Intervention de Pierre Henriet

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 17 novembre 2022 à 9h35
Examen des conclusions de l'Audition publique sur la rénovation énergétique des bâtiments pierre henriet député et gérard longuet sénateur rapporteurs

Pierre Henriet, président de l'Office, rapporteur :

député, président de l'Office, rapporteur. - Nous pouvons maintenant passer au deuxième point de l'ordre du jour et je vous propose d'atterrir, de redescendre sur Terre avec des considérations plus matérielles mais également très stratégiques puisque nous allons examiner les conclusions de l'audition publique organisée le 6 octobre dernier sur la rénovation énergétique des bâtiments. Je vous présente la première partie de nos conclusions et je céderai ensuite la parole à Gérard Longuet.

Les objectifs ambitieux assignés au secteur du bâtiment, à l'instar de l'objectif de neutralité carbone en 2050, continuent de contraster avec la faiblesse des moyens disponibles pour les atteindre : environ quatre milliards d'euros sont dépensés chaque année pour la rénovation. Pourtant, plus que jamais, les motivations environnementales se conjuguent aux motivations économiques en vue de diminuer la facture énergétique de ce secteur, si important pour faire baisser les émissions de gaz à effet de serre (GES).

Cette audition a permis à l'Office de faire le suivi d'un sujet sur lequel il se penche régulièrement. En 2009, sur le fondement de l'article 4 de la loi de mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement, nos anciens collègues Christian Bataille et Claude Birraux s'interrogeaient, en sous-titre de leur rapport, sur « la performance énergétique des bâtiments : comment moduler la règle pour mieux atteindre les objectifs ? ».

Outre l'accélération de la diffusion des solutions les plus performantes et le fait de privilégier les meilleures solutions techniques sans a priori, deux propositions structurantes étaient particulièrement mises en avant :

- l'introduction d'un plafond d'émissions de CO2 en complément du plafond de consommation énergétique, permettant de mieux prendre en compte les émissions liées au chauffage au gaz par rapport au chauffage électrique ;

- la mesure des gains réels de performance énergétique après travaux, ce qui encourage l'innovation technologique.

Ce dernier sujet est revenu de manière récurrente au cours de l'audition publique organisée le 6 octobre 2022.

Quelques années après, nos anciens collègues Jean-Yves Le Déaut et Marcel Deneux ont estimé en 2014, dans le titre de leur rapport, que les freins réglementaires à l'innovation en matière d'économie d'énergie dans le bâtiment nécessitaient une « thérapie de choc ». Ils proposaient notamment de recentrer les missions du centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), de simplifier les aides et de les rendre plus globales - à l'image de MaPrimeRénov' - ou encore de faire de la rénovation un axe majeur de la Stratégie nationale de la recherche.

Enfin, en 2018, nos collègues Jean-Luc Fugit et Loïc Prudhomme ont réalisé une note scientifique de l'Office sur la rénovation énergétique des bâtiments dans laquelle, tout en reprenant certaines des recommandations précédentes, ils ont préconisé de mesurer le nombre de rénovations effectuées ainsi que leurs qualités précises, de traiter en priorité les 7,4 millions de passoires thermiques et, plus largement, de soutenir l'innovation et de mieux financer la recherche associée.

En France, environ un quart des émissions de gaz à effet de serre est dû au bâtiment. La rénovation énergétique des bâtiments implique aussi des enjeux politiques et sociaux en termes d'indépendance énergétique et de réduction de la précarité énergétique. L'atteinte des objectifs nationaux de réduction des émissions de GES et de consommation d'énergie finale est fortement dépendante de la réalisation des objectifs fixés au secteur du bâtiment.

Depuis une trentaine d'années, on observe que le parc de logements ne se renouvelle que de 1 % par an. Il est donc nécessaire de rénover spécialement le bâtiment existant, faute de quoi il s'écoulerait une centaine d'années avant que l'ensemble du parc soit devenu performant. En effet, les progrès considérables réalisés sur la performance des bâtiments neufs ne peuvent avoir qu'un effet limité sur les caractéristiques des émissions de GES et de consommation d'énergie du parc considéré globalement, même à l'échelle de deux décennies.

De plus, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015, mettant en place la stratégie nationale bas carbone et encadrant la programmation pluriannuelle de l'énergie, fixe l'objectif d'un secteur du bâtiment neutre en carbone à l'horizon 2050, c'est-à-dire par exemple uniquement composé de logements à diagnostic de performance énergétique (DPE) A ou B. Cet objectif impose de rénover à l'échelle nationale plus de 27 millions de logements d'ici à 2050, soit une cible de 700 000 rénovations chaque année. Celle-ci est loin d'être atteinte puisqu'il n'y a actuellement que 70 000 à 80 000 rénovations par an.

La rénovation énergétique des bâtiments représente un investissement annuel de l'ordre de quatre milliards d'euros, dont 2,8 milliards d'euros pour MaPrimeRénov'. Comme l'affirmait la note scientifique de l'Office en 2018, il est important dans un tel contexte de prioriser la rénovation des bâtiments existants par rapport à une course à la performance dans l'amélioration des bâtiments neufs.

Aussi, en conclusion de l'audition publique du 6 octobre 2022, Gérard Longuet et moi-même vous présentons plusieurs propositions, certaines ayant été explicitement évoquées lors de l'audition. Il s'agit de promouvoir trois axes d'amélioration, chaque axe donnant lieu à trois recommandations. Nous avons par ailleurs veillé à ce que les neuf recommandations forment un ensemble cohérent.

Le premier axe propose un véritable pilotage public de la rénovation énergétique des bâtiments et s'accompagne de trois séries de mesures. La principale consiste à préconiser la refonte, la simplification et la stabilisation des dispositifs d'aides directes. Il faut éviter la multiplication des dispositifs, recentrer les mesures de soutien autour du nom MaPrimeRénov', quitte à décliner cette dernière selon plusieurs modalités d'application. Ce cadre doit être stabilisé car la lisibilité du système d'aides est une condition de son succès.

Par ailleurs, les aides sont fournies indépendamment du contenu réel des travaux alors que beaucoup ne permettent pas de diminuer significativement la consommation énergétique. C'est pourquoi la question de l'efficacité des travaux doit devenir un objectif, à la fois en termes de consommation d'énergie et d'émission de CO2.

De manière moins opérationnelle, je mentionne deux autres pistes possibles, celle d'un « viager énergétique » et celle d'une non-prise en compte des dépenses en faveur de la rénovation énergétique dans le calcul du déficit public au sens de Maastricht.

Je poursuis avec la deuxième série de mesures de ce premier axe. Il convient d'inciter plus et mieux en mobilisant des outils de fiscalité et de communication. Il faut moduler les incitations fiscales de sorte que les rénovations globales et les parcours types de travaux bénéficient de régimes fiscaux encore plus favorables. On peut également imaginer la mise en place d'une incitation fiscale sous forme de crédit d'impôt à l'intention des ménages les plus précaires, ainsi que pour les copropriétés au sein desquelles, trop souvent, l'intérêt de la rénovation énergétique ne parvient pas à se diffuser.

Les incitations non fiscales passent notamment par une réorientation de la communication sur la rénovation énergétique des bâtiments en vue de rétablir la confiance des ménages. De plus, il faut recourir davantage aux certificats d'économie d'énergie qui sont de très bons moyens de financer les travaux de rénovation sans nécessiter des crédits d'État ou des prêts bancaires, puisqu'il s'agit de mécanismes obligeant les fournisseurs d'énergie - électricité, gaz, fuel, carburant, GPL - à encourager les travaux d'économie d'énergie des particuliers, des syndicats de copropriété, des collectivités locales ou encore des entreprises.

Enfin, nous avons besoin de mobiliser les collectivités territoriales, qui peuvent donner une impulsion, d'autant que l'audition a souligné le fait que l'échelle locale est souvent pertinente pour déployer une stratégie de rénovation énergétique, ne serait-ce que parce que la France connaît plusieurs types de climat. Plutôt qu'être pensée au seul niveau du logement individuel ou du bâtiment, la rénovation doit être pensée dans un cadre certes local, mais plus large. Le raisonnement et l'action doivent par exemple se déployer au niveau d'un pâté de maisons, d'un îlot, d'un quartier, voire d'une commune.

Je cède la parole à Gérard Longuet pour présenter la suite de nos conclusions.

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