L'anticipation est en effet centrale. Notre ambition avec nos scénarios était de faire émerger des rétroplannings, afin d'intégrer l'effet de falaise et le renouvellement des infrastructures de retraitement-recyclage, et d'éviter de subir les variables d'ajustement.
Nos scénarios ne sont pas figés, ils ne s'imposent pas ; nous consacrons une partie de notre rapport d'activité aux incertitudes. La courbe de consommation d'électricité s'infléchira à la hausse, on le sait, mais on ne sait pas quand : cela peut être en 2023 ou en 2026. De même, l'accélération de la production issue des énergies renouvelables n'est pas immédiate, il faut du temps entre le lancement et la connexion des installations. Par ailleurs, la production du parc nucléaire actuel - post-Grand carénage et post-corrosion sous contrainte - présente des incertitudes en matière de volume. Bref, les incertitudes sont nombreuses et il faut que la stratégie énergétique permette de gérer les écarts par rapport aux hypothèses, avec un peu de jeu ; si nous n'avions plus de jeu du tout, les variables d'ajustement seraient alors subies.
En outre, on ne doit pas oublier la question du réseau et de la planification géographique : selon les sites, les périodes de construction et les types de réacteurs, on n'aura pas besoin du même réseau. Il faut prendre ces décisions très en amont.
Sur la sécurité de l'approvisionnement, les inquiétudes exprimées dans les médias portent beaucoup sur les volumes d'électricité, mais la dimension prix est au moins aussi importante, car, si on n'a jamais encore eu de réel problème de volume pour l'instant, même si on est en situation tendue, les conséquences sur les prix sont déjà manifestes et entraînent des tensions.
Cet hiver, nous subissons trois crises imbriquées : la crise de l'approvisionnement en gaz, qui durera plusieurs années, la crise de la production nucléaire, liée à la corrosion sous contrainte, et la crise de la production hydraulique, deuxième source de production d'électricité. On oublie souvent cette source de production, qui est renouvelable et qui est source de flexibilité.
Notre analyse globale de septembre présentait trois grands scénarios. On a d'ores et déjà écarté le pire. En effet, la consommation d'électricité publiée tous les mardis soirs, retraitée des aléas météorologiques, montre une diminution de 9 % sur les quatre dernières semaines par rapport à la moyenne, sur même période, de 2014-2019. C'est considérable et ce n'était pas gagné d'avance. Quelque chose s'est donc passé. Dans le secteur industriel, l'effet de prix a joué, mais aussi la sobriété, qui n'est plus une chimère, l'effet est très net. Vu les températures actuelles, sans cette sobriété, la situation serait tout autre.
Sur le nucléaire, on est revenu sur notre courbe prévisionnelle de septembre. La situation souhaitable pour passer l'hiver, c'était une disponibilité de 41 gigawatts de production nucléaire au 1er décembre et de 45 gigawatts début janvier. Notre production nucléaire disponible dépasse légèrement 41 gigawatts ; c'est sous les minima requis, mais c'est tout de même satisfaisant. Je remercie tous ceux qui se sont mobilisés sur la maintenance pour atteindre ce niveau. On sait quels réacteurs sont concernés. Des protocoles ont été mis en oeuvre. Il y a moins d'incertitude qu'au printemps et à l'été derniers. On n'est pas dans le bas du faisceau.
Sur l'hydraulique, la situation s'est améliorée. À la fin de l'été dernier, les niveaux de stock hydraulique étaient catastrophiques. Les stocks sont revenus à des niveaux historiques, grâce à une gestion prudente. C'est satisfaisant.
Dernier point qui fonctionne très bien : les interconnexions européennes. On nous demande souvent si les autres pays nous fourniront aussi de l'électricité. Je rappelle d'abord que ce ne sont pas les pays qui s'échangent de l'électricité, ce sont les producteurs et les fournisseurs qui s'en achètent. Par ailleurs, le système fonctionne bien, de manière très fluide, au-delà de nos prudences. On a encore exporté avant-hier de l'électricité au Royaume-Uni.
La situation exige toujours une grande vigilance, mais la période très risquée de la fin du mois de novembre, quand l'écart entre la disponibilité nucléaire projetée et la disponibilité nucléaire historique était le plus fort, est derrière nous. Il reste le mois de janvier, qui fait l'objet, comme tous les ans, d'une vigilance particulière. En matière de risque, nous avons les moyens d'éviter les coupures, les délestages, si nous maintenons les taux actuels d'économie d'énergie, qui sont importants, et si notre mobilisation est importante lors des signaux ÉcoWatt. La réaction des Français est à la hauteur de la situation, on le constate.