Intervention de Thomas Veyrenc

Commission des affaires économiques — Réunion du 14 décembre 2022 à 9h30
Relance du nucléaire — Audition de Mm. Luc Rémont président-directeur général d'edf bernard doroszczuk président de l'autorité de sûreté nucléaire françois jacq administrateur général du commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives thomas veyrenc directeur exécutif du pôle stratégie prospective et évaluation de réseau de transport d'électricité et guillaume dureau président d'orano projets sas directeur innovation - r&d - nucléaire médical

Thomas Veyrenc, directeur exécutif du pôle stratégie, prospective et évaluation de Réseau de transport d'électricité :

RTE a trois rôles. Le premier, que l'on connaît bien en ce moment, est d'exploiter le système électrique, quel que soit son état. Le deuxième est de développer notre grand réseau national pour connecter, notamment, les réacteurs nucléaires, les centres de consommation, les renouvelables. Le troisième est de réaliser un certain nombre d'études de nature prospective ou prévisionnelle. J'ai l'impression, madame la présidente, que votre première question sur la solidité du mix se rattache plutôt à cette dernière mission.

Qu'est-ce qu'un mix solide ? C'est premièrement un mix qui nous permette d'atteindre nos objectifs climatiques. L'électricité concentre beaucoup de nos débats citoyens, pour autant elle représente 25 % de l'énergie que l'on consomme : elle est omniprésente, mais pas dominante dans notre mix. Quoi qu'il en soit, nous devons nous projeter dans un monde où l'on est sorti complètement des énergies fossiles. Or ces dernières représentent actuellement 60 % de la consommation énergétique en France. C'est dans ce contexte de consommation croissante de moyen et de long termes que nous devons intégrer la construction de nouveaux réacteurs nucléaires.

Un mix solide c'est aussi un mix qui garantisse la sécurité d'approvisionnement et qui soit compétitif d'un point de vue économique. RTE a rendu public fin 2021-début 2022 les résultats de ses scénarios à l'horizon de 2050. Ce travail a mobilisé tout notre écosystème pendant deux ans. Il existe deux grilles de lecture potentiellement différentes. La première consiste à essayer de voir ce qui oppose les filières. Ce n'est pas celle que je privilégie, car le nucléaire, le renouvelable, la rénovation thermique, la réindustrialisation, le réseau, le stockage ont une seule et même structure économique : elles demandent beaucoup d'investissement au départ, mais les coûts de fonctionnement sont plus faibles ensuite. Le facteur temps est également essentiel, comme l'ont souligné plusieurs intervenants avant moi. Entre le moment où l'on va appuyer sur l'accélérateur et le moment où notre mix énergétique va changer, il va se passer plusieurs années. Par ailleurs, il s'agit de solutions que nous allons devoir faire fonctionner ensemble.

En ce qui concerne les scénarios de réinvestissement dans le parc nucléaire, différents rythmes sont proposés. Un scénario où l'on construirait six nouveaux réacteurs nucléaires au rythme d'une paire tous les cinq ans - en 2035, en 2040 et en 2045 - nous conduit à terme à un mix majoritaire en énergies renouvelables pour atteindre nos objectifs climatiques. Pourquoi ? Tout simplement parce que nos installations - c'est vrai pour le nucléaire, mais c'est vrai également pour les autres filières - doivent être mises à l'arrêt pour des raisons d'âge. Les réacteurs nucléaires de deuxième génération ont été construits de manière très concentrée entre la fin des années 1970 et le début des années 1990. Mais cela vaut aussi pour les éoliennes, pour les panneaux solaires et pour toutes les installations industrielles : on peut certes prolonger leur durée de vie, mais c'est un problème auquel on est bien obligé d'être confronté lorsqu'on réalise une prospective énergétique.

En tout état de cause, même en construisant six réacteurs nucléaires de troisième génération, selon un scénario que nous avons appelé N1, il nous faudra recourir à beaucoup d'énergie renouvelable pour boucler nos trajectoires. À tel point que RTE ne considère pas qu'il y aurait, d'un côté, les scénarios avec du nouveau nucléaire et, de l'autre, les scénarios sans nouveau nucléaire. Au contraire, le scénario N1 doit nous conduire à réussir également tous les paris technologiques des scénarios à très hautes parts de renouvelables. C'est un travail que nous avons fait avec l'Agence internationale de l'énergie (AIE).

Ce n'est pas exactement le cas du scénario N2, qui inclut la construction de quatorze réacteurs. Avec un socle d'une quarantaine de gigawatts de centrales nucléaires maintenus durablement - à l'horizon de 2040, de 2050 et de 2060 -, une partie des besoins de flexibilité sont réellement traités par le nucléaire. Il faut donc moins de moyens de stockage. La différence entre le scénario N1 à six réacteurs et le scénario N2 à quatorze réacteurs n'est pas uniquement symbolique, elle est aussi technique. La numérotation des scénarios renvoie ainsi à des différences plus fondamentales dans la façon dont nous allons construire et faire fonctionner notre système électrique.

Le travail de concertation mené pendant deux ans avec les différents opérateurs industriels de la filière montre que l'accélération, dans le cas du scénario à quatorze réacteurs, ne sera pas visible sur la période 2030-2040, mais plutôt durant la décennie 2040-2050. On en revient donc au facteur temps.

De tels délais sont-ils propres à la France ? Un objectif de réacteurs nucléaires opérationnels en 2035-2037 me paraît raisonnablement ambitieux : ce n'est donc pas propre à la France. Vous avez souligné, madame la présidente, que la durée de construction des réacteurs est passée de six à huit ans dans les années 1980 à une période de douze à seize ans actuellement. En réalité, les délais de construction des réacteurs de deuxième génération du palier N4 étaient déjà beaucoup plus importants que ceux des réacteurs de 900 mégawatts des années 1970. Tout le programme de deuxième génération n'a donc pas été construit très rapidement et nous ne connaissons pas aujourd'hui un ralentissement : ce n'est pas comme cela que les choses fonctionnent. Le projet de loi permettra certes d'accélérer un certain nombre de procédures, mais il ne nous permettra pas d'en revenir au rythme de construction des années 1970.

Ce qui est plus propre à la France, en réalité, ce sont les délais de construction des énergies renouvelables, mais c'est un autre problème.

Ce texte intervient-il tard ? Je pense qu'il s'agit du bon moment. Quel que soit le scénario retenu, il convient d'enclencher la démarche industrielle. Cette table ronde montre que la situation a changé depuis notre publication d'octobre 2021. Nous ne nous attendions pas qu'un cap soit fixé aussi rapidement. Il faudra, bien évidemment, le traduire dans une loi de programme, mais j'ai le sentiment que la publication de nos scénarios a réussi à faire passer le message qu'il était nécessaire d'accélérer, ce dont je me félicite.

Ce projet de loi est-il utile ? Oui, ne serait-ce que pour tenir le timing annoncé par le Gouvernement. Pour que de nouveaux réacteurs soient en service en 2035-2037, ce projet de loi est absolument essentiel. Les documents publiés par l'État nécessitaient des saisines de la CNDP en 2021. Nous sommes en 2022, il convient donc d'accélérer sur le nucléaire, mais cela vaut également pour les énergies renouvelables ou pour le réseau, si nous voulons répondre aux enjeux énergétiques.

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