Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui cinq intervenants majeurs de la filière française du nucléaire et de sa régulation : M. Luc Rémont, président-directeur général du groupe EDF ; M. Bernard Doroszczuk, président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ; M. François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) ; M. Thomas Veyrenc, directeur exécutif du pôle stratégie, prospective et évaluation de Réseau de transport d'électricité (RTE) ; et M. Guillaume Dureau, président d'Orano Projets SAS, directeur Innovation - R&D - nucléaire médical.
Notre commission, et le Sénat dans sa quasi-totalité, se réjouissent de la relance de la filière du nucléaire, annoncée - enfin ! - par le Président de la République, dans son discours de Belfort, le 16 février dernier, et présentée par le Gouvernement, dans le projet de loi relatif à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, qui sera examiné par le Sénat début janvier 2023.
Notre commission s'est d'ailleurs prononcée, dans un rapport d'information de juillet dernier, intitulé Nucléaire et hydrogène : l'urgence d'agir, pour le maintien d'un mix majoritairement nucléaire à l'horizon de 2050, ce qui supposerait de construire au moins quatorze European Pressurized Reactors 2 (EPR2), contre six annoncés actuellement. Pour réussir cette relance du nucléaire, il faut s'en donner les moyens politiques, financiers, mais aussi humains.
Naturellement, il ne faut surtout pas omettre les enjeux liés au cycle du combustible, de même que ceux liés à la sûreté et à la sécurité, que nous avons tenu à mêler, dans le choix même des intervenants ici présents. C'est l'approche retenue par notre commission depuis longtemps : une vision moderne, complexe et transparente du nucléaire. Débattons de tout, rationnellement et - j'ajouterais - scientifiquement.
Je vous propose de poser à chacun d'entre vous une question liminaire, puis notre collègue Daniel Gremillet, président du groupe d'études « Énergie » et rapporteur pour notre commission sur le projet de loi précité, vous interrogera à son tour.Je salue la présence à cette table ronde de M. Philippe Martin, rapporteur pour avis sur ce texte au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable (CATDD). Ce sont autant de voix expertes et diverses du Sénat qui vous questionneront sur le devenir, crucial, du nucléaire.
Tout d'abord, je souhaiterais que le PDG d'EDF nous indique si le projet de loi lui paraît suffisant pour relancer la filière du nucléaire en France. Les souplesses administratives proposées sont-elles de nature à accélérer vraiment les délais de construction ? Ne manque-t-on pas encore de l'essentiel : la stratégie et le financement ? Où en est la sélection des sites : si Penly et Gravelines sont en lice, qu'en est-il du Bugey et du Tricastin ?
Plus encore, je voudrais que le président de l'ASN nous précise si le projet de loi lui semble bien intégrer les enjeux de sûreté et de sécurité. Les missions de l'ASN sont modifiées pour les prolongations ou les arrêts des réacteurs : est-ce pertinent ? Les modalités d'association du public sont elles aussi ajustées : ces évolutions garantissent-elles, tout de même, une participation et une information suffisantes ? Enfin, les moyens de coercition et de sanction dont disposent désormais l'ASN, récemment dotée d'une commission des sanctions, sont-ils adaptés à la relance de la filière du nucléaire ?
En outre, je proposerais que l'administrateur général du CEA nous précise la nature du rôle d'appui du CEA à la relance du nucléaire, indiquée par le Président de la République, dans son discours de Belfort du 16 février dernier. Comment intervenez-vous, à la fois dans le processus de conception et dans le contrôle des projets ?
Par ailleurs, j'aimerais que le président d'Orano Projets nous dise s'il considère le cycle du combustible comme le parent pauvre du projet de loi. En effet, ce texte se focalise surtout sur la construction des réacteurs. Une relance du nucléaire ne doit-elle pas également prendre en compte l'aval du cycle - la question des combustibles -, mais aussi l'amont - celle des déchets ? Si oui, comment ? Pourriez-vous nous dire un mot de la disponibilité, en France, des compétences nécessaires à ce cycle ? C'est l'un des enjeux relevés par notre commission, dans son rapport d'information sur la souveraineté économique, publié en juin dernier.
Enfin, je voudrais que le directeur exécutif de RTE nous indique si le projet loi lui paraît susceptible de garantir un mix électrique solide. Dans son étude intitulée Futurs énergétiques à l'horizon de 2050, RTE a relevé que la durée de construction des réacteurs est passée de six à huit ans dans les années 1980 à une période de douze à seize ans actuellement. Qu'est-ce qui explique cet allongement ? Est-il propre à la France ? Le projet de loi permettra-t-il de retrouver cette agilité des années 1980 ?
RTE a souligné qu'il était nécessaire de prendre des décisions dès 2022-2023 pour obtenir des réacteurs en service d'ici à 2035-2037. C'est crucial pour éviter l'« effet falaise » anticipé à l'horizon de 2040, c'est-à-dire l'arrêt concomitant des réacteurs actuels, arrivés en fin de vie. En renvoyant toute décision à la prochaine loi quinquennale sur l'énergie, qui ne sera pas examinée avant la fin de l'année 2023, le projet de loi ne manque-t-il pas sa cible ?