Intervention de Catherine Belrhiti

Réunion du 10 janvier 2023 à 14h30
Gestion de l'eau dans une perspective économique et écologique — Débat organisé à la demande du groupe les républicains

Photo de Catherine BelrhitiCatherine Belrhiti :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’année 2022 a été l’année la plus chaude jamais enregistrée en France.

La première victime de ce climat caniculaire, la plus discrète, mais la plus durablement touchée, c’est l’eau.

C’est un lieu commun de dire que l’eau nous est vitale, non seulement au sens biologique, mais aussi au sens économique.

C’est une évidence de constater que le réchauffement climatique tend à la raréfier et que notre utilisation tend à la souiller.

C’est donc une urgence, aujourd’hui, que de s’accorder sur des moyens efficaces de gestion de l’eau.

Cécile Cukierman, Alain Richard, Jean Sol et moi-même avons déjà mené des travaux sur ce sujet au nom de la délégation sénatoriale à la prospective, dont le rapport d’information sur la quantité et la qualité de l’eau d’ici à 2050 intitulé Éviter la panne sèche – Huit questions sur l ’ avenir de l ’ eau a paru le 24 novembre dernier.

Nos huit recommandations sur l’avenir de l’eau seront d’ailleurs présentées le 18 janvier prochain à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. À cet égard, il faut saluer l’initiative du groupe Les Républicains, qui a demandé la tenue de ce débat, ainsi que, plus largement, la mobilisation du Sénat, qui prouve ce faisant qu’il est à la hauteur du sujet.

Dans ce contexte, les perspectives économiques et écologiques de la gestion de l’eau retiennent naturellement l’attention.

En introduction à ce débat, il nous revient de rappeler les lignes de force et les principaux enjeux de ladite gestion.

En premier lieu, d’un point de vue économique, l’eau doit faire l’objet d’une politique plus ferme d’intervention et d’investissement. À l’heure actuelle, les infrastructures hydrauliques relèvent en effet largement des collectivités locales, qui sont confrontées, et ce de manière croissante, à des coûts élevés d’entretien, de rénovation, voire d’investissement dans les réseaux de distribution.

D’un côté, elles ne peuvent pas y faire face seules et leurs moyens doivent être renforcés.

D’un autre côté, leur liberté se doit d’être défendue. À cet égard, le Sénat s’est prononcé, à la quasi-unanimité, sur la nécessité de préserver la souplesse d’un transfert facultatif de la compétence eau et assainissement de la commune vers les intercommunalités, et ce pour une raison très simple : l’eau répond à une logique de bassin versant et non de périmètre intercommunal. Il est également une autre évidence : ce transfert, rendu obligatoire d’ici à 2026, a déjà engendré une augmentation significative du prix de l’eau pour l’usager.

Une première ligne de force de la gestion économique locale de l’eau apparaît ainsi : la compétence eau et assainissement devrait rester attribuée aux communes, qui doivent être dotées des moyens de l’exercer, sauf à ce qu’elles décident, volontairement, de son transfert. En particulier, la discussion sur les moyens de cette gestion locale ne saurait faire l’économie d’une réflexion précise quant aux moyens des agences de l’eau.

Celles-ci constituent les principaux relais des politiques de l’eau et des programmes pluriannuels d’intervention. Leurs ressources, d’environ 2 milliards d’euros, proviennent pour 80 % des redevances des usagers.

Le périmètre de leurs interventions s’élargit toutefois continuellement, y compris au-delà de la fourniture d’eau potable et de l’assainissement, jusqu’à divers investissements ayant trait au petit cycle comme au grand cycle de l’eau.

Lors du débat organisé sur leur financement, ici même, au Sénat, au mois de janvier dernier, le Gouvernement a pris l’engagement de présenter les grands axes de leur renforcement, après qu’elles eurent subi l’abaissement de leur plafond de recettes en 2018 et la ponction de leur budget au profit de l’Office français de la biodiversité.

Cet élargissement des actions des agences de l’eau, allié à l’écrêtement de leurs moyens, fait craindre que, contrairement au principe fondateur en vertu duquel « l’eau paie l’eau », l’eau ne paie désormais l’État.

Une deuxième ligne de force de la gestion économique locale se dégage donc à son tour : les missions et les moyens des agences de l’eau nécessitent un réajustement précis destiné à sécuriser économiquement cette filière.

Une telle sécurité économique doit par ailleurs aller de pair avec une sécurité écologique.

En second lieu, l’eau doit faire l’objet d’une gestion et d’une consommation plus vertueuses.

Parce qu’elle n’est pas une ressource infinie, elle doit être utilisée en conscience.

Il faut le rappeler clairement : l’eau est d’abord un flux, représentant un volume de 510 milliards de mètres cubes de précipitations annuelles, inégalement réparties sur le territoire et minoritairement captées par nos cours d’eau et nos nappes phréatiques ; 35 milliards de mètres cubes y sont prélevés et 5 milliards de mètres cubes sont consommés.

L’eau est ensuite un stock, naturellement contenu à hauteur de 2 000 milliards de mètres cubes et artificiellement retenu pour environ 12 milliards de mètres cubes.

Pourtant, à l’heure actuelle, tous ces chiffres sont devenus faux : le réchauffement climatique nous impose de fonder nos réflexions sur des volumes diminués, sur des débits annuels amoindris et, par conséquent, sur la perspective d’une consommation rationalisée.

C’est pourquoi il paraît désormais indispensable d’appliquer à cette ressource une lecture économique, permettant une action raisonnée, d’une part, sur la demande, d’autre part, sur l’offre.

Quant à la demande, d’abord, les objectifs de réduction de la consommation de l’eau, définis lors des assises de l’eau de 2019, doivent faire l’objet de pédagogie ainsi que de mécanismes incitatifs qui font actuellement défaut. L’agriculture, qui représente les deux tiers de la consommation, doit modifier en profondeur ses pratiques et se résoudre à un effort de sobriété, notamment en suivant des cycles d’utilisation plus vertueux grâce à l’optimisation technique de l’arrosage et à la récupération de l’évaporation.

Quant à l’offre, ensuite, la création de moyens collectifs de retenue et de stockage d’eau nécessite d’appliquer une régulation, voire une certaine discipline, au stockage individuel. Dans le même sens, le développement de l’assainissement doit permettre d’accroître les volumes d’eau susceptibles de réutilisation après traitement, voire de recharge artificielle des nappes phréatiques.

Dans tous les cas, je tiens à insister sur la nécessité d’une concertation et d’une application locale de la politique de l’eau. Seule l’association des collectivités et des communes est à même de garantir l’efficacité et l’effectivité des dispositifs de gestion de l’eau.

Force est de souligner, à cet égard, l’impérieuse nécessité de poursuivre la rédaction de projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE), instruments d’une sobriété localement concertée. Il y a là une condition indispensable pour que tous nos concitoyens prennent conscience de leur solidarité naturelle, laquelle doit valoir entre territoires comme entre usagers. Il s’agit également d’un critère d’équité dans la fixation du coût de l’eau, qui doit rester supportable pour tous.

Aussi, en la matière, devons-nous en appeler à la régulation et à la responsabilité de l’État.

Une troisième et dernière ligne de force se dégage ainsi, liée à la finitude et à la raréfaction de l’eau : la nécessité de penser désormais cette ressource comme un bien commun et un patrimoine commun de la Nation.

Pour faire face à la raréfaction de l’eau et en concilier l’ensemble des usages, une véritable stratégie de sobriété est donc indispensable. C’est l’option la moins coûteuse et la plus efficace pour faire face aux épisodes de sécheresse.

Parallèlement, il conviendra de déployer un véritable panel de solutions variées pour mobiliser la ressource.

L’eau est en effet la ressource la plus précieuse du XXIe siècle.

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