Intervention de Thierry Burlot

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 7 décembre 2022 à 10h35
Gestion de la compétence eau par les collectivités territoriales dans un contexte de changement climatique — Audition de Mm. Thierry Burlot président du cercle français de l'eau cfe baptiste julien responsable du pôle eau association amorce bruno forel président et frédéric molossi coprésident de l'association nationale des élus de bassin aneb

Thierry Burlot, président du Cercle français de l'eau (CFE) :

L'été 2022 nous a permis de comprendre que l'eau n'était pas inépuisable. C'est un bien commun, essentiel au développement économique et à l'attractivité de nos territoires. Sans eau, pas de santé publique, d'énergie, d'urbanisme, d'industrie. Ce manque d'eau a profondément marqué nos territoires, particulièrement nos territoires ruraux.

En Bretagne, à Ploeuc-L'Hermitage, terre où l'on cultive la pomme de terre, la production a connu une baisse de 50 % cette année. Il en va de même pour les haricots verts partout en France. L'eau est précieuse et rare, et l'on s'est rendu compte qu'il fallait la considérer avec attention. Le réveil est douloureux, alors que notre pays était plutôt bien organisé autour de la loi de 1964, loi fondatrice qui a créé les périmètres hydrographiques, les agences de l'eau et surtout une certaine forme de démocratie participative autour de la gestion de l'eau.

La loi de 1992 a, quant à elle, instauré les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) et a opéré une forme plutôt réussie de décentralisation, à tel point que notre pays est une référence internationale en matière de gestion de la ressource. On l'avait presque oublié, et c'est à l'étranger que l'on peut entendre vanter les mérites du modèle français. Comment a-t-on pu en arriver là avec un aussi bon modèle ? Il existe selon moi trois sujets majeurs.

En premier lieu, le petit cycle de l'eau a bien fonctionné : aujourd'hui, l'eau du robinet est acheminée vers l'ensemble des foyers et cela se passe plutôt bien, à quelques exceptions près. On a même mis en place des réseaux d'assainissement.

Vous l'avez dit, monsieur le président : il existe des inégalités tarifaires. Les territoires ruraux payent généralement plus cher que les territoires urbains, mais cela s'explique aussi par la configuration des réseaux et le nombre d'abonnés. On a parfois débattu du mode de gestion mais, aujourd'hui, les choses sont sous maîtrise publique.

Le sujet porte principalement sur ce qu'on appelle le grand cycle de l'eau - même si je n'aime pas faire la distinction entre le grand et le petit cycle, puisqu'il s'agit de la même eau. Certes, il faudra améliorer certaines choses à propos du petit cycle de l'eau : interconnexion des réseaux, sécurisation, rendement - mais ce sont des améliorations que l'on est en mesure d'apporter. Il faudra cependant être solidaire, bien qu'on ne le soit généralement que lorsqu'on a quelque chose à y gagner.

Prenez l'exemple de la Bretagne : les départements les plus sécurisés sont les plus interconnectés. C'est une des leçons de cet été. Certains territoires sont plus fragiles que d'autres, mais je ne suis pas inquiet pour ce qui est du petit cycle de l'eau. Il faudra toutefois travailler sur la rénovation et la jouvence des réseaux. On en reparlera.

Les choses sont plus compliquées en ce qui concerne le grand cycle. Tout d'abord, le périmètre hydrographique ne correspond pas au périmètre de la décision politique. Il y a là un véritable sujet. Qui décide et la cohérence est-elle assurée ? Pour illustrer mon propos, je prendrais l'exemple des SDAGE. Le comité de bassin Loire-Bretagne vient de voter le sien - comme si l'on pouvait faire un document unique sur un périmètre aussi différent - avec un certain nombre de difficultés et de tensions sur le sujet.

Dans l'un de ses avis, l'Autorité environnementale a reproché l'absence de coordination avec les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET), comme si on pouvait écrire une politique de l'eau indépendamment d'une politique économique et d'aménagement du territoire !

C'est là l'une des premières incohérences en matière de politique de l'eau. Celle-ci s'est enfermée dans la technique, en oubliant l'aménagement du territoire et le développement économique, qui font la qualité de la nappe phréatique et de nos rivières. Si ces politiques ne se croisent pas, la cohérence de l'ensemble est affaiblie.

Au-delà des SDAGE, des schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) ont vu le jour dans les bassins versants. Or les SAGE ne dialoguent pas forcément avec les intercommunalités. Les intercommunalités élaborent des schémas de cohérence territoriale (SCoT), des plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi), etc., sans se soucier de la question de l'eau, de son prélèvement et, surtout, de la capacité épuratoire du milieu aquatique. Si la politique de l'eau ne fait pas l'objet d'une mise en cohérence avec les politiques agricoles, on se prive de la possibilité d'une approche globale.

En deuxième lieu - et le sujet est d'importance -, le financement du petit cycle fonctionne assez bien : plus on consomme, plus on paie. Cela a du sens. Ce n'est pas la même chose pour le grand cycle de l'eau. Le fruit des redevances des agences de l'eau, au niveau national, représente un peu plus de 2 milliards d'euros. Le comité de bassin Loire-Bretagne représente 30 % du territoire national et ne reçoit que 380 millions d'euros, alors que celui de Seine-Normandie - 20 % du territoire - perçoit 900 millions de redevances. Les territoires ruraux les plus vastes ont ainsi une assiette de redevance plus étroite.

Aujourd'hui, les moyens d'action en faveur du grand cycle de l'eau sont limités, compte tenu de la faiblesse des moyens financiers. Je suis convaincu qu'après l'été que nous venons de vivre, tout le monde a compris que les efforts concernant le grand cycle doivent être accentués - être plus sobre, protéger la ressource, etc.

Pour cela, il ne s'agit pas uniquement de créer de nouvelles contraintes pour l'agriculteur, le propriétaire et la commune. Si nous voulons accroître l'ambition de la politique du grand cycle de l'eau, il faut mettre ce patrimoine au service du bien commun et lui donner les moyens d'agir. L'environnement ne doit pas être vu uniquement sous l'angle de la décroissance. Ce doit être aussi une ambition politique à laquelle on donne les moyens pour aider nos agricultures, les communes, etc.

Aujourd'hui, nous sommes face à un paradoxe : plus on urbanise, plus on imperméabilise, plus on se développe, plus on a d'impact sur la ressource en eau et plus on est aidé ! À l'inverse, plus on oeuvre en faveur de la protection et de la préservation du bien commun, du classement des zones humides ou du bocage, plus les contraintes sont fortes pour le propriétaire, l'exploitant et la commune, sans aucune rétrocession. Si on veut changer le modèle, il faut accorder plus de reconnaissance à ceux qui oeuvrent pour le bien commun.

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