Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ZFE : trois lettres, un sigle de plus et encore une promesse non tenue d’un fleuve tranquille, tant le sujet de la voiture est devenu inflammable. Je me réjouis donc de l’initiative du groupe Les Républicains, auquel j’appartiens, qui a souhaité l’organisation de ce débat sur l’instauration des zones à faibles émissions, les ZFE.
La population a-t-elle vraiment conscience des restrictions de circulation vouées à se multiplier sur l’ensemble du territoire d’ici à 2025 ? Non, certainement pas. Un récent sondage de l’institut Harris soulignait d’ailleurs que 60 % des sondés ignoraient même ce qu’était une ZFE…
Pourtant, près de 40 % du parc automobile actuel est directement voué à être interdit. Toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants doivent instaurer d’ici à 2025 des zones à faibles émissions mobilité, ou ZFE-m, dans lesquelles seuls certains véhicules, les moins polluants, seront autorisés à accéder au centre-ville.
Cette mesure visait initialement à engager un double objectif salutaire : d’une part, celui de la santé publique, afin que les 40 000 décès annuels liés aux particules fines ne soient plus relégués au second plan, d’autre part, celui de la décarbonation du secteur des transports, le plus gros émetteur de gaz à effet de serre, décarbonation essentielle pour renforcer le droit à la mobilité.
Depuis lors, monsieur le ministre, votre gouvernement a amplifié le mouvement, en mettant au pas quarante-cinq agglomérations, avec, à la clef, l’interdiction prochaine de circuler dans ces zones pour des millions de véhicules.
Néanmoins, d’atermoiements en hésitations, de report en report de leur mise en place, les ZFE, dont l’application est à l’opposé des principes ayant présidé à leur création par la loi du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités (LOM), relèvent plus aujourd’hui du rituel sacrificiel que du principe positif originel, tant elles suscitent défiance et désespérance.
Pourquoi ?
Tout d’abord, la transition écologique ne peut se faire dans un contexte de perte de vitesse de notre souveraineté, qu’il s’agisse de notre souveraineté économique, via notre incapacité à produire des véhicules électriques à faible coût pour les Français, ou de notre souveraineté énergétique, avec le recours précipité aux centrales à charbon après l’abandon manifeste de notre énergie nucléaire abondante et peu onéreuse.
Ensuite, la transition écologique ne peut pas davantage s’accomplir dans un contexte de rejet social. En cherchant à « starifier » à tout crin une vision anti-voiture, vous avez omis de sanctuariser le seuil d’acceptabilité, totem de justice sociale intimement mêlé à la réussite de la mesure. À vouloir ménager un seul pan de la population, vous mécontentez tout le monde. Figés dans une sorte de sectarisme bureaucratique, vous chassez même, par l’application maximaliste de ces mesures, ce qui fait la richesse d’une nation, la classe moyenne, laquelle symbolise aujourd’hui, malgré elle, la paupérisation de notre Nation.
Entre les plaidoyers acquis sur le marché de la peur et entendus sur les terrains de l’écologisme politique et les tenants du laissez-faire, une voie d’équilibre existe, autre que la fabrique en puissance à « gilets jaunes ». C’est celle que nous avons tâché d’emprunter au Sénat. L’équilibre, ce n’est ni l’eau tiède ni le statu quo ; l’équilibre, c’est le fait de transcender les égoïsmes et de respecter le réalisme.
« L’équilibre est un effort et un courage de tous les instants. La société qui aura ce courage est la vraie société de l’avenir », disait Albert Camus. Dans le contexte actuel de changements importants, un sursaut de mobilité doit s’exercer. Le Sénat multiplie les propositions en ce sens, comme la fixation de la TVA à 5, 5 % pour les transports ou encore la fin des modernisations au rabais de nos infrastructures.
Quand le Gouvernement a présenté la généralisation des ZFE en 2021, lors de l’examen de ce qui allait devenir la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite Climat et résilience, texte dont j’étais rapporteur, mes collègues et moi avons insisté sur la nécessité de faire en sorte que la ZFE ne soit pas un facteur aggravant des inégalités.
Malheureusement, à trop agir avec verticalité et radicalité, vous avez dénaturé cette aspiration et transformé les ZFE en « zones de forte exclusion », incarnant ainsi le nouveau miroir d’une écologie antisociale. La ministre Pompili ne nous a pas écoutés et la majorité présidentielle a refusé nos propositions.
Au Sénat, nous avons toujours défendu une écologie qui récuse les mesures strictement punitives et qui accompagne le changement. Aussi, nous avons prôné une approche territorialisée, plus souple, qui fasse confiance aux élus locaux.
Le calendrier trop rapide et restrictif, faisant fi des délais réels de déploiement, impose aux collectivités territoriales un ensemble détaillé de restrictions allant à l’encontre même de la philosophie originelle de l’instrument, pensé d’abord comme un outil de régulation.
Nous avons proposé de revoir le schéma de restriction, de mieux prendre en compte les livraisons et le déploiement des infrastructures de recharge, de décaler la date de mise en œuvre de l’obligation et d’assouplir celle-ci au travers d’un régime de dérogation et d’une minorité de blocage. Nous avons également pointé les lacunes en matière de contrôle. En effet, on ne saurait mettre en place des ZFE sans avoir des moyens adéquats de contrôle, qui sont loin d’exister, même aujourd’hui, en 2023.
En témoignent les récents reports de mise en place, les périodes dites pédagogiques de la métropole d’Aix-Marseille ou encore l’annonce édifiante de la métropole de Nice, dont un conseiller a déclaré : « Nous ne mettrons pas les effectifs de police municipale pour contrôler une interdiction alors que l’État qui en est à l’origine ne mobilise pas ses propres policiers nationaux pour le faire. »
Nous avons tout de même réussi, au cours de la commission mixte paritaire la plus longue de la Ve République, à obtenir de haute lutte la mise en place d’un prêt à taux zéro, applicable depuis le 1er janvier dernier, pour l’acquisition d’un véhicule propre et que nous souhaiterions voir garanti à 100 % par l’État. Ce seul soldat sauvé est un corollaire à notre sens indispensable d’une transition juste.
Plus d’un an et demi plus tard, le temps presse, mais les esprits changent. Face au mouvement bruissant de contestation, vous semblez enfin écouter nos orientations. Je vous les assène de nouveau.
Dès lors que la maturité technologique des véhicules n’est pas au rendez-vous, la ZFE exclut. Dès lors que la France est encore loin de pouvoir offrir un prix de marché abordable pour les voitures propres, la ZFE exclut. Dès lors que certains de nos concitoyens ne se voient pas proposer, malgré les aides, de solutions de substitution financièrement viables, la ZFE exclut. Dès lors que les réseaux des transports en commun ne sont pas assez développés pour permettre de se rendre au centre-ville de manière efficace et rapide, la ZFE exclut. Dès lors que les autorités organisatrices de la mobilité, étranglées par la hausse de l’énergie et sans effort partagé supplémentaire, se voient dans l’obligation d’augmenter les tarifs des billets, la ZFE exclut.
Aujourd’hui, le Gouvernement semble disposé à écrire un nouveau chapitre, grâce à un changement de braquet matriciel. Vous réalisez aujourd’hui que la vérité que vous imposiez hier s’est révélée une erreur. Enfin ! Une réunion des exécutifs locaux concernés a été convoquée, une aide du fonds vert annoncée, une mission flash à l’Assemblée nationale lancée. Je note même la publication du décret du 24 décembre 2022 sur la mise en place d’un régime de dérogation pour les agglomérations, proposé initialement par le Sénat.
Je ne doute pas que mes collègues du groupe Les Républicains Michel Savin, Laurence Garnier, Elsa Schalck, Laure Darcos, Stéphane Le Rudulier, Brigitte Micouleau et Christine Lavarde pointeront avec pertinence les faiblesses de cette mesure.
Entre les chantres de l’anti-bagnole et la suppression unilatérale de la mesure, le Sénat a fait le choix de ZFE faites avec les territoires et non contre eux. Monsieur le ministre, je vous engage donc au nom du groupe Les Républicains à poursuivre dans cette voie, en arrêtant d’imposer et en vous inspirant d’une méthode respectueuse des Français, résumée dans cette formule : informer, écouter et accompagner.