J'ai noté trois questions principales qui m'étaient adressées. Je reviendrai ensuite sur la question générale de l'anticipation et du respect des délais.
M. Gremillet pose d'abord la question du niveau de sûreté des EPR2 et des SMR.
Pour ce qui concerne le projet EPR2, l'ASN a émis deux avis - l'un en 2juillet 019 et l'autre en 2septembre 021 - sur l'option de sûreté de ce réacteur. Ces avis concluent de manière positive sur les options de sûreté retenues, après un débat sur les options envisagées lors de la construction de l'EPR de Flamanville, notamment la question de l'exclusion de rupture. Nous avons approfondi le sujet et nous avons élaboré une position donnant assez de visibilité pour poursuivre les études de conception.
Nous sommes encore en train de finaliser avec EDF les éléments d'entrée dans ces études de conception. J'ai demandé à EDF de faire un point complet des arbitrages à rendre avec l'ASN, afin de finaliser les études détaillées de conception. C'est important pour le respect du planning. Il faut achever ces études détaillées de conception avant de lancer les projets, afin de ne pas rencontrer les mêmes difficultés. Quand on étudie les évolutions de l'EPR2 par rapport à l'EPR de Flamanville, en intégrant le retour d'expérience tiré du fonctionnement des EPR de Taishan et de Olkiluoto, on peut considérer que la première paire de réacteurs à Penly sera une quasi-tête de série. D'où l'importance d'achever les études détaillées de conception, afin de maîtriser les délais. Du point de vue de la sûreté, le niveau de l'EPR2 sera équivalent à celui de Flamanville et, s'agissant d'un réacteur de troisième génération, il n'y aura pas d'évolution significative en matière de production de déchets.
Pour les SMR ou AMR, les petits réacteurs avancés, la situation pourrait être différente. Eu égard à leur taille, ces réacteurs pourraient permettre des progrès en matière de sûreté. En cas d'accident, la puissance résiduelle à évacuer serait plus faible ; on pourrait donc imaginer que ces réacteurs soient munis de dispositifs passifs permettant d'assurer, dans une situation accidentelle, leur refroidissement sans avoir besoin de recourir à des sources d'alimentation électrique ou à des capacités supplémentaires en eau. C'est un avantage important par rapport aux gros réacteurs, comme les EPR, dont il faut assurer en permanence le refroidissement, même à l'arrêt. C'est une différence fondamentale.
Les projets de ce type avancent en France et l'ASN est en relation avec quatre porteurs de projet, reposant chacun sur une technologie différente.
Le projet Nuward d'EDF, TechnicAtome et Naval Group, est le plus avancé et il repose sur une technologie maîtrisée : les réacteurs à eau sous pression. Il ne présente pas de différence, en matière de gestion de combustible et de déchets, avec le parc actuel. Nous avons pris l'initiative d'associer les autorités de sûreté tchèque et finlandaise - deux pays susceptibles d'être intéressés par ce projet -, pour définir ensemble une position sur les options de sûreté de ce réacteur. Cela donne une visibilité internationale au projet.
Les autres réacteurs envisagés reposent sur des technologies différentes : le refroidissement au plomb ou au sel fondu et un réacteur haute température. La maturité technologique de ces projets est très différente de Nuward ; ils nécessitent encore des travaux d'innovation et de recherche et ils arriveront à maturité plus tardivement. La compétition internationale est rude avec les compétiteurs américains, chinois ou russes, qui sont puissants. Ces pays développent des politiques agressives en matière de compétitivité prix, mais également en termes d'influence géopolitique pour imposer leurs projets, y compris en Europe de l'Est. Attention donc à ce que Nuward n'arrive trop tard...
Le réacteur Nuward ne présentera pas de différence en matière de gestion des déchets, mais il pourrait en aller différemment pour les réacteurs à neutrons rapides. La technologie de refroidissement au sodium pourrait en outre bénéficier des retours d'expérience de ce type de réacteurs développés en France voilà quelques années.
J'attire par ailleurs votre attention sur trois points de préoccupation de l'ASN.
D'abord, il faut porter une plus grande attention au cycle du combustible. En effet, parmi les 100 projets de SMR dans le monde, très peu y accordent une attention suffisante : ils ne précisent ni d'où vient le combustible ni ce que l'on fait des déchets en aval du cycle. Or il faut tout prendre en compte pour que les projets soient sincères, il faut avoir une vision intégrée. La France a un avantage sur le sujet, car elle maîtrise les technologies.
Ensuite, la possibilité d'implanter les réacteurs de petite taille en dehors des sites existants nucléaires soulève la question de la sécurité ; je le rappelle, la sûreté, dont s'occupe l'ASN, est relative au risque d'accident nucléaire et la sécurité consiste en la lutte contre les actes de malveillance : attaques criminelles, attentats, cybersécurité. Ce sujet est plus complexe, car un petit réacteur implanté dans une zone industrielle ou près d'une agglomération présente un risque plus important qu'un réacteur implanté sur un site nucléaire existant et déjà sécurisé ; de tels sites disposent en effet d'importants moyens d'intervention pour intervenir en attendant l'arrivée des forces de l'ordre en cas d'intrusion criminelle. C'est un sujet important pour les futurs exploitants des SMR. Il est justifié de s'interroger sur l'usage des petits réacteurs pour produire de la chaleur ou de l'hydrogène et pour accompagner la décarbonation de l'industrie, ce qui implique d'implanter ces réacteurs ailleurs que dans les gros sites, pour proposer des usages immédiats, locaux, sans transport, mais la sécurité peut devenir un sujet plus lourd que la sûreté.
Enfin, je veux aborder le niveau de sûreté des SMR à exiger. Dans la compétition internationale, ce niveau fait l'objet de beaucoup de débats. Certains estiment que le niveau de sûreté des réacteurs de troisième génération doit être le standard d'exigence pour les SMR ; d'autres, comme l'ASN, considèrent qu'il faut fixer un niveau d'exigence permettant d'exploiter toutes les potentialités d'amélioration des SMR à un coût économiquement acceptable : si l'on peut aller plus loin que le niveau de sûreté des réacteurs de troisième génération, il faut le faire ! En effet, il faut garder en tête que l'engouement pour les SMR est tel que, si tous les projets se réalisent, on trouvera des réacteurs nucléaires dans beaucoup de pays qui n'ont aujourd'hui aucune centrale, qui n'ont aucune expérience nucléaire, aucune autorité de sûreté ; une quarantaine de pays ont déjà fait part de leur intérêt à l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Il y a donc un risque à implanter dans de tels pays des centrales pouvant poser problème. Or ne perdons pas de vue que la confiance dans la sûreté et l'engouement ou le rejet du nucléaire peuvent être liés à des évènements qui se produisent loin de chez nous. Ainsi, s'il est possible d'avoir des SMR plus sûrs, il ne faut pas s'en priver. Certains SMR peuvent aller plus loin en matière de gestion des déchets, comme les SMR à neutrons rapides, qui permettraient de réduire les déchets, voire d'utiliser des matières nucléaires n'ayant pas d'usage aujourd'hui.
Sur les risques liés à la construction de nouvelles centrales et à l'extension des sites, les risques d'agression naturelle - subversion marine, réchauffement climatique, tornades, séismes... - doivent être pris en compte sur toute la durée de vie des projets, qui peut s'étendre sur un siècle. Il faut s'appuyer sur les prévisions du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), lesquelles peuvent du reste évoluer. En France, nous faisons un réexamen de sûreté tous les dix ans, et nous incluons les aléas climatiques, afin d'ajuster la sûreté par rapport aux risques extérieurs, y compris par rapport aux installations industrielles voisines. Lorsque nous avons fait cet exercice à Gravelines, par exemple, nous avons pris en compte les évolutions du terminal gazier situé à proximité, et nous avons prescrit des rehaussements de digue.
Dernier sujet : celui de l'anticipation et de la gestion du temps. Le parc nucléaire existant a été construit, à 75 %, dans les années 1980. En 2050, ces réacteurs auront donc 70 ans, soit plus que la durée de vie sur laquelle nous nous sommes prononcés, à savoir cinquante ans. Ainsi, au-delà du débat sur le nouveau nucléaire et sur le présent projet de loi, il faudra, l'année prochaine, s'interroger sur les mesures d'accompagnement permettant d'anticiper l'échéance de 2050 pour les réacteurs en service ; il faut le faire très en avance. Dans les années qui viennent, il faut mener une analyse de fond pour étudier la durée de vie du parc d'EDF, avec assez d'anticipation pour pouvoir ajuster, entre autres, le nombre de réacteurs à produire. Il faut lier les deux aspects ; on ne peut séparer les nouveaux réacteurs de la durée de vie des réacteurs en cours. En tant que président de l'ASN, je ne puis accepter que la poursuite de l'exploitation des réacteurs nucléaires soit la variable d'ajustement d'une politique énergétique mal calibrée.
Je termine en évoquant la capacité industrielle à faire, facteur crucial pour respecter le calendrier. Il y a deux enjeux fondamentaux dans la filière. D'une part, il faut renforcer substantiellement l'attractivité de la filière pour recruter et conserver les compétences, dans tous les métiers et à tous les niveaux, des cols blancs aux cols bleus. On observe aujourd'hui un déficit important dans tous les métiers. Si les compétences ne sont pas disponibles au bon moment dans tous les métiers, quels que soient les textes, les projets ne pourront être mis en oeuvre. D'autre part, il faut reconstituer la capacité à faire au bon standard. Dans les constructions récentes, ce standard n'a pas été atteint. Pour l'ASN, la qualité et la rigueur de la conception, de la fabrication et du contrôle sont les premières barrières de sûreté. En parallèle se pose la question de la gestion et du pilotage des projets : avoir les compétences ne suffit pas, il faut aussi savoir les articuler et gérer les projets.