Intervention de Pierre Henriet

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 27 octobre 2022 à 10h38
Audition publique sur les problèmes de corrosion sous contrainte rencontrés sur le parc électronucléaire d'edf

Pierre Henriet, député, président de l'Office :

Je laisse la parole à Jean-Christophe Niel, directeur général de l'IRSN, qui complétera le propos technique sur la corrosion sous contrainte.

Jean-Christophe Niel, directeur général de l'IRSN. - C'est toujours un honneur d'aborder des sujets d'une telle importance. L'IRSN intervient notamment sous forme d'avis à destination de l'ASN.

Le phénomène de corrosion sous contrainte est plus fréquent sur les réacteurs à eau bouillante en raison de la présence de vapeur et d'eau. L'Electric Power Research Institute (EPRI) a recensé 150 cas. Ce nombre apparaît faible au regard du nombre de soudures, réacteurs et composants potentiellement concernés. Le taux de sondage reste toutefois variable, entre 10 et 25 %. La majorité des cas concernent des milieux occlus, c'est-à-dire des sections de tuyauterie dans lesquelles le fluide ne circule pas ou peu. Dans un certain nombre de cas non nominaux, des écarts par rapport aux spécifications chimiques sont identifiés. La corrosion sous contrainte détectée sur le parc nucléaire français est donc atypique, en termes d'étendue sur l'ensemble des réacteurs à eau sous pression.

Sur l'origine, nous partageons la position d'EDF selon laquelle il s'agit d'un problème de stratification thermique, c'est-à-dire d'étalement de la température dans un même tuyau. Au contact de l'eau froide, le tuyau a tendance à se contracter, et au contact de l'eau chaude, il a tendance à s'étendre. Il ne faut cependant pas confondre cette contrainte avec la fatigue thermique, qui correspond à une alternance de chaud et de froid.

Nous considérons la présence d'oxygène dans le circuit primaire comme un facteur de risque de corrosion sous contrainte pour l'acier inoxydable austénitique. Cet oxygène est introduit dans le circuit primaire à l'occasion d'injections d'eau ou de bore depuis un réservoir, appelé bâche. Le bore permet de ralentir la réaction nucléaire. Il est utilisé en fonctionnement normal, mais aussi en situation accidentelle. Cependant, dans certains cas, l'eau injectée n'a pas été désaérée, c'est-à-dire inertée. Dans le cas des réacteurs de 1 300 et 1 450 mégawatts, depuis l'origine, la bâche est au contact d'oxygène et peut en entraîner dans le circuit primaire. Les réacteurs de 900 mégawatts sont désinertés depuis quelques années, notamment à la suite d'un accident du travail d'anoxie, lié à l'azote. Même si les mesures réalisées en branche chaude en sortie du réacteur font état d'un taux d'oxygène plutôt faible, il nous semble qu'EDF doit s'intéresser à l'oxygène en amont du coeur du réacteur, c'est-à-dire à l'eau qui provient directement desdites bâches. L'IRSN a d'ailleurs repris cette demande dans les suites des travaux du groupe permanent d'experts, auquel nous avions proposé cette démarche. Ce facteur a un impact sur la cinétique de propagation des fissures.

Le circuit d'injection de sécurité est essentiel à la prévention de la fusion du coeur en cas d'accident. Il est connecté sur le circuit primaire. Entre la connexion au circuit primaire et le premier isolement, la fissuration d'un morceau de tuyauterie engendre une fuite sur le circuit primaire. Les réacteurs comprennent quatre lignes d'injection dans les branches froides du circuit. La démonstration de sûreté réalisée par l'opérateur dans le cadre de la mise en service de son installation inclut l'étude de la rupture d'une ligne. EDF a procédé à des calculs pour deux brèches simultanées sur deux lignes et conclut à l'absence de fusion du coeur sur les réacteurs de 1 300 mégawatts. Autrement dit, le combustible resterait intègre. L'IRSN a réalisé ses propres calculs et partage les conclusions tirées par EDF.

Il n'existait aucun système de contrôle adapté à la corrosion sous contrainte. Les systèmes ultrasoniques étaient destinés à détecter une fatigue thermique. En effet, les contrôles ultrasonores mesurent le rebond d'une onde sonore pour l'analyser. Or, la corrosion sous contrainte poursuit un parcours déstructuré qui ne favorise pas le renvoi d'un faisceau homogène et, in fine, sa lecture. Dans un premier temps, EDF a souhaité renforcer la sensibilité du dispositif existant, opération qui s'est révélée infructueuse. Aussi, un nouveau dispositif de contrôle a été mis au point. Il permet de détecter des défauts de corrosion sous contrainte, de caractériser leur hauteur et d'enregistrer les images ultrasonores. Ces dernières peuvent être communiquées à des experts plus pertinents. EDF peut ainsi trouver la taille effective du défaut. Il est cependant nécessaire de procéder à une qualification de l'outil. Le dispositif présente un certain nombre de limites, notamment par rapport aux géométries complexes. Enfin, les défauts situés à proximité de soudures n'ont pas été utilisés pour qualifier le procédé.

De manière générale, il est préférable de réparer plutôt que de justifier, mais cela peut être utile pour certaines situations. La démarche consiste alors à définir un défaut critique. Autrement dit, il est nécessaire d'apporter la garantie que le système reste sous le défaut critique. Une mesure est donc réalisée à laquelle est ensuite intégrée l'incertitude de la mesure et la propagation de la fissure sur la durée de fonctionnement.

En conclusion, la compréhension du phénomène reste à parfaire. Le sujet le plus important demeure le procédé de contrôle, qui devra à terme être intégré dans les programmes de maintenance d'EDF. Pour ce faire, il sera nécessaire de qualifier ce procédé pour réaliser des contrôles sur l'ensemble des réacteurs, en priorisant les réacteurs P'4. Enfin, la question de l'oxygène dans l'eau d'appoint du circuit primaire doit être étudiée pour mieux comprendre ce phénomène, mieux instrumenter les circuits et le cas échéant faire évoluer les modes de gestion afin de réduire le taux d'oxygène. Depuis un an, l'IRSN est très mobilisée sur ce sujet et une dizaine de personnes y travaillent, soit 5 équivalents temps plein. L'IRSN doit régulièrement mobiliser des moyens sur des sujets inattendus, ce qui n'est pas sans effet sur sa capacité de fonctionnement.

Les avis sur lesquels nous nous sommes positionnés pour l'ASN sont essentiellement ceux relatifs à l'analyse des procédés d'examen ultrasonore optimisés et à l'analyse du risque de rupture brutale, incluant l'étude de sûreté avec deux brèches simultanées, le rôle de l'oxygène et la possibilité de fonctionnement avec une fissure - pour laquelle il serait nécessaire de renforcer la démonstration. S'agissant des mesures compensatoires prises par EDF pour anticiper une brèche, notamment par la détection de fuites sur le circuit primaire, nous avons attiré l'attention sur l'utilité des dispositifs d'incendie : environ 50 % des circuits RIS et RRA passent dans des locaux comportant des détections et des sondes incendie qui se déclenchent en cas d'apparition de vapeur d'eau.

Je suis accompagné de Karine Herviou, directrice générale adjointe de l'IRSN, qui pourra également répondre à vos questions.

Je vous remercie pour cette présentation claire et synthétique. L'énergie nucléaire constitue un enjeu technique, mais également politique, notamment en cette période de crise énergétique. C'est pourquoi nous avons le plaisir d'accueillir des représentants de la société civile. Nous allons d'abord entendre Yves Marignac, interlocuteur de longue date de l'OPECST.

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