Intervention de Bernard Doroszczuk

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 27 octobre 2022 à 10h38
Audition publique sur les problèmes de corrosion sous contrainte rencontrés sur le parc électronucléaire d'edf

Bernard Doroszczuk, président de l'ASN :

Je suis accompagné d'Olivier Gupta, directeur général de l'ASN, et d'un certain nombre de représentants de l'ASN qui pourront également répondre à vos questions. Je souhaiterais de manière générale et liminaire insister sur quatre points.

Premièrement, la fissuration par corrosion sous contrainte est un sujet sérieux qui a été traité sérieusement par EDF. En effet, elle comporte de réels enjeux de sûreté, dès lors qu'elle peut conduire à une brèche sur un circuit auxiliaire directement connecté au circuit primaire sans possibilité de l'isoler. En cas de brèche primaire et de rupture des circuits auxiliaires, nous serions dans une situation accidentelle, avec des dommages à l'installation, potentiellement accompagnée d'une perte durable du réacteur et de rejets modérés à l'extérieur. La fissuration par corrosion sous contrainte est générique sur les quatre réacteurs du palier N4 et potentiellement générique sur les douze réacteurs du palier P'4. Les fissurations découvertes sont potentiellement évolutives au sein de l'épaisseur de la tuyauterie et peuvent atteindre plusieurs millimètres, jusqu'au quart de l'épaisseur. En outre, il existe une faible marge par rapport à la taille du défaut critique qui pourrait entraîner une rupture de la canalisation en cas de déclenchement du circuit d'injection de sécurité.

La fissuration par corrosion sous contrainte est également un sujet difficile à traiter. Cette fissuration était inattendue, au vu du type de matériau utilisé, et inédite à cette échelle sur le parc mondial des réacteurs à eau sous pression. Les exploitants d'EDF ne disposaient donc d'aucun retour d'expérience international permettant d'accélérer le traitement de ce problème. Cette fissuration est difficile à détecter, car elle se propage en lignes brisées, en suivant les joints du métal. Les dispositifs de contrôle non destructif disponibles au moment de la découverte n'étaient pas adaptés à la caractérisation de ce type de fissuration. Ils ne permettaient donc pas d'en connaître la taille. Enfin, la corrosion sous contrainte nécessite des interventions pour le contrôle et la réparation en milieu dosant proche du circuit primaire principal, ce qui impose des protections et une durée limitée d'intervention pour les travailleurs. Les équipes d'EDF ont travaillé en étroite relation avec la direction des équipements sous pression et la direction des centrales nucléaires de l'ASN, avec l'appui technique de l'IRSN.

Deuxièmement, EDF a rapidement déployé un plan d'investigation conséquent qui a permis de proposer une stratégie de priorisation des contrôles et des réparations, approuvée par l'ASN fin juillet. Le premier semestre 2022 a été consacré à la mise en oeuvre d'un plan d'investigation basé sur des découpes, des expertises ainsi que des justifications de sûreté. Il était indispensable pour comprendre le phénomène, identifier les zones des réacteurs les plus concernées et définir une stratégie de contrôles priorisés. Les investigations menées ont permis d'identifier la géométrie des tuyauteries et les contraintes thermomécaniques comme principaux facteurs influençant l'apparition des fissures de corrosion sous contrainte. Les soudures réalisées avec de fortes énergies de soudage et sans arasage constituent également un facteur aggravant. La qualité des soudures mises en oeuvre pour réparer les circuits doit être particulièrement soignée, pour éviter autant que possible la réapparition de ce type de fissurations. Ce plan d'investigation a permis d'identifier les réacteurs N4 et les réacteurs de 1 300 mégawatts du palier P'4 comme étant les plus concernés. Ainsi, au total, seize réacteurs sont prioritaires. Sept ont fait l'objet de découpes et d'investigations, trois sont en cours de contrôle et six restent à contrôler d'ici mi-2023. Nous avons estimé que cette stratégie proposée par EDF était appropriée, compte tenu des connaissances accumulées sur le phénomène et des enjeux de sûreté associés. Les contrôles seront réalisés par un nouveau procédé non destructif par ultrasons qui permettra de caractériser la taille des défauts sans procéder à des découpes, donc à des réparations. Les premiers résultats de cette nouvelle méthode, qui devra être qualifiée, sont encourageants, mais restent à consolider. Une attention particulière devra être portée aux soudures réparées au moment de la construction d'origine, car les expertises ont mis en évidence qu'elles induisent des champs de contrainte différents à proximité des soudures et peuvent être à l'origine de développements plus rapides de corrosion sous contrainte. En fonction des résultats obtenus sur ces seize réacteurs, l'ASN pourra demander la remise en état des circuits affectés si la taille des fissurations est importante, ou bien accepter la remise en état de manière différée après justification. Les décisions de l'ASN seront proportionnées aux enjeux de sûreté. D'ici fin 2025, conformément aux engagements d'EDF, les réacteurs de l'ensemble du parc nucléaire devront être contrôlés et éventuellement réparés.

Troisièmement, au vu du caractère inédit et des enjeux de sûreté, le phénomène de corrosion sous contrainte suscite un besoin de transparence, d'information et de partage d'expérience. Pendant toute la période d'investigation et de dialogue technique avec EDF, l'ASN s'est efforcée de garantir cette information à l'égard du public, ainsi que l'échange d'expérience avec ses homologues à l'étranger. Dès janvier 2022, l'ASN a mis en ligne un dossier spécifique sur la problématique de corrosion sous contrainte dans lequel figure l'ensemble de ses courriers de demande, de ses prises de position, ainsi que les notes d'information émises sur le sujet. Les divisions territoriales de l'ASN ont participé aux réunions des commissions locales d'information (CLI) qui ont abordé ce sujet. De la même manière, l'ASN est intervenue à l'occasion des présentations organisées par EDF devant le Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN). Elle participera au prochain webinaire organisé par l'ANCCLI sur ce sujet. Les groupes permanents d'experts placés auprès de l'ASN ont été tenus informés et se sont prononcés, en vue des avis émis par l'ASN, sur la stratégie proposée par EDF et les moyens de contrôle développés. Nous avons à ce jour réalisé 38 inspections sur le sujet, dont les lettres de suite sont disponibles sur le site internet de l'ASN. Nous avons mené plusieurs actions de partage de connaissances et d'échanges avec les autres régulateurs internationaux dans le cadre de réunions bilatérales, ainsi que dans le cadre des instances européennes : le Groupement européen des autorités de sûreté nucléaire (ENSREG) et l'Association des autorités de sûreté nucléaire des pays d'Europe de l'Ouest (WENRA, en anglais Western European Nuclear Regulators Association), ou internationales : l'Association internationale des autorités de sûreté nucléaire (INRA, en anglais International Nuclear Regulators'Association). Je dois souligner la forte demande de connaissances de la part de nos homologues européens, nord-américains, asiatiques et sud-africains. De nombreux régulateurs ont d'ores et déjà demandé à leurs exploitants de réaliser des contrôles sur leurs propres installations.

Quatrièmement, nous pouvons tirer trois principaux enseignements de cet événement. D'abord, la prudence s'impose. Les connaissances sur le phénomène de corrosion sous contrainte sont évolutives et le programme de contrôle devra être adapté si de nouveaux éléments sont mis en évidence. Le premier résultat d'un contrôle réalisé par la technique d'examen non destructif (END) améliorée montre que des tailles de fissuration non rencontrées dans la phase d'investigation avec découpe pourraient être détectées. De même, il est nécessaire de rester prudent sur les capacités industrielles disponibles qui mobilisent des segments industriels en tension : contrôleurs non destructifs, tuyauteurs et soudeurs. Il convient de renforcer davantage ces capacités industrielles pour faire face à l'ampleur des opérations de contrôle et de travaux.

Le second enseignement est que la capacité des exploitants à concevoir la survenue d'événements inattendus doit être entretenue. C'est l'objet des plans de maintenance préventive des exploitants et de l'examen de conformité détaillé que nous demandons lors des visites décennales. Examiner des parties difficilement visibles en exploitation normale : réseaux enterrés, câbles électriques, etc., vérifier que les a priori sur la tenue des équipements sont bien justifiés et utiliser les nouvelles techniques de contrôle non destructif restent une préoccupation des exploitants dans toutes industries à risque : nucléaire, chimie, pétrole offshore et génie civil.

Enfin, le dernier enseignement a trait à la réaffirmation du besoin de disposer de marges pour la sûreté. En 2013, dans le cadre du débat sur la politique énergétique, l'ASN a émis un avis qui soulignait l'importance de disposer de marges suffisantes dans le système électrique pour pouvoir faire face à la nécessité de suspendre simultanément, pour des raisons de sûreté, le fonctionnement de plusieurs réacteurs. Ce besoin a été réaffirmé dans les rapports annuels de l'ASN sur l'état de la sûreté, ainsi que lors de la présentation de ces rapports à l'OPECST en 2018 et 2021. La situation actuelle illustre la nécessité impérieuse de restaurer des marges pour la sûreté et dans les décisions prises pour le dimensionnement des capacités de production électrique dans le cadre du mix énergétique à l'horizon 2050.

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