Pour conclure ce compte-rendu de notre déplacement à Dublin et à Londres, j'aimerais ajouter des précisions sur trois sujets évoqués par mes deux collègues.
En premier lieu, j'aimerais mettre en lumière la qualité des relations bilatérales entre la France et l'Irlande qui a été soulignée par plusieurs de nos partenaires sur place. Au-delà du semestre de présidence française du Conseil de l'Union (PFUE), qui a constitué une nouvelle occasion de mettre en lumière l'engagement européen de la France auquel un pays comme l'Irlande est sensible, il existe des convergences dans de nombreux domaines entre nos deux pays. Comme le soulignent les diplomates français en poste en Irlande, la France est désormais « le voisin européen le plus proche » de l'Irlande, ce qui suscite de nombreuses opportunités pour le renforcement des coopérations entre nos deux pays. Il est à souligner que le rapprochement entre nos deux pays est déjà effectif et qu'il a été accéléré par le Brexit qui a fait passer le nombre de liaisons maritimes directes par semaine de 12 à près de 50 avec un impact économique majeur.
Une des illustrations les plus flagrantes de ce rapprochement est la signature en août 2021 d'un plan d'action conjointe France-Irlande qui couvre la période 2021-2025 et qui concerne des sujets de coopération très vastes dont des questions d'éducation, de politique extérieure ou encore d'échanges commerciaux. C'est dans ce contexte que quelques semaines après notre déplacement, la France et l'Irlande ont signé le 25 novembre un accord prévoyant la construction de «l'interconnecteur celtique » qui reliera la région de Cork à celle de Brest à partir de 2027, pour un investissement total estimé à 1,4 milliard d'euros.
Ensuite, concernant la situation politique, la montée du Sinn Féin en république d'Irlande et dans la province d'Irlande du Nord est en effet un enjeu majeur. Dans chacun de ces territoires, le Sinn Féin n'est pas en capacité de gouverner seul et doit former des alliances. En république d'Irlande, les partis aux responsabilités ont refusé de s'associer au Sinn Féin et en Irlande du Nord, le parti reste à la porte du pouvoir, le DUP refusant de participer et de mettre en oeuvre les accords du Vendredi Saint. Nous avons pu noter, notamment lors de notre rencontre avec une représentante du Sinn Féin, une forme de recentrage du parti sur les questions européennes et une volonté d'accord avec l'un des partis centristes au gouvernement dans la perspective des nouvelles échéances électorales.
En troisième lieu, j'aimerais évoquer le protocole nord-irlandais. Il s'agit de l'un des sujets d'attention les plus sensibles dans le cadre des négociations actuelles entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. Lors de notre déplacement, aussi bien à Dublin qu'à Londres, nous avons eu l'occasion d'évoquer cette question avec plusieurs interlocuteurs directement concernés. Nous avons notamment pu interroger à ce sujet des chercheurs spécialisés en droit européen, des responsables administratifs des douanes irlandaises, des diplomates des ministères des affaires étrangères de Dublin et de Londres et enfin une représentante de la délégation de l'Union européenne auprès du Royaume-Uni.
Pour l'essentiel, le message principal de nos interlocuteurs est le suivant : la question du protocole nord-irlandais n'est pas une question technique. Il s'agit d'une question politique. En effet, comme vous le savez, l'Union européenne a engagé depuis l'été 2021 une négociation avec les pouvoirs publics britanniques dont l'objectif est de proposer des aménagements pragmatiques dans l'application du protocole. Pour démontrer le sérieux de sa volonté de conciliation, la Commission a présenté le 13 octobre 2021 une proposition circonstanciée ayant pour objectif de réduire de 80% les formalités et contrôles à accomplir pour une large gamme de produits transitant de la Grande Bretagne vers l'Irlande du Nord.
Malgré ces propositions de conciliation, le climat de confiance dans les négociations a été altéré par la décision prise le 13 juin 2022 par Boris Johnson et par sa ministre des affaires étrangères de l'époque, Liz Truss, de déposer un projet de loi prévoyant la désactivation unilatérale de certaines stipulations du protocole, qui fait pourtant partie intégrante d'une convention internationale signée et ratifiée par le Royaume-Uni.
Nous avons eu l'occasion d'évoquer à plusieurs reprises ce projet de loi avec nos interlocuteurs britanniques, et en particulier avec les membres de la commission des affaires étrangères et de la défense et de la commission des affaires européennes de la Chambre des Lords. Ces parlementaires ont confirmé le fait que ce texte devait être appréhendé comme un des éléments de la négociation en cours et qu'il leur semblait improbable que cette loi soit adoptée et appliquée un jour. Ce qui nous ramène à la nature éminemment politique de l'application du protocole nord-irlandais. Par la suite, il nous appartient d'être particulièrement attentifs à la reprise actuelle des négociations entre le nouveau cabinet britannique dirigé par Rishi Sunak et la Commission européenne. Cette relance des négociations nous a par ailleurs été effectivement confirmée par le vice-président efèoviè lors de la dernière réunion organisée dans le cadre de la COSAC. Nous relevons à ce titre que lors de sa récente visite en Irlande, la présidente Von der Leyen a estimé que les premiers échanges avec le gouvernement Sunak étaient encourageants.
Au regard des nombreuses réunions et rencontres que nous avons faites pendant ces deux jours de déplacement, il nous apparaît que cette amélioration du climat de négociation est un facteur déterminant. Plus que jamais, l'avenir de la relation euro-britannique dépend de la volonté politique de chacune des parties de s'engager de bonne foi dans la construction d'une relation de confiance. Sous le bénéfice de ces observations, nous sommes convaincus que la reprise de la coopération euro-britannique sera, à terme, mutuellement bénéfique.