Intervention de Cédric Lewandowski

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 27 octobre 2022 à 10h38
Audition publique sur les problèmes de corrosion sous contrainte rencontrés sur le parc électronucléaire d'edf

Cédric Lewandowski, directeur exécutif du groupe EDF en charge de la direction du parc nucléaire et thermique :

Je vous remercie de donner à EDF l'opportunité de s'exprimer devant l'OPESCT sur un phénomène inédit et inattendu : la corrosion sous contrainte des tuyauteries des circuits auxiliaires du circuit primaire. Ce phénomène perturbe aujourd'hui le fonctionnement de notre parc nucléaire. Mon exposé, nécessairement un peu technique, aura pour objectif de retracer les différentes étapes qui nous ont permis de comprendre ce phénomène et de le traiter.

Je récapitulerai d'abord brièvement la chronologie des événements. C'est à l'automne 2021, lors de la visite décennale du réacteur de Civaux 1 dans la Vienne et des contrôles programmés dans le cadre de cet arrêt, que nous découvrons des indications, c'est-à-dire des signaux anormaux et atypiques, sur des portions de tuyauterie du circuit d'injection de sécurité RIS, circuit auxiliaire du circuit primaire. Ce circuit de sauvegarde, à l'arrêt en fonctionnement normal, injecte de l'eau dans la cuve du réacteur en cas d'incident, par exemple en cas de brèche dans le circuit primaire. Ce circuit est donc important pour la sûreté du réacteur. La portion de tuyauterie sur laquelle ces indications ont été détectées est directement connectée au circuit primaire, avant le premier organe d'isolement, c'est-à-dire avant la première vanne de ce circuit. Les tuyauteries mesurent 30 centimètres de diamètre. L'épaisseur du métal est de trois centimètres. Enfin, la longueur totale des portions de circuit équivaut à une dizaine de mètres.

Lors de chaque visite décennale, nous effectuons des contrôles sur les tuyauteries de tous les réacteurs du parc nucléaire afin d'y rechercher d'éventuels défauts, dont le phénomène de fatigue thermique. Ce mécanisme d'endommagement est induit par des fluctuations répétitives de la température, liées par exemple à la présence de tourbillons d'eau chaude à l'entrée du circuit. Pour ce faire, nous effectuons des contrôles par ultrasons, au moyen d'un appareil qui envoie des ondes sonores dans la tuyauterie. La lecture et l'analyse complexe de l'écho renvoyé nous permettent de déterminer la présence d'une fissure dans le métal.

À la fin de l'année 2021, nous détectons des indications sur les tuyauteries de Civaux 1, qui ne correspondent cependant pas à une fatigue thermique. Nous découpons ces portions de tuyauteries pour les remplacer et les expertiser dans notre laboratoire intégré d'expertise des matériaux de production nucléaire, le LIDEC, à Chinon. À notre grande surprise, nous découvrons qu'il s'agit de fissures initiées par de la corrosion sous contrainte. Leur taille est significative : cinq à six millimètres de profondeur sur toute la circonférence de la tuyauterie. Elles se sont développées dans le métal à proximité des soudures.

La corrosion sous contrainte correspond à une fissuration progressive, fondée sur une interaction entre un matériau, ici un acier inoxydable assez classique dit 316L, un environnement, c'est-à-dire l'eau qui passe dans le tuyau, avec ses composants chimiques, le bore, le lithium et l'hydrogène, enfin une sollicitation mécanique qui peut provenir soit de contraintes résiduelles du soudage initial, soit du fonctionnement même de ce circuit.

Ce phénomène résulte d'interactions complexes entre ces trois dimensions. Nous avons déjà rencontré à la fin des années 1990, des premiers cas de fissuration d'acier inoxydable par corrosion sous contrainte'. Mais ces cas étaient liés à une pollution identifiée lors des expertises. Un recensement par zone avait alors été effectué et aucun risque d'apparition de corrosion sous contrainte n'avait été identifié sur les lignes auxiliaires, dont les lignes RIS, entre la connexion sur le circuit primaire et la première vanne. Le caractère de nos découvertes à Civaux est donc inattendu.

Nous avons repéré une seule situation similaire au Japon, sur le réacteur numéro 3 de la centrale d'Ohi, avec la détection en 2020 d'une corrosion sous contrainte en milieu primaire, sur une tuyauterie constituée d'un acier inoxydable assez proche de celui de Civaux.

Les résultats des contrôles menés à Civaux 1 et la nature des défauts relevés nous conduisent à mettre immédiatement à l'arrêt le réacteur de Civaux 2 pour y réaliser les mêmes contrôles. Nous y détectons des défauts similaires et nous mettons à l'arrêt, à titre de précaution, les deux autres réacteurs du palier N4 de Chooz dans les Ardennes. La sûreté à EDF constitue en effet une priorité absolue.

En parallèle, un autre événement survient à Penly 1. Au cours de contrôles programmés lors d'une visite décennale, une indication correspondant à de la corrosion sous contrainte est relevée sur une tuyauterie d'injection de sécurité RIS. Nous comprenons alors que l'ensemble du parc nucléaire est potentiellement concerné. Nous sommes confrontés à un défaut générique.

La réglementation française, notamment l'arrêté du 10 novembre 1999 relatif à la surveillance de l'exploitation du circuit primaire principal de nos réacteurs, est claire : le maintien en service d'un circuit avec des défauts de cette nature ne peut se poursuivre qu'après une instruction technique longue et approfondie. Il nous est apparu que seule la réparation des défauts rencontrés permettait d'assurer un retour rapide des réacteurs sur le réseau. Nous avons donc établi une stratégie de contrôle pour nous doter d'une vision précise de l'état de notre parc. Cette stratégie est basée sur deux piliers : la définition de réacteurs témoins par palier et surtout une relecture a posteriori de tous les contrôles réalisés au cours des dix dernières années sur l'ensemble des réacteurs du parc.

À la suite de ces travaux, sept réacteurs supplémentaires ont été mis à l'arrêt en complément des quatre réacteurs N4 et de Penly 1. Il s'agit des douze réacteurs arrêtés, dont chacun a entendu parler au cours du premier semestre 2022.

Nos équipes ont dû réaliser ces contrôles par ultrasons, seul dispositif alors disponible. Cependant, initialement destiné à la détection de fatigue thermique, cet outil n'était pas en mesure de préciser la nature et la profondeur des indications relevées. Pour cette raison, nous n'avions d'autre choix que de procéder à la découpe de portions de tuyauterie.

Ainsi, au premier semestre 2022, 115 soudures différentes ont été expertisées avec des équipements de laboratoire de haute technologie et 230 échantillons métallographiques ont été analysés avec des microscopes de grande précision. L'ensemble de ce travail d'expertise titanesque a amélioré notre compréhension du phénomène et nous permet raisonnablement d'affirmer que le caractère prépondérant d'apparition de la CSC est la géométrie des lignes des circuits auxiliaires, car elle détermine le niveau de contrainte rencontré dans les tuyauteries, que les 32 réacteurs de 900 mégawatts et les 8 réacteurs de 1 300 mégawatts du palier P4 sont peu ou très peu sensibles à la CSC, que les 12 réacteurs de 1 300 mégawatts de type P'4 et les réacteurs N4 sont sensibles ou fortement sensibles à l'apparition de CSC, et que la zone de tuyauterie dans laquelle le phénomène apparaît est délimitée par une soudure au-delà de laquelle la corrosion ne se développe plus.

Tous ces éléments, combinés avec des analyses de sûreté et des calculs de tenue mécanique des tuyauteries, nous ont permis de présenter à l'ASN, le 13 juillet dernier, un dossier complet comprenant notre analyse et une stratégie de contrôle et de réparation pour l'ensemble de nos réacteurs.

Aujourd'hui, sur les douze réacteurs, dix ont fait ou font l'objet de réparations des circuits déposés et deux méritent quelques commentaires. Pour Flamanville 1, l'opération de remplacement des générateurs de vapeur en cours ne peut être menée de concert avec les réparations. S'agissant d'un réacteur du palier P4, nous espérons ne pas découvrir de corrosion sur ses tuyauteries. Pour Bugey 3, réacteur du palier 900 mégawatts, nous avons décidé, avec l'accord de l'ASN, de ne pas procéder à des découpes pour expertise, celles réalisées sur Bugey 4 et Fessenheim n'ayant révélé aucune trace de CSC.

En ce qui concerne les dix chantiers de réparation, six sont aujourd'hui terminés, permettant le retour de ces réacteurs sur le réseau pour l'hiver. Le chantier de Penly 1 devrait se terminer au cours du mois de novembre. Notre objectif est que les trois derniers chantiers, Chooz 1 et 2 ainsi que Civaux, soient terminés d'ici la fin de l'année. Toutefois, à la fin d'un chantier de corrosion sous contrainte, il peut rester un certain nombre d'actions à réaliser.

Nos procédés sont basés sur des modes opératoires semblables à ceux utilisés à l'origine, car ils ont fait l'objet d'une qualification. Le temps imparti empêche, en effet, de qualifier de nouveaux procédés. La réussite de ces chantiers résulte d'une mobilisation de plusieurs partenaires industriels qui se sont engagés à nos côtés et que je souhaite remercier. Ainsi, Monteiro et son partenaire ONET ont réalisé un travail remarquable à Civaux 1 et à Tricastin 3. Ils travaillent aujourd'hui à Civaux 2 et à Chooz 2. Par ailleurs, Endel a rapidement terminé le chantier de Chinon B3 et se trouve aujourd'hui mobilisé à Penly 1. L'entreprise a également effectué un travail remarquable avec Sigedi à Cattenom 4. Enfin, Framatome et Westinghouse, chaudiéristes présents sur les chantiers de Bugey 4, Flamanville 2 et Chooz 1, nous ont apporté une expertise technique et internationale, avec la sollicitation de soudeurs venus notamment d'Amérique du Nord.

J'aurais évidemment souhaité que ces industriels soient plus nombreux, ou que leurs ressources soient plus importantes, pour agir plus rapidement et minimiser les doses reçues par les travailleurs. Dans le respect de la réglementation, nous sommes en passe grâce à eux de tenir nos objectifs et de remettre ces réacteurs sur le réseau pour l'hiver prochain. Par ailleurs, dès le début de l'année 2022, nous avons mobilisé des fondeurs et des forgerons italiens, avec qui nous avions l'habitude de travailler dans le cadre du programme Grand Carénage. Grâce à cette mobilisation, au bout de six mois, nous avons disposé de toutes les pièces de rechange pour réaliser les travaux de réparation. Cette anticipation des besoins a été un élément clé de la résolution de la crise. Au vu de la situation actuelle, nous sommes en mesure de respecter les objectifs fixés pour l'hiver par RTE, responsable de l'équilibre du réseau électrique.

Toutefois, le dossier n'est pas clos. Conformément à l'engagement que nous avons pris vis-à-vis de l'ASN, nous allons procéder à des contrôles sur l'ensemble des réacteurs les plus sensibles, ceux du palier P'4. Ces contrôles sont déjà engagés à Cattenom 1, Golfech 1 et Penly 2 et le seront sur les autres réacteurs l'année prochaine. Les réparations dépendront du résultat des contrôles.

C'est une vraie prouesse d'avoir développé en moins d'un an une nouvelle technique de contrôle par ultrason aussi performante et capable de sonder trois centimètres d'épaisseur de métal. Je tiens à saluer tous ceux qui ont travaillé sur cet outil, certes perfectible, mais dont nous pensons pouvoir disposer totalement à partir du début de l'année prochaine.

Par ailleurs, de nombreux efforts doivent encore être réalisés en matière de recherche et développement, pour décrypter tous les mécanismes complexes du phénomène. Pour nous éclairer, nous avons réuni au mois d'octobre 15 experts internationaux de la métallurgie. Un certain nombre de recommandations ont émergé des auditions. De façon unanime, les experts ont partagé nos conclusions. Mais ils nous ont également recommandé d'approfondir certains sujets tels que la température et le taux d'oxygène des circuits, pour lesquels nous allons lancer des campagnes de mesure. Les experts ont rendu un avis favorable sur le nouveau dispositif de contrôle ultrasonore. Enfin, tout en soulignant le bien-fondé du remplacement des tuyauteries à l'identique, certains ont souligné la possibilité de recourir à l'overlay, ou manchonnage. Ce dispositif consiste en l'ajout, à l'extérieur de la tuyauterie, d'un dispositif métallique soudé sur la tuyauterie elle-même, à l'endroit où une fissure est présente. Ce dispositif est qualifié selon les codes et normes ASME américaines. EDF examinera la pertinence de ce type de solution et engagera un dialogue avec l'ASN sur le sujet.

Nous passons à présent à une seconde phase qui vise à réaliser des contrôles et des actions de recherche de plus long terme, sur plusieurs années. Certes, les impacts sur la production devraient décroître au fil des mois, mais beaucoup de moyens seront encore mobilisés.

Pour conclure, trois éléments ont constitué notre fil directeur au cours de l'année qui vient de s'écouler. Premièrement, la sûreté nucléaire a été et demeurera notre priorité absolue. Les mises à l'arrêt de certains réacteurs en plein hiver ont constitué des décisions difficiles, mais nécessaires. Deuxièmement, la relation avec l'Autorité de sûreté nucléaire doit être fondée sur la confiance, le dialogue et la transparence, élément indispensable au bon fonctionnement de l'industrie nucléaire civile. Troisièmement, nous avons la volonté constante, partagée avec l'ASN, de disposer aussi rapidement que possible d'un état de situation précis.

Nous sortons progressivement de la crise pour apporter au pays l'électricité dont il a besoin cet hiver et les prochaines saisons. Vous pourrez toujours compter sur EDF et ses agents pour assurer cette belle et grande mission d'intérêt général qu'est le service public de l'électricité. Avec Étienne Dutheil, directeur du parc nucléaire, et Hubert Catalette, directeur du projet corrosion sous contrainte, nous sommes disponibles pour répondre à vos questions.

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