J'aimerais revenir désormais sur l'instabilité de la situation intérieure britannique et ses conséquences sur l'application du Brexit. En effet, les nombreuses réunions auxquelles nous avons participé lors de notre déplacement à Londres le 18 octobre ont confirmé notre appréhension quant au caractère durable de l'instabilité politique du pouvoir central en Grande Bretagne.
À cet égard, notre déplacement est intervenu dans un moment particulier. En effet, le 14 octobre, quatre jours avant notre départ, le gouvernement de Liz Truss avait été profondément ébranlé par la démission de son Chancelier de l'Échiquier, c'est-à-dire de son ministre des finances. Cette démission était intervenue quelques jours après la déstabilisation de Londres sur les marchés financiers à la suite d'un projet de « mini-budget » qui aurait drastiquement réduit les recettes fiscales du Royaume-Uni tout en augmentant ses dépenses. Notre visite s'est donc déroulée dans une atmosphère particulière, marquée par l'extrême fragilisation de la cheffe du gouvernement, qui a finalement annoncé sa démission le 20 octobre, deux jours après notre déplacement.
Cependant, et bien que nos interlocuteurs aient gardé la réserve qui s'impose en de telles circonstances, les échanges que nous avons eus au sujet de l'avenir immédiat du pouvoir exécutif et du parti conservateur britannique nous ont permis de mesurer le caractère durable de l'instabilité de la situation politique intérieure en Grande Bretagne. Cette instabilité a des conséquences directes sur la nouvelle relation euro-britannique. En effet, le sujet de la mise en oeuvre du Brexit et des relations entre le Royaume-Uni et l'Union européenne est un sujet « hautement inflammable » dans le débat public outre-manche.
Par voie de conséquence, l'état de nos relations avec le gouvernement britannique est soumis aux soubresauts de la vie politique britannique. Les parlementaires britanniques que nous avons rencontrés à Westminster ont confirmé, souvent pour le regretter, ce risque d'instrumentalisation politique de la relation euro-britannique. C'est notamment le cas de mon homologue Lord Kinnoull, qui nous a reçus à la Chambre des Lords et qui a réaffirmé la disponibilité des parlementaires britanniques pour approfondir notre coopération interparlementaire. Ces échanges ont en effet permis de mettre en lumière une position modérée et nuancée de nos collègues de la Chambre des Lords, très éloignée des prises de positions parfois outrancières adoptées par le gouvernement de Liz Truss ou la chambre des Communes.
Postérieurement à notre retour, et après que Liz Truss a été remplacée au 10 Downing Street par le nouveau premier ministre Rishi Sunak, un nouvel épisode de tensions internes au parti conservateur est venu confirmer cet état de fait. En effet, au milieu du mois de novembre, le premier ministre britannique a réaffirmé publiquement sa volonté de ne pas construire une relation économique avec l'Union européenne fondée sur le respect des règles du marché intérieur. Cette prise de position avait pour but de démentir l'hypothèse rapportée par la presse britannique selon laquelle le gouvernement préparerait un rapprochement économique avec l'Union européenne sur le modèle de la Suisse.
Pour conclure sur la situation politique en Grande Bretagne et son influence sur la relation euro-britannique, j'aimerais évoquer d'un mot la situation de blocage actuelle au sein de l'assemblée locale située en Irlande du Nord. Comme l'a évoqué Olivier Cadic tout à l'heure, des élections locales ont été organisées en Irlande du Nord en mai 2022. Pour la première fois, le Sinn Féin a été le parti à recueillir le plus de voix avec 29 % des suffrages exprimés, devant le parti unioniste du Democratic Unionist Party (DUP) qui a recueilli 21 % des voix. Or, depuis mai dernier, l'Irlande du Nord connaît une situation de blocage institutionnel lié au fait que le DUP refuse de participer au gouvernement comme le prévoient les accords du Vendredi Saint de 1998.
Notre déplacement se situait pendant la période de négociations ouverte à la suite de l'élection de mai 2022. Bien que la date du 28 octobre ait été présentée comme un butoir au-delà duquel les autorités britanniques auraient la possibilité de convoquer de nouvelles élections, la pression exercée par le pouvoir central de Londres n'aura pas suffi à débloquer la situation politique avant cette échéance. Cette date a en effet été dépassée sans que les élus du DUP ne renoncent à leur exigence d'abrogation du protocole nord-irlandais ni que de nouvelles élections soient immédiatement convoquées.
Alors que nos interlocuteurs nous ont fait part du sentiment d'impatience qui existe dans une partie de la population nord-irlandaise qui subit elle aussi une forme d'instrumentalisation politique, le gouvernement britannique a finalement fait le choix de prolonger la période de négociations. En effet, le ministre chargé de l'Irlande du Nord a annoncé le 9 novembre le dépôt d'un projet de loi prorogeant la période de négociations en vue de la formation d'un exécutif en Irlande du Nord. Ce nouveau délai reporte la tenue de nouvelles élections au mois de mars ou d'avril prochain, c'est-à-dire près d'un an après les dernières élections.
Ce blocage persistant des institutions politiques locales en Irlande du Nord est un autre aspect de l'instabilité de la situation politique actuelle. Face aux risques d'instrumentalisation ou de récupération politique, la normalisation de la relation euro-britannique et de la situation en Irlande du Nord se trouve subordonnée à la stabilisation de la situation politique intérieure en Grande Bretagne. Il est dès lors essentiel que nous suivions de près l'évolution du positionnement du pouvoir exécutif britannique. À cet égard, les perspectives de reprise des négociations bilatérales dont nous a fait part le vice-président de la Commission européenne M. efèoviè, dans le cadre de la COSAC sont encourageantes. Leur concrétisation sera quoiqu'il advienne un processus de longue haleine sur lequel nous devrons rester vigilants.