Intervention de Bernard Doroszczuk

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 27 octobre 2022 à 10h38
Audition publique sur les problèmes de corrosion sous contrainte rencontrés sur le parc électronucléaire d'edf

Bernard Doroszczuk, président de l'ASN :

Nous avons chacun tenté d'expliquer le caractère inédit du phénomène par rapport au parc mondial et le fait qu'EDF ne disposait d'aucun moyen pour caractériser la taille de la fissuration au moment de cette découverte. Nous avons donc évolué en aveugle pendant près d'un semestre et il n'était donc pas envisageable de demander à EDF de justifier le maintien en service des réacteurs. Nous ignorions en effet quels étaient les circuits affectés, les tailles potentielles des défauts et les marges par rapport à un risque de rupture. Nous savions simplement que le phénomène était présent sur des circuits non isolables par rapport au circuit primaire. En cas de rupture, nous aurions été confrontés à un accident nucléaire. Il était donc indispensable de mener des investigations qui nécessitaient des découpes pour expertiser et identifier l'ampleur des dégâts sur l'ensemble du parc nucléaire.

À présent, nous entrons dans une deuxième phase. Grâce au travail d'investigation mené, un ordre de priorité a été défini. Nous l'avons reconnu comme acceptable, au regard des justifications sur les facteurs prépondérants de développement de cette corrosion, liée aux géométries des lignes. Ce phénomène n'a pas été observé à l'étranger parce que la géométrie des lignes a évolué avec le temps. À ma connaissance, il n'existe pas de réacteurs à travers le monde avec des géométries de lignes comparables aux paliers des réacteurs de 1 300 mégawatts et du palier N4. Les réacteurs à eau sous pression les plus répandus sont comparables aux réacteurs de 900 mégawatts de conception Westinghouse. Le phénomène n'est donc pas lié au vieillissement, car ces réacteurs, plus anciens puisqu'ils ont 40 ans, ne sont pas ou peu affectés. En revanche, la corrosion peut se développer rapidement sur des réacteurs relativement récents, comme ceux du palier N4 qui ont 20 ans. Dans un premier temps, nous étions donc dans une certaine méconnaissance du phénomène et il fallait développer une technique de contrôle non destructif, qui reste à améliorer et à qualifier. Nous sommes maintenant en mesure d'accepter la priorisation proposée par EDF. En fonction des résultats des investigations, cette stratégie de contrôle pourrait encore évoluer.

La situation a été présentée à nos homologues étrangers. Aucun d'entre eux n'a estimé qu'EDF et l'ASN avaient commis un excès de zèle. Ils auraient d'ailleurs pris les mêmes décisions dans leur pays si des fissurations représentant parfois le quart de l'épaisseur de la tuyauterie avaient été découvertes. Dans certains cas, il n'existe aucune marge par rapport à la taille du défaut critique qui, en cas de sollicitation du circuit d'injection de sécurité, pourrait entraîner une rupture. Le circuit n'est pas utilisé en fonctionnement normal de l'installation, mais si c'est nécessaire pour faire face à une brèche primaire, il faut pouvoir injecter rapidement une quantité importante d'eau pour réduire l'activation du coeur. Dans une telle hypothèse, un choc thermique aurait nécessairement lieu, en raison de l'arrivée rapide d'eau froide en direction du coeur. En cas de fissures des tuyauteries jusqu'au quart de l'épaisseur, celles-ci pourraient alors se rompre.

Ainsi, durant la première phase d'investigation, EDF a fourni des justifications en termes de tenue mécanique, sur la capacité à replier le réacteur en cas de rupture de deux lignes RIS, ainsi que de mesures de surveillance en exploitation. C'est cet ensemble de justifications qui nous a conduit à accepter le maintien en service des réacteurs.

De plus, à aucun moment, nous n'avons validé des propositions d'EDF en prenant en compte le risque d'alimentation électrique. Nous avons pris des décisions proportionnées aux enjeux, toutes justifiées par des raisons de sûreté. Si nous avions estimé qu'un enjeu de sûreté était à craindre, nous aurions demandé à l'exploitant de mettre à l'arrêt les réacteurs. Mettre en débat la question d'un arbitrage ne serait pas une position tenable ou acceptable, car la sûreté doit être considérée comme un bien commun. Aucun acteur, qu'il s'agisse du Gouvernement, de l'exploitant ou du public, ne peut soutenir l'idée d'un arbitrage, car une telle voie remettrait en cause toute la confiance dans le contrôle du nucléaire.

Jean-Claude Delalonde. - Je me félicite de la réponse apportée par Monsieur Lewandowski sur l'excès de zèle. Il y a plusieurs années, en commission à l'Assemblée nationale, le représentant d'EDF s'était interrogé sur un éventuel excès de zèle de Pierre-Franck Chevet, alors président de l'ASN, relatif à l'arrêt en plein hiver des installations nucléaires. Nous avions unanimement répondu que ces contrôles étaient nécessaires. Comme vous, les députés nous avaient fait remarquer que de telles précautions n'étaient pas prises aux États-Unis et ailleurs.

Or, êtes-vous sûrs que demain un accident nucléaire ne peut arriver dans notre pays ? Un expert public, un exploitant, un responsable de la sûreté doivent être exigeants sur ces sujets. De fait, seriez-vous à même d'assumer la responsabilité et la culpabilité d'avoir laissé survenir un accident ? Nous devons nous assurer que le nécessaire est entrepris pour que la sûreté soit maintenue, ne se dégrade pas et se développe.

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