Intervention de Guillaume Dureau

Commission des affaires économiques — Réunion du 14 décembre 2022 à 9h30
Relance du nucléaire — Audition de Mm. Luc Rémont président-directeur général d'edf bernard doroszczuk président de l'autorité de sûreté nucléaire françois jacq administrateur général du commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives thomas veyrenc directeur exécutif du pôle stratégie prospective et évaluation de réseau de transport d'électricité et guillaume dureau président d'orano projets sas directeur innovation - r&d - nucléaire médical

Guillaume Dureau, président Orano Projets SAS, directeur Innovation - R&D - nucléaire médical :

Orano est une entreprise française qui propose des produits et services sur tout le cycle du combustible nucléaire. Nos activités démarrent au niveau de la mine - il n'y en a plus en France, mais nous en avons à l'étranger - et passent par tous les processus de transformation chimique pour arriver au processus de transformation physique et d'enrichissement de l'uranium utilisé dans les réacteurs. Nous nous occupons aussi de l'aval du cycle, qui consiste essentiellement à s'assurer du traitement et potentiellement du recyclage. C'est l'une des caractéristiques françaises, sur laquelle je reviendrai, du cycle. Orano compte environ 17 000 collaborateurs, dont 13 500 en France, pour 4,7 milliards de chiffre d'affaires.

Notre conviction profonde, c'est que le succès du nucléaire en France, pour les années à venir, ne pourra être assuré que si les constructeurs de nouveaux réacteurs s'inscrivent dans une stratégie d'ensemble du cycle, qui couvre à la fois l'approvisionnement en uranium enrichi - c'est-à-dire l'amont - et les solutions à retenir pour la gestion des combustibles - c'est-à-dire l'aval. Ce sont précisément les deux principaux métiers du groupe Orano. De de point de vue, la France est l'une des rares nations à disposer d'une maîtrise industrielle de l'intégralité de la chaîne de valeur du nucléaire, ce qui constitue l'un de ses éléments fondamentaux et essentiels en matière de souveraineté énergétique.

En ce qui concerne l'amont du cycle, Orano a fait le choix d'investir 5 milliards d'euros ces dix dernières années dans le renouvellement de son outil industriel sur la plateforme du Tricastin, qui dispose ainsi d'une des usines les plus modernes au monde à la fois pour la conversion et l'enrichissement. La tension observée sur les marchés, très directement reliée à la crise et à la guerre que pratique la Russie en Ukraine, entraîne une montée des cours, à la fois sur la conversion et sur l'enrichissement. C'est un véritable enjeu pour nous et pour l'indépendance énergétique de la France que d'être capables, au-delà de la maîtrise de ces étapes du cycle, non seulement de conserver, mais potentiellement d'étendre les capacités de production de nos usines d'enrichissement en France, à la fois en nous projetant sur le long terme et en étant certains d'assurer une capacité de réponse en matière d'approvisionnement pour l'ensemble du monde occidental, pas uniquement pour la France.

Dans ce contexte géopolitique, nous sommes bien évidemment attentifs à l'évolution du marché et aux attentes de nos clients. Sous réserve d'engagements de long terme de leur part, nous envisageons d'augmenter nos capacités d'enrichissement jusqu'à 30 % - ce qui est énorme - pour répondre aux besoins des clients qui souhaitent réduire leurs importations d'uranium naturel de Russie. Depuis le mois de mars, nos équipes travaillent sur différents scénarios en France, en Europe ou aux États-Unis.

Le scénario le plus rapide serait l'extension de notre usine actuelle d'enrichissement Georges-Besse II. Nous avons d'ailleurs d'ores et déjà lancé le processus de concertation en saisissant la Commission nationale du débat public (CNDP). Les choix qui seront retenus sont soumis aux enjeux de planning, de coûts et de contractualisation des clients. Autrement dit, comme l'a indiqué M. Bernard Doroszczuk, les temps industriels existent. Si l'on prend une décision en 2023, le premier module pourra fonctionner en 2028, et encore en avançant très rapidement !

Du côté de l'aval du cycle, l'industrie française est le leader mondial en matière de traitement et du recyclage des combustibles nucléaires usés. C'est une technologie qui permet d'économiser les ressources naturelles en recyclant la matière énergétique encore contenue dans le combustible nucléaire et en sortie de réacteur. De plus, cette technique réduit fortement la radiotoxicité et le volume des déchets nucléaires, et permet d'en assurer le confinement sous une forme sûre et stable à long terme.

Hormis les États-Unis, toutes les grandes puissances nucléaires civiles, comme le Japon, la Chine, l'Inde et la Russie, ont envisagé et mis en oeuvre à des niveaux de maturité différents le traitement-recyclage. Aucun autre pays n'a cependant maîtrisé son déploiement industriel complet.

Toutefois, à la différence des usines de l'amont, celles de l'aval du cycle - essentiellement les usines de La Hague et de Melox - ont démarré dans les années 1990. La question de leur renouvellement va devoir être décidée dans un futur proche.

Vous m'avez posé la question de la disponibilité en France des compétences nécessaires. En ce qui concerne le cycle, les enjeux de court terme sont directement traités pour pouvoir faire fonctionner en toute sécurité nos usines. Nous avons créé un campus MOX à proximité de l'usine de Melox ainsi qu'une école des métiers au Tricastin. Un certain nombre d'actions visent également à augmenter notre notoriété et à renforcer l'apprentissage. En tant que patron de l'ingénierie d'Orano, je dois recruter cette année un peu moins de 400 ingénieurs, ce qui n'est pas simple ! Il importe donc de garantir l'attractivité des métiers et de donner des perspectives aux jeunes.

Nous nous sommes également engagés dans un certain nombre de formations sur les métiers en tension. Au-delà des ingénieurs, nous avons besoin de cols bleus. Le pôle d'excellence de soudage à Cherbourg, où nous sommes impliqués aux côtés d'EDF, de Naval Group et des Constructions mécaniques de Normandie (CMN), est une belle illustration.

En revanche, tout comme pour la construction d'EPR, il est évident qu'au moment du renouvellement des usines de l'aval du cycle la question des compétences, notamment en termes de main-d'oeuvre disponible, sur les deux sites, en particulier sur celui de La Hague, sera colossale. Il nous faudra trouver une réponse.

Pour en revenir plus spécifiquement au projet de loi, je ne peux que saluer l'ambition qui vise à accélérer les procédures en cas de décision de construction de nouveaux réacteurs. Je m'inscris complètement dans ce qui a été dit à la fois par MM. Rémont et Jacq : il ne saurait être simplement question des réacteurs électronucléaires et les nouveaux sites ne doivent pas forcément être implantés à côté des installations nucléaires de base (INB). Très clairement, il serait pertinent que les dispositions relatives à l'accélération des procédures liées à la construction appréhendent l'ensemble des nouveaux réacteurs. Je rappelle que France 2030 prévoit un appel à projets pour la construction de nouveaux types de réacteurs. Il faut donc aussi envisager une accélération des procédures pour pouvoir développer ce type de technologie. Cela vaut également pour l'ensemble des installations du cycle du combustible. L'objectif de l'extension et donc double : c'est à la fois une exigence d'intelligibilité du droit et en même temps une prise en compte de l'ensemble des besoins globaux de la filière nucléaire.

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