Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous présente mes meilleurs voeux pour cette année 2023, qui s'ouvre de la meilleure des manières avec l'examen de ce texte important.
Ce projet de loi vise à accélérer les procédures administratives de construction de nouveaux réacteurs électronucléaires en France afin de raccourcir les délais de réalisation de ces projets et à baisser leur coût, en réduisant la capitalisation d'intérêt et la prime de risque. Pour rappel, les charges de capital peuvent représenter, pour un projet de nouveau nucléaire, plus de 50 % du coût complet de l'électricité.
Le projet de loi s'inscrit dans le contexte de l'urgence de la crise climatique, qui menace nos écosystèmes, nos sociétés et l'avenir de nos enfants. Cette crise doit nous conduire à réduire drastiquement et durablement nos émissions de gaz à effet de serre (GES) pour atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050.
Il s'inscrit également dans le contexte de la crise énergétique que connaissent notre pays et notre continent depuis l'année dernière. La guerre en Ukraine remet profondément en cause notre approvisionnement et fragilise notre économie. Ces deux crises ont la même cause : notre dépendance aux énergies fossiles, qu'il s'agisse du gaz, du charbon ou du pétrole.
C'est la raison pour laquelle l'ambition du Président de la République et de la Première ministre est de faire de la France le premier grand pays industriel à sortir de cette dépendance aux énergies fossiles. C'est impératif pour le climat, pour le pouvoir d'achat des Français, pour la capacité d'investissement de nos collectivités territoriales, pour la compétitivité de nos entreprises et pour notre indépendance énergétique, liée à l'indépendance politique.
Notre stratégie pour sortir des énergies fossiles repose, vous le savez bien, sur quatre piliers : la sobriété et l'efficacité énergétiques - la consommation a réduit de 8,5 % depuis le lancement du plan « Sobriété » en octobre 2022 -, l'augmentation drastique de notre production d'énergie décarbonée, les énergies renouvelables et la relance d'un programme nucléaire. Le Gouvernement recommande la construction d'EPR2 et la prolongation des réacteurs en exercice. D'ailleurs, nombre de nos partenaires européens - la République tchèque, la Finlande, les Pays-Bas, la Roumanie, ou encore la Suède - ont manifesté leur souhait de se doter de nouvelles capacités de production nucléaire ou de prolonger l'utilisation de leurs capacités nucléaires existantes, tout en misant sur les énergies renouvelables.
Le projet de loi introduit un cadre d'accélération du processus d'autorisations administratives pour les futurs projets nucléaires, mais ne vise pas à décider de la place de l'énergie nucléaire dans le mix énergétique français, ni des détails d'un programme de nouveau nucléaire. Ce n'est pas un texte de programmation énergétique. Ces aspects seront traités d'abord lors de la grande concertation qui sera conclue, du 19 au 22 janvier 2023, par un forum des jeunesses réunissant 200 jeunes de 18 à 35 ans, et dont la Commission nationale du débat public (CNDP) restituera les travaux. Ensuite, ils feront l'objet d'une étude en vue d'un projet de loi qui sera présenté, je l'espère, au Parlement au mois de juin prochain.
Cette programmation pluriannuelle de l'énergie abordera la question de notre mix énergétique et le dimensionnement du programme nucléaire - le Président de la République a annoncé la création de quatorze EPR2, ce qui correspond aux capacités indiquées par la filière d'ici 2050. Nous avons lancé la construction de six premiers EPR2 et lancé une étude pour l'installation de huit autres.
L'accélération et la sécurisation juridique permises par ce texte tendront également à ne pas compliquer les procédures administratives pour garantir la construction des réacteurs nucléaires à horizon 2035-2037. Le texte permettra également de réduire le coût complet de l'électricité et de sécuriser juridiquement ces processus.
Notre stratégie énergétique et climatique ne repose pas sur la perte de compétitivité de notre économie ni sur la décroissance. De plus, le coût de l'énergie nucléaire produite par ce nouveau programme doit être compétitif. Aujourd'hui, le coût de sortie des énergies renouvelables est compris entre 40 et 60 euros, par exemple, pour le photovoltaïque et les éoliennes marines. Il faudrait tendre vers ce niveau de prix pour le nucléaire. Sur la partie existante, et donc déjà amortie, du nucléaire, la Cour des comptes a estimé qu'un prix de 49 euros n'était pas déraisonnable.
Le texte ne modifie ni le processus d'autorisation environnementale ni le processus d'autorisation de création, qui traitent des enjeux de sûreté nucléaire. Ces deux autorisations restent en place, de la même manière que les deux enquêtes publiques préalables.
Le texte ne modifie pas non plus le processus de débat public, qui se fait sous l'égide de la CNDP avant tout projet. Il n'interfère donc pas sur le déroulement du débat relatif à la construction d'une première paire de réacteurs EPR2 à Penly, qui a été lancé le 27 octobre 2022 et qui s'achèvera le 27 février 2023.
Enfin, ce cadre d'accélération ne s'applique que pour les projets de construction de réacteurs nucléaires qui produisent de l'électricité, qui sont localisés à proximité du périmètre de sites nucléaires existants, et dont la demande d'autorisation de création est déposée dans les quinze ans qui suivent la promulgation du présent projet de loi. Cela permet d'éviter la création de nouveaux sites nucléaires isolés sur le territoire et d'être compatible avec la relance de notre politique électronucléaire, sans verrouiller les orientations en matière de technologie de réacteur.
Le nucléaire demande du temps et de l'anticipation : la durée de quinze ans semble correcte pour mettre en oeuvre l'ambition, fixée par le Président de la République, de construire six réacteurs et de lancer les études pour les huit autres. Ainsi, le texte ne tend pas à cranter la technologie des réacteurs, bien que le Gouvernement souhaite recourir à la technologie EPR2, qui est actuellement disponible.
Une fois ces précisions apportées, je tiens à vous exposer le contenu du projet de loi.
Tout d'abord, ce texte rend possible la mise en compatibilité des documents locaux d'urbanisme, car les procédures actuelles sont incompatibles avec la complexité d'un projet de réacteur électronucléaire, et leur nécessaire mise à jour conduirait à augmenter de plusieurs années la durée de construction. Il vise également à réduire le risque juridique des projets.
Ce projet de loi a ensuite pour objet de garantir le contrôle de la conformité au respect des règles d'urbanisme, tout en dispensant de permis de construire les installations et les travaux portant sur la création d'un réacteur électronucléaire et des équipements et installations nécessaires à son exploitation. Cela permet de limiter les contentieux sur la forme, tout en laissant possible celui sur le fond.
À compter de l'obtention de la première autorisation environnementale, le texte garantit également l'instruction de l'autorisation de création et, en parallèle, les activités relatives aux constructions, aménagements, installations et travaux préalables liés aux projets de réacteurs nucléaires. Ces activités recouvrent, par exemple, les travaux de terrassement ou de construction des bureaux, clôtures et parkings nécessaires au chantier. Les activités liées à la spécificité du nucléaire - la construction de bâtiments destinés à recevoir des combustibles nucléaires, par exemple - ne débuteront que si elles ont obtenu l'autorisation de création.
Sans rentrer dans le détail de toutes les dispositions de ce projet de loi très technique, j'indique que certaines d'entre elles tendent à modifier la loi Littoral, à l'instar des mesures propres au projet de construction de la première paire d'EPR2 à Penly et de la deuxième paire à Gravelines.
Le texte contient également des mesures d'expropriation pour les projets de réacteurs électronucléaires reconnus d'utilité publique, à l'instar des dispositions prises pour les Jeux Olympiques de Paris 2024.
Ce texte rassemble, dans différents articles, la gestion des autorisations nécessaires à la réalisation du projet dans les mains du Gouvernement afin d'en renforcer le pilotage. L'octroi de ces autorisations par décret sécurise juridiquement le projet ; les contentieux sont gérés directement par le Conseil d'État en premier et en dernier ressort.
De manière plus subsidiaire, ce texte vise à sécuriser certaines procédures administratives relatives à la prolongation des réacteurs nucléaires existants, et clarifie la procédure de réexamen périodique des réacteurs électronucléaires, qui a lieu tous les dix ans.
Nos réacteurs nucléaires ont été construits pour quarante ans, nous avons décidé de les prolonger jusqu'à cinquante ans. Si nous souhaitons les prolonger de nouveau - l'échéance arrivera en 2035 -, ils devront passer une visite exigeante, pour garantir toute la sécurité. Sur le décret de l'actuelle PPE, vous aurez l'occasion de l'ajuster dans quelques mois. Il n'y a pas de difficulté sur le chemin critique de ces décisions.
Enfin, le texte vise à ratifier l'ordonnance du 10 février 2016 portant diverses dispositions en matière nucléaire et à corriger certaines incohérences sur la caractérisation d'un arrêt définitif de réacteur, au regard du retour d'expérience de certains arrêts longs résultants de difficultés techniques, comme à Flamanville.
Sur la date de lancement de nouveaux réacteurs, la décision appartient au Parlement, qui se prononcera lors de l'examen du projet de la loi sur l'énergie et le climat à l'été prochain, mais le Gouvernement a déjà anticipé la modernisation des procédures administratives d'installation de réacteurs nucléaires. Le programme des fermetures prévues par la PPE sera également revu à cette occasion. Je serai très claire : le Gouvernement se donne les moyens de prolonger les réacteurs nucléaires le plus longtemps possible.
Sur la question du mode de financement, nous n'avons pas encore arbitré celui que nous choisirons. L'enjeu sera celui de la régulation, dans le cadre du fonctionnement du marché de l'électricité européen.
Au sujet de la formation, le Gouvernement accompagne l'effort de la filière nucléaire qui a signé, en 2019, un contrat stratégique qui était doté d'un volet formation important, par ailleurs accompagné par les plans France Relance et France 2030. D'ailleurs, le Gouvernement a validé un projet de 40 millions d'euros de soutien aux formations nucléaires, afin de venir en appui aux projets menés à Penly et Gravelines.
Par ailleurs, les décisions relatives à la pérennisation des installations de recyclage seront abordées lors du prochain comité de politique nucléaire, qui se tiendra au début du mois de février prochain.
Enfin, le plan France Relance consacre 470 millions d'euros à la mise à niveau de la filière nucléaire, notamment sur la digitalisation des entreprises de la sous-traitance, et le plan France 2030 attribue 2 milliards d'euros à l'innovation, à la recherche et au développement (R&D) et à la réindustrialisation, pour des projets relatifs aux Small Modular Reactors (SMR) et aux enjeux du combustible.