Monsieur le président, mes chers collègues, j'ai eu le plaisir d'accueillir la délégation aux entreprises, les 29 et 30 septembre derniers dans mon département du Lot-et-Garonne. Pascale Gruny et moi-même avons été accompagnés par notre collègue Christine Bonfanti-Dossat, l'autre sénateur du département. Malheureusement, Serge Babary et Sébastien Meurant ont dû renoncer in extremis à leur participation car ils ont été complètement coincés dans les embouteillages, puis par l'annulation de leur train en ce jour mémorable de grève...
Le programme de ce déplacement était, comme toujours, assez dense. La soirée du 29septembre était consacrée à un dîner avec les représentants des organisations professionnelles d'entreprises locales. La journée du 30 septembre était organisée autour de deux visites d'entreprises durant la matinée, suivies d'une table-ronde au cours de laquelle nous avons pu échanger avec 17 chefs d'entreprise, couvrant notamment le secteur industriel, agro-alimentaire, l'artisanat ainsi que l'hôtellerie et restauration. Cette journée de déplacement a été l'occasion de prendre directement le pouls de certaines TPE, PME et ETI, d'en recenser les avancées - qui rassurent sur le dynamisme du territoire - mais d'évoquer aussi les difficultés rencontrées à l'aune d'un contexte post-sanitaire et inflationniste plutôt défavorable pour le tissu économique de notre pays.
Après cette synthèse, je vais détailler davantage notre mission. Le dîner du jeudi avec les présidents des fédérations locales du MEDEF, de la CCI et de la Chambre des métiers et de l'Artisanat a permis d'identifier trois préoccupations saillantes des chefs d'entreprise du département.
Tout d'abord, l'application de la responsabilité élargie du producteur (REP) au secteur du bâtiment et de la construction, prévue par la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) du 10 février 2020 devient un sujet de préoccupation majeure pour les entreprises relevant de ce secteur. Ainsi, bon nombre d'entre elles seront redevables de l'éco-participation, ce qui aura pour conséquence de décaisser directement l'éco-participation sur leurs comptes et de ne pas la faire reposer sur le consommateur.
De plus, en cette période de difficultés économiques et de crise énergétique, les prêts garantis par l'État (PGE), constituent une véritable « épée de Damoclès » pour un grand nombre d'entreprises. Sur les 6 300 entreprises dénombrées au sein de mon département, environ 4 500 en ont contractés, soit plus de 70 % au total. Le contexte inflationniste actuel, tant au niveau des matières premières que des énergies, constitue un goulot d'étranglement pour beaucoup d'entreprises qui connaissent des difficultés économiques comme judiciaires. La proposition du Gouvernement de prolonger la durée de remboursement des PGE à 10 ans s'accompagne d'effets pervers dans la mesure où le secteur bancaire traite cette dette comme les autres, ce qui ne devrait pas être le cas et donne une image d'insolvabilité des entreprises concernées qui leur est préjudiciable. Sans compter que la dépréciation de l'euro, combinée à une hausse du prix du baril de pétrole comptabilisé en dollars, minent les capacités de nos entreprises à produire et à investir.
Enfin, la situation des Centres de formation des apprentis (CFA) mérite d'être soulignée, leur financement ayant été complètement transféré aux Régions. Afin de stimuler les aides à l'apprentissage, nerf de la réussite des CFA, il est nécessaire qu'un financement national soit rétabli. Une vraie réflexion autour de l'attractivité des métiers auprès des jeunes doit être posée sur la table : à l'ère du post-confinement, les conditions de travail sont devenues un critère incontournable dans l'attractivité des métiers, avant même les conditions de rémunération. À cet égard, je me réjouis que notre délégation ait décidé de lancer une mission sur ces sujets majeurs.
La journée du vendredi a débuté par la visite de l'entreprise Metal Mobil, une très belle PME, dirigée actuellement par MM. Arnaud et Frédéric Pitet. Ces deux frères ont repris l'entreprise de leur père. Metal Mobil était spécialisée, à ses débuts, dans la production de matériel scolaire. Racheté en 1966 par le père des actuels dirigeants, le choix a été fait, durant les années 80 et 90 de concentrer son activité dans la collecte de produits en verre à des fins de recyclage pour les collectivités territoriales. La reprise de l'entreprise par les frères Pitet en 2003 a été l'occasion pour le groupe de se spécialiser dans la tôlerie industrielle et de devenir un acteur local incontournable de la sous-traitance de produits industriels dans le secteur de l'hôtellerie. Enfin, l'entreprise s'est également orientée vers la construction d'équipements de nacelles élévatrices, et de matériels de signalisation de véhicules pour les autoroutes. La plupart de ses clients sont situés dans le Sud-ouest, renforçant la politique du groupe de s'inscrire dans un contexte d'économie circulaire.
Aujourd'hui, cette belle entreprise est composée d'une équipe de 28 personnes et réalise un chiffre d'affaires de 5 millions d'euros par an. Son inscription durable dans le tissu économique lot-et-garonnais s'explique notamment par l'accompagnement déterminant du groupement d'employeurs 4733, représenté par Mme Monique Gauthier, très dynamique et que nous avions déjà rencontrée au Sénat. Ce groupement rassemblant près de 350 entreprises poursuit un but non lucratif, en accompagnant les entreprises qui le composent dans leur développement économique, notamment sur le plan du recrutement, véritable pierre d'achoppement dont je parlerai un peu plus tard.
Pour revenir au groupe Metal Mobil, il assure un remarquable service sur-mesure à ses clients. L'entreprise a investi dans de nombreux logiciels de simulation informatique de coupes et de plans afin d'évaluer la faisabilité de la demande du client. L'usinage s'effectue par le truchement d'outils et de techniques de pointe, telles que la découpe laser. La prise en compte du sur-mesure a pour conséquence qu'entre 20 % et 30 % de nouveaux produits sont fabriqués tous les mois, et ce, en réduisant au maximum la production de déchets, via le processus de simulation informatique.
Metal Mobil compte près de 250 clients et ancre sa méthode de production dans un contexte d'économie circulaire. L'entreprise est capable de répondre à ses commandes dans un délai moyen de 10 jours pour toute nouvelle pièce fabriquée.
Cette rapide croissance du groupe est soutenue par une politique d'investissement très soutenue. Les machines de production sont complètement automatisées, ce qui permet de poursuivre la production la nuit et le weekend afin de respecter les délais de production et de livraison auprès des clients. La machine peut tourner toute seule, il n'y a plus personne dans l'usine et en cas de problème une personne d'astreinte peut se rendre sur place, mais cela est très rare.
Cette visite a été l'occasion de revenir sur un certain nombre de difficultés que rencontrent également bon nombre d'entreprises lot-et-garonnaises :
Premièrement, la problématique du recrutement qui est le corollaire de l'attractivité du territoire et des métiers. L'entreprise a connu des difficultés pour recruter : entre 10 et 15 postes ne trouvaient pas preneurs, et ce durant une durée assez longue (autour de 2 ans). Le groupement d'entreprises dont fait partie Metal Mobil a été à l'initiative de la création d'une plateforme collaborative, dirigée par un groupe de chefs d'entreprise afin de mieux faire remonter les besoins de formation, compétences et recrutement des entreprises auprès de Pôle emploi et de France compétences. Cette plateforme permet d'identifier les besoins dans le département, de manière plus efficace que Pôle emploi, car la plateforme a pour fin le recrutement, alors que Pôle emploi assure une mission de gestion de demandeurs d'emploi, ce qui n'est pas tout à fait la même chose. Ces deux structures se complètent et permettent un meilleur appariement sur le marché du travail en Lot-et-Garonne. Cette plateforme est soutenue par le Préfet, qui envisage d'en faire un projet pilote du département.
La deuxième difficulté concerne, cela ne vous étonnera pas, la hausse du prix des matières premières et de l'énergie (et nous n'étions qu'au moins de septembre !) qui pénalise considérablement nos entreprises. Le prix de l'aluminium a été multiplié par 3, celui de l'acier par 2, et ce, avant la guerre en Ukraine. Nos entreprises ont besoin de stabilité, de prévisibilité dans leurs dépenses, ce que ne permet pas la situation actuelle.
Enfin, sont remontées des difficultés concernant l'apprentissage au sein des entreprises. L'apprentissage est encore trop mal perçu par les ministères de l'Éducation nationale et de l'Enseignement supérieur, alors même qu'il constitue un outil indéniable pour renforcer l'employabilité et l'attractivité. Il faut mieux valoriser le statut de l'apprenti, afin de faire changer les mentalités. Comme le suggérait MM. Pitet, la remise, par exemple, de décorations civiles, comme l'Ordre national du Mérite, pourrait servir cet objectif de mise en avant de parcours couronnés de réussite de bon nombre d'apprentis en France.
La seconde entreprise visitée s'appelle De Sangosse, une très belle ETI, située à Pont-du-Casse, proche d'Agen, et dont le développement a connu une histoire riche. En effet, l'entreprise, à sa création en 1926, est spécialisée dans le négoce en Lot-et-Garonne. Elle est rachetée en 1989 par les salariés, suite au décès accidentel du fondateur, M. De Sangosse. Elle est depuis fondée sur l'actionnariat salarié majoritaire, ce qui permet aux salariés d'être pleinement engagés dans le projet d'entreprise. Aujourd'hui, ce groupe fait partie intégrante d'une société holding, réalise plus de 305 millions d'euros de chiffre d'affaires et regroupe 850 salariés qui détiennent 60 % du capital. La veuve de M. De Sangosse était restée dans l'actionnariat pour rassurer les banques au départ. Les salariés ont une participation égalitaire dans l'entreprise, avec des primes d'intéressement généreuses. Par ailleurs, 70 % du montant des primes d'intéressement est réinvesti au sein de l'entreprise par les salariés.
Le groupe De Sangosse, dirigé actuellement par M. Nicolas Fillon, est devenu l'un des leaders nationaux et européens du biocontrôle, c'est-à-dire de la transformation des méthodes de culture et de production agricole, qu'elles soient biologiques, raisonnées ou intensives, afin de permettre aux agriculteurs de renoncer à l'utilisation massive de produits phytosanitaires et d'utiliser des méthodes plus durables, respectueuses de l'environnement et de la santé des consommateurs. La croissance de cette entreprise est remarquable et lui a très vite permis de conquérir des parts de marchés à l'international : l'entreprise possède 16 sites de production dans le monde et 26 filiales internationales. De plus, 70 % du chiffre d'affaires de l'entreprise provient de son activité à l'étranger
L'une des clés de la réussite de cette ETI est d'avoir une stratégie de recherche et d'innovation remarquable : le groupe De Sangosse est très investi sur la propriété intellectuelle, avec à son actif, plus de 200 brevets et près de 1 200 homologations à travers le monde. Chaque année, c'est près de 9 % du chiffre d'affaires qui est investi dans la recherche et développement relative au biocontrôle. L'action de cette ETI repose sur la phytothérapie en lieu et place de l'usage de produits phytosanitaires dans les cultures agricoles. À travers les huiles essentielles et les extraits de plantes, il s'agit de lutter efficacement contre les rongeurs et les parasites en préservant le rendement de production, tout en réduisant la consommation d'énergie et le bilan carbone des producteurs agricoles. À titre de comparaison, les cultures agricoles américaines sont aspergées d'azote pour les plantes ou encore d'acide sulfurique pour les pommes de terre par exemple.
M. Fillon nous a également présenté les obstacles qui entravent le développement du groupe De Sangosse. Premièrement, le recrutement peut s'avérer problématique pour une entreprise reposant sur l'actionnariat salarié. L'entreprise ne recherche pas uniquement de la main d'oeuvre, mais également un actionnaire s'impliquant dans le projet d'entreprise.
Par ailleurs, la recherche de l'innovation n'est pas toujours bien accompagnée par les dispositifs légaux et réglementaires en vigueur. C'est sur le sujet des homologations que l'entreprise rencontre des difficultés. Les demandes d'homologations de nouveaux produits sont contrôlées par des autorités de régulation française (ANSES) comme européenne (SCOPAFF). Cependant, les discussions entre l'ANSES et les institutions européennes sur ces lignes directrices concernant les homologations sont compliquées et sources d'incertitude, ce qui rend difficile toute anticipation de la part de l'entreprise. Il serait souhaitable que les entreprises en quête d'innovation aient davantage de contacts avec les institutions européennes, qu'elles soient mieux accompagnées et informées, notamment sur des sujets aussi cruciaux que sont les inventions. De plus, M. Fillon soulignait que le crédit impôt recherche est orienté vers les grandes entreprises (75 % des entreprises bénéficiaires sont des grandes entreprises) et n'est pas suffisamment pensé pour répondre aux particularités des PME et ETI. Ainsi, pour lui, seules les grandes entreprises peuvent supporter le risque économique et fiscal découlant de la recherche d'innovation. À titre de comparaison, les États-Unis et le Royaume-Uni accompagnent davantage leurs entreprises dans leurs dépenses en recherche et développement.
Enfin, la loi devrait encourager davantage l'épargne salariale en entreprise. Le forfait social au taux de 20 % est considéré comme pénalisant pour les ETI et l'épargne salariale devrait être exclue de l'assiette du forfait social, peu importe le nombre de salariés au sein de l'entreprise.
Après ces deux visites passionnantes, nous avons échangé avec 17 chefs d'entreprise à l'occasion d'une table ronde. Il s'agissait de dirigeants de TPE, PME, ETI, membres de la CCI et de la CMA, représentatifs du tissu entrepreneurial du département du Lot-et-Garonne, du secteur agro-alimentaire à l'artisanat en passant bien sûr par le secteur industriel.
Ces discussions ont abouti à l'identification de 5 problématiques principales que rencontrent les chefs d'entreprise au quotidien :
1. Les entreprises, notamment celles en développement, n'arrivent pas trouver une banque qui pourra leur permettre d'embaucher et de gagner en croissance, ou de les accompagner dans leur ouverture à l'international. Cette réticence est d'autant plus marquée pour les entreprises bénéficiant d'un PGE, considérées comme moins solvables.
2. A l'instar des banques, le secteur assurantiel n'accompagne pas suffisamment les entreprises sur les terres lot-et-garonnaises. En effet, nombre des compagnies d'assurances se désengagent, ne souhaitent pas assurer certains risques inhérents à certaines activités, et décident de fixer des coûts de police d'assurance ou des montants de franchises démesurés.
3. Les entreprises croulent sous les normes et réglementations multiples. Cela constitue un véritable frein au développement et à une meilleure rémunération du travail. Il s'agit bien sûr, du poids prépondérant des cotisations sociales, mais également des dispositions législatives récentes, telles que les obligations en matière de rénovation énergétique des bâtiments prévue par la loi ELAN, pour les entreprises du secteur tertiaire, ou encore certaines dispositions un peu excessives de la loi EVIN, source de baisse de la consommation de vin en France -- il s'agissait des réflexions de certaines entreprises viticoles.
4. Le département du Lot-et-Garonne est particulièrement exposé à un déficit d'attractivité du territoire, qui aggrave les difficultés de recrutement évoquées par les entreprises. En effet, c'est un département vieillissant, faute d'un pôle universitaire bien ancré permettant de former de jeunes étudiants et cadres. Cette situation de pénurie se traduit concrètement par une forte volatilité des salariés, qui touche la plupart des métiers de tous les secteurs, qualifiés ou non. La rareté de main d'oeuvre et de compétences nourrit une concurrence en matière de salaires et le débauchage de salariés entre entreprises sur le territoire. Les dirigeants d'entreprise observent également une recrudescence des ruptures conventionnelles qui se font souvent en défaveur des entreprises.
5. Enfin, les difficultés en matière de transmission d'entreprise ont aussi été évoquées : il est compliqué de trouver un repreneur compétent pour beaucoup de groupes concernés. Le financement de la transmission demeure un obstacle majeur, malgré le « Pacte Dutreil », et mériterait d'être autant accompagné que ne l'est la création d'entreprise. À ce titre, je salue vivement le travail mené par nos collègues Michel Canévet, Rémi Cardon et Olivier Rietmann, pour leurs propositions formulées dans le rapport d'information « Reprendre pour mieux entreprendre dans nos territoires », afin de mieux accompagner les entreprises dans le processus de transmission.
En conclusion, ce déplacement dans le département du Lot-et-Garonne a été riche en enseignements. Il s'agissait de prendre le pouls de l'activité économique et industrielle de ce territoire et d'observer parfois l'écart entre les mesures annoncées et la réalité du terrain. Il reste beaucoup à faire pour simplifier la vie des chefs d'entreprise et les soulager de certaines contraintes normatives excessives qui pénalisent leur activité. Je termine mon propos en soulignant l'impérieuse nécessité de mieux encourager la recherche constante de l'innovation, qui constitue un puissant vecteur de création de valeur ajoutée pour notre économie locale et nationale.
Et grand merci à toute l'équipe de la délégation qui nous a accompagnés lors de cette mission et nous a aidés à la préparer.