Intervention de Florence Blatrix Contat

Délégation aux entreprises — Réunion du 8 décembre 2022 à 9h50
Examen du rapport d'information relatif aux difficultés des pme et eti face au défi du commerce extérieur

Photo de Florence Blatrix ContatFlorence Blatrix Contat, co-rapporteure :

Vincent Segouin a exposé quelques éléments sur le déficit abyssal lié à des choix stratégiques de la France ces quarante dernières années.

Nous allons voir maintenant la multitude des risques et des politiques publiques qui ont un impact sur le commerce extérieur.

En effet, la transversalité et la définition d'une stratégie sont indispensables tant les risques sont divers, impliquant de considérer l'objectif du commerce extérieur à travers le prisme de nombreuses politiques publiques. La question des services notamment permet d'illustrer cette nécessité.

Si le constat concernant la balance commerciale des biens est alarmant, il doit néanmoins être nuancé par la performance du secteur des services, dont la balance est, elle, excédentaire. Ce niveau est même très haut en 2021 avec un solde positif de 36,2 milliards d'euros. Ce chiffre est, outre le tourisme bien entendu, principalement le fait des services de transports, notamment les sociétés de transport maritime, mais également des services aux entreprises, services techniques, services professionnels, services de conseil en gestion.

Entre 2000 et 2021, les exportations de services ont augmenté de 140 % soit deux fois plus que les exportations de biens, et elles sont passées de 24 à 33 % des exportations totales. Donc la part des services augmente significativement. Par ailleurs, en 2021, les exportations de services ont représenté 25 % des crédits des transactions courantes pour la France, contre 16 % pour l'Allemagne et 13 % pour l'Italie. Dès lors, notre faiblesse en matière de biens est en partie compensée par notre excédent en matière de services. Et la place prépondérante des services dans l'économie française se perçoit également au sein des investissements à l'étranger. En effet, ils représentent 55 % du stock total d'investissements, contre 36 % pour l'industrie et le secteur manufacturier.

La question des services doit être centrale dans notre approche du commerce extérieur, tout d'abord parce que les bonnes performances des services en matière d'export compensent le très lourd déficit de la balance commerciale des biens, avec, en plus, l'excédent des revenus primaires, qui s'élevaient à 81 milliards d'euros pour obtenir un solde des transactions courantes légèrement excédentaire, à hauteur de 9 milliards en 2021. Donc globalement, on peut dire que pour 2021, cela ne va pas si mal que cela, puisque le solde de la balance des transactions courantes est excédentaire. Mais sur les 10 dernières années, il n'a été excédentaire que 2 ans et il sera à nouveau très largement déficitaire en 2022. Mais les services sont surtout essentiels parce qu'ils sont intrinsèquement liés aux biens exportés, dont ils sont souvent complémentaires. D'ailleurs 40 % de la valeur ajoutée incorporée dans les exportations de biens est constituée en réalité de services.

Comme le rappelait Timothée Gigout Magiorani, économiste à la direction des paiements de la Banque de France, un bon nombre d'entreprises exportent à la fois des biens et des services, notamment dans le secteur industriel. Ainsi sont-elles 66 % dans le secteur pharmaceutique. Les entreprises qui exportent à la fois des biens et des services sont, en général, deux fois plus grosses que leurs concurrentes, génèrent 40 % de valeur ajoutée supplémentaire et versent des salaires en moyenne 25 % plus élevés. Si la base industrielle se réduisait excessivement, bien entendu la capacité des entreprises françaises à exporter des services se réduirait, elle aussi, significativement. Donc ce n'est pas parce que nous avons un excédent en services qu'il faut négliger la balance commerciale, ce que Vincent a très bien dit.

Et comme l'a souligné la représentante de la direction générale du Trésor devant la délégation, la délocalisation des services représente, elle aussi, un risque, notamment avec le développement des technologies numériques. Aussi la formation, on y reviendra, est-elle essentielle, tout comme l'investissement dans les infrastructures numériques.

Or, si l'on entend souvent parler de personnes hautement qualifiées pour soutenir les projets de recherche de pointe développés en France, c'est moins vrai du plus grand nombre. Le rapport de 2020 de notre collègue Michel Canévet sur les compétences avait d'ailleurs déjà mis en évidence le niveau insuffisant de compétences disponibles, et l'impact négatif en matière de compétitivité hors-prix pour la France. En effet, les retombées de l'innovation, de la robotisation dans l'industrie sont limitées par le manque de compétences de la population active. Banque européenne d'investissement, France Stratégie, OCDE, toutes les études tirent la sonnette d'alarme sur ce sujet depuis un moment et on comprend qu'il constitue un véritable défi en matière de commerce extérieur. En négligeant cette politique publique de formation, nous pourrions être confrontés au phénomène de « télé migration » au profit des travailleurs des pays en développement, décrit par l'économiste Richard Baldwin. C'est pourquoi la lutte contre les délocalisations doit impérativement intégrer une stratégie relative aux services.

Un autre risque : celui de la propriété intellectuelle, notamment, en raison de notre dépendance à des data centers situés à l'étranger. On sait maintenant, après des expériences parfois douloureuses, que nos entreprises pensent avoir la complète propriété et maîtrise de leurs données alors que ce n'est pas le cas. D'ailleurs même sur les biens, le risque de dépendance est sous-estimé ; nous l'avions déjà évoqué devant vous, nous connaissons en réalité mal nos véritables vulnérabilités en raison de l'insuffisante précision de l'origine des biens importés et comptabilisés par la direction des douanes.

Cette dimension est souvent négligée dans la réflexion relative au commerce extérieur et dans la définition des politiques publiques en France, c'est également le cas de la concurrence. Évidemment les notions de compétitivité prix et hors-prix sont toujours rappelées, mais sans en tirer toutes les conséquences. C'est particulièrement vrai pour la compétitivité hors-prix qui dépend de nombreux facteurs : environnement normatif, positionnement -- on a vu par exemple que la France a délaissé le haut de gamme dans des secteurs tels que l'automobile -- cela dépend aussi des caractéristiques des entreprises exportatrices, leur taille, leur management, et d'autres facteurs structurels tels que la qualification, les compétences ou la R&D.

Or sur tous ces aspects, nous avons le sentiment qu'il n'y a aucun pilotage stratégique pour la France. Nous évoquions tout à l'heure la question de la planification, elle nous semble essentielle. Les formations semblent toujours trop déconnectées des besoins de compétences, ce qui empêche d'ailleurs de concevoir aisément un nouveau positionnement plus haut de gamme de nombreuses productions comme en Allemagne par exemple. Nos collègues ont également montré dans leur rapport sur la transmission d'entreprise que nous manquons cruellement d'ETI, en majorité familiales, et que le cadre fiscal et législatif, au lieu de faciliter le développement de ces « championnes » à l'export, les contraint. Sur ce point, nous avons constaté, lors de nos déplacements, une différence essentielle avec l'Allemagne et l'Italie, qui explique en partie notre faiblesse du commerce extérieur. Les tentations sont même grandes de remettre en cause les dispositifs les soutenant, alors que les seules 5 400 ETI françaises représentent, quand même, 34 % de nos exportations ! Par ailleurs, la Cour des comptes l'a souligné, il semble exister une obsession française pour le nombre d'entreprises qui exportent. On se focalise sur le nombre d'entreprises exportatrices quitte à aider en priorité des petites entreprises primo-exportatrices qui, en réalité, n'ont pas un potentiel important alors que nous devrions plutôt nous focaliser sur l'accompagnement des entreprises qui peuvent réaliser des chiffres d'affaires importants à l'étranger. En outre, le modèle économique de Business France pousse ses personnels à passer plus de temps à des missions commerciales payantes, comme les VIE (Volontariat international en entreprise) -- qui représentent une partie importante des recettes de Business France -- plutôt que de privilégier le conseil gratuit au profit des entreprises les mieux armées pour s'internationaliser. Or, on le voit bien, ce n'est pas le modèle gagnant comme nous l'avons constaté en Italie : l'agence homologue de Business France, ICE, propose des accompagnements gratuits, comme par exemple via la participation non payante à des salons à l'étranger. Bref, le constat est celui d'un accompagnement des PME et des ETI ne suivant aucune logique, aucune stratégie réellement favorable au commerce extérieur sur le long terme.

Autre sujet négligé, la concurrence avec les entreprises des pays tiers ne semble pas non plus être un sujet pour les acheteurs publics qui privilégient trop souvent le moins disant, au détriment de nos entreprises françaises, alors que le ministère de l'Économie et des Finances a rappelé que le droit de la commande publique permettait l'utilisation de critères de choix des offres tels que le développement des approvisionnements directs, les performances en matière de protection de l'environnement, notamment l'impact écologique du transport des fournitures ou des personnels, ou encore les délais d'intervention d'un prestataire s'il est justifié par l'objet du marché public. Nos voisins européens, eux, n'hésitent pas à soutenir leurs entreprises nationales.

Enfin la concurrence internationale ne nous a pas semblé suffisamment anticipée et prise en compte dans l'évaluation nationale de l'impact des décisions européennes. Le récent rapport que nous avons présenté avec nos collègues Martine Berthet et Jacques Le Nay a montré que les obligations de reporting en matière de RSE vont peser davantage sur les PME et ETI européennes. En outre, l'Union européenne n'utilise presque pas les instruments de défense commerciale alors que les États-Unis y ont massivement recours. Nous avons souvent l'impression que l'Europe se tire une balle dans le pied et ne pose jamais, ou en tout cas très insuffisamment, les conditions de la réciprocité avec les États tiers.

Vous l'aurez compris, nous sommes encore loin de la prise de conscience de l'impact de nos décisions en matière de compétitivité hors-prix. Et cela se ressent dans l'accompagnement des PME et ETI à l'internationalisation.

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