Intervention de Carole Grandjean

Réunion du 10 janvier 2023 à 14h30
Mieux rémunérer le travail en france : la nécessité d'un grenelle sur les salaires — Débat organisé à la demande du groupe socialiste écologiste et républicain

Carole Grandjean :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénatrices et les sénateurs, notre débat se tient à peine neuf mois après le début de la crise la plus profonde que l’Europe et le monde aient connu depuis la Seconde Guerre mondiale.

De fait, l’agression russe a replongé l’économie mondiale dans de nouvelles incertitudes. La guerre en Ukraine a attisé la crise énergétique et fait s’envoler les prix des matières premières. Aussi, malgré les efforts de chacun, l’inflation a rejoint les sommets où nous l’avions laissée à la fin des années 1980, ravivant le spectre d’une inflation autoentretenue par une boucle prix-salaire.

C’est dans ce contexte troublé que la question du pouvoir d’achat s’est naturellement installée au cœur du débat public, ce qui nous amène aujourd’hui à nous interroger sur des questions fondamentales de répartition.

La rémunération du travail est-elle juste et suffisante ? Le partage de la valeur, entre le capital et le travail, est-il satisfaisant ? Faisons-nous assez pour garantir que les salaires permettent une vie décente, même à ceux qui dépendent de faibles revenus ? Voilà les questions de fond qui nous réunissent pour ce débat sur l’opportunité d’un Grenelle des salaires, dans la perspective de mieux rémunérer le travail en France.

Je remercie donc les sénatrices et sénateurs du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain de nous donner ainsi l’occasion de nous saisir de cette question fondamentale. Je tiens aussi à excuser l’absence de M. le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, Olivier Dussopt.

J’aimerais d’abord dresser un tableau objectif de l’évolution récente des salaires et du pouvoir d’achat en France.

Rappelons en premier lieu que la France a le système le plus protecteur d’Europe pour les bas salaires.

Notre pays est une exception européenne, non seulement parce que tous les États membres de l’Union européenne n’ont pas mis en place de salaire minimal universel, mais aussi parce que cinq pays seulement ont instauré un mécanisme d’indexation automatique du salaire minimal, garantissant qu’il soit aussi stable que possible en termes réels, et donc en pouvoir d’achat.

Le mécanisme français d’indexation du salaire minimal est protecteur à trois égards.

D’abord, il est indexé sur l’indice des prix à la consommation pour les 20 % des Français les plus modestes, pour lesquels l’énergie constitue une part importante des dépenses. Cela permet mécaniquement de surindexer le Smic par rapport au reste de la population.

Ensuite, en plus de l’inflation, le Smic est augmenté chaque année de la moitié du gain moyen de pouvoir d’achat des employés et ouvriers, de sorte à aussi prendre en compte le mouvement des autres salaires.

Enfin, la revalorisation du Smic intervient tous les ans au 1er janvier, mais également en cours d’année dès que la hausse des prix depuis la dernière revalorisation atteint 2 %, ce qui permet de limiter les périodes pendant lesquelles l’inflation rogne sur le pouvoir d’achat du Smic.

Ce mécanisme, auquel s’ajoutent les dispositions du code du travail sur la négociation salariale, mais aussi, parfois, d’amicales invitations du Gouvernement à négocier sur les salaires, entraîne une diffusion progressive des revalorisations. La direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) estime ainsi qu’entre septembre 2021 et septembre 2022, période pendant laquelle le Smic a connu une hausse historique, le salaire mensuel de base a augmenté de 4, 4 % pour les ouvriers, de 4, 6 % pour les employés, et de 2, 7 % pour les cadres.

Rappelons ensuite que le Gouvernement a mis en place depuis le début de la crise énergétique, à l’été 2021, une série de mesures protégeant le pouvoir d’achat.

L’énergie est l’un des postes de dépenses les plus contraints, qui pèse d’abord sur les ménages les plus modestes. C’est pourquoi le Gouvernement a mis en place un bouclier tarifaire d’une ampleur sans précédent, qui a consisté à plafonner le prix du gaz et de l’électricité et à financer une prime à la pompe.

Ces mesures massives et généralisées ont eu un effet très important sur le taux d’inflation en France, qui est quasiment le plus bas d’Europe. Au mois de décembre dernier, il représentait près de la moitié de celui de l’Italie et était inférieur de trois points à celui de l’Allemagne. De même, l’État a allégé de 11 milliards d’euros les dépenses en énergie des entreprises.

Je tiens à rappeler ces chiffres, car ils permettent de mesurer à quel point, grâce aux lois que vous avez votées au mois d’août dernier, nos concitoyens ont été protégés comme dans nul autre pays en Europe.

Rappelons enfin l’existence des comités des salaires, leur utilité et la fréquence de leurs réunions.

La valeur travail est au cœur de notre projet. Toutefois, si la valorisation du travail passe aussi par une hausse des salaires, soyons clairs : ce n’est pas à l’État d’en décréter l’ampleur. C’est par le dialogue social, à l’échelon des branches et des entreprises, que les mouvements de salaires se décident. L’État doit y accorder une attention soutenue et peut, parfois, faciliter les négociations, mais il ne doit en revanche jamais se substituer à l’une des parties.

L’équilibre dans la concertation est, à n’en pas douter, la méthode qui a le plus contribué à penser, à construire et à transformer notre pacte social.

Le ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion préside ainsi le comité de suivi des salaires, qui réunit chaque semestre l’ensemble des organisations patronales et syndicales pour dresser un bilan des négociations salariales dans les 171 principales branches. Le dernier a eu lieu au mois de novembre 2022. Compte tenu de la forte inflation que nous connaissons depuis plus d’un an, il a notamment visé à vérifier la conformité au Smic des minima de chacune de ces branches.

Ce comité démontre que le choix de la concertation est payant. Le nombre de branches qui affichent, de manière structurelle, des minima inférieurs au Smic est passé de 112 à 57 entre mai et décembre 2022. En novembre dernier, seules quatre branches étaient dans une situation de non-conformité depuis plus d’un an, contre une vingtaine en moyenne auparavant.

Mesdames, messieurs les sénateurs, l’idée d’un Grenelle des salaires convoque immédiatement l’imaginaire des négociations glorieuses qui ont fait l’histoire de la gauche – je pense notamment au Grenelle de 1968 –-, lesquelles ont été autant de pierres ajoutées à notre système social si protecteur, si envié et auquel nous sommes, à raison, si attachés. Néanmoins, ce sont là des souvenirs d’un temps où l’économie était radicalement différente de celle d’aujourd’hui.

Cette nostalgie d’un temps où l’État et les partenaires sociaux pouvaient décréter une hausse globale de tous les salaires n’est probablement pas une boussole actuelle pour les politiques publiques. À cette époque, chaque salaire était encadré par des grilles, le chômage ne dépassait pas quelques pourcents et la croissance, comme la productivité du travail, progressait chaque année à un rythme effréné. Vous pouvez certes le regretter, mais telle n’est plus notre réalité.

Alors un Grenelle des salaires, pour quoi faire, mesdames, messieurs les sénateurs ? Pour instaurer un comité de suivi des salaires à côté de celui qui existe déjà ? Je pense vous avoir montré la dynamique de notre démocratie sociale décentralisée et la force et l’efficacité des actions du Gouvernement en faveur du pouvoir d’achat.

À ce stade, le Gouvernement fait le choix de poursuivre le dialogue dans le cadre du comité de suivi, dont nous observons les effets.

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