes : la politique de soutien à l'exportation ne suit aucune stratégie, ni sectorielle ni géographique en dehors de l'Afrique ; comme la politique de relance et de réindustrialisation qui répond aux projets sans stratégie sectorielle. Rééquilibrer la balance commerciale se fera en accélérant les exportations, mais aussi en diminuant les importations.

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