Intervention de Catherine Deroche

Réunion du 11 janvier 2023 à 15h00
Crise du système de santé — Débat d'actualité

Photo de Catherine DerocheCatherine Deroche :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, lors de ses vœux aux acteurs du secteur, le Président de la République a tenté de fixer un nouveau cap pour la santé dans notre pays.

Ce cap était nécessaire et attendu. Après trois ans d’une pandémie qui a épuisé les soignants et qui continue de les mobiliser quotidiennement, il se devait d’aller au-delà d’une sorte de rediffusion de Ma santé 2022 voire d’un « autosatisfecit » presque gênant.

Le constat dressé par le Président de la République est largement connu et partagé. Les annonces, en revanche, manquent de contenu et, concrètement, de crédibilité au service de la santé des Françaises et des Français.

La médecine de ville est en crise, tiraillée entre des besoins plus importants de la population, des « déserts médicaux » toujours plus préoccupants et des professionnels de santé qui, en nombre insuffisant, peinent à dégager le temps médical nécessaire.

Face à cela, nous avons eu droit au catalogue des annonces relatives au système de santé des cinq dernières années.

Quelle signification concrète pour la solidarité collective, les revalorisations différenciées, la valorisation de l’exercice coordonné ? Certes, ce n’est pas simplement une question de moyens, mais nous sommes au milieu d’une négociation conventionnelle particulièrement tendue !

D’un seul coup, le seuil de 20 % de téléconsultations ne serait plus pertinent. Quelle médecine voulons-nous ? Une médecine sans examen clinique pratiquée dans des centres d’appels éloignés des populations ? Une médecine à deux vitesses vidant un peu plus encore les territoires ? La télémédecine est un outil complémentaire, mais ne doit pas être un substitut « ubérisé » à une médecine de qualité.

Il faut embaucher davantage d’assistants médicaux, nous dit le Président de la République. Soit ! Cependant, pour ce qui est du financement, aucune précision !

Bien sûr, le Président de la République s’est aussi prononcé sur la délégation d’actes, estimant qu’elle devait être « simplifiée, généralisée » et qu’« il ne faut pas qu’il y ait de conflits entre les professions ». Quels choix cette formule sibylline traduit-elle ? Que veut dire concrètement apporter une « solution de santé en incitant les acteurs de santé sur un territoire à coopérer entre eux » ? Quid, par exemple, des infirmiers en pratique avancée, à peine cités par le Président de la République ?

Au chapitre des solutions simples, le Président de la République a annoncé, concernant les 6 millions de Français sans médecin traitant, que les 600 000 malades chroniques qui n’en disposent pas s’en verraient prochainement proposer un par la Caisse nationale de l’assurance maladie. On se demande pourquoi cette annonce n’est pas venue plus tôt…

Surtout, se poser la question du nombre de Français dépourvus de médecin traitant est une chose ; se demander quel est le rôle de ce dernier aujourd’hui dans le système de soins en est une autre. Or, pour cette seconde question, aucune vision n’est portée par l’exécutif. « Le médecin traitant doit être la porte d’entrée, mais pas le verrou de notre système » : en disant cela, certes, on ne fâche personne, mais on ne résout aucun problème.

Quelle est la feuille de route poursuivie par la multiplication désordonnée des accès directs ? Comment ces derniers sont-ils justifiés, mis en cohérence ? Au-delà d’être la « porte d’entrée », comment donner réellement au médecin traitant les moyens d’être le pivot ?

En Suède, où s’est rendue la commission des affaires sociales, le rôle du médecin traitant n’est pas de s’occuper de la régulation, laissée souvent aux infirmiers, mais bien du diagnostic médical et de la coordination des soins. Est-ce le choix qui nous est annoncé ?

S’agissant de l’hôpital, qui connaît une crise tout aussi profonde et durable, malheureusement, le discours présidentiel n’était pas beaucoup plus clair.

Bien sûr, l’annonce « choc » relative à la tarification à l’activité a fait couler beaucoup d’encre. Derrière ce slogan d’une fin de la T2A, le Président de la République n’a fait que reprendre ce que la commission d’enquête du Sénat appelait de ses vœux l’an dernier : un modèle de financement mixte, avec une part de dotation communément appelée populationnelle, un financement lié à la qualité et, bien sûr, une part demeurant assise sur l’activité.

Cette annonce ne suffira pas à rassurer les professionnels de santé, car, répétons-le, le problème de la T2A n’est pas de lier le financement à l’activité, mais bien d’appliquer un tarif qui ne couvre pas réellement les charges des établissements. Se tromper de problème, c’est apporter une mauvaise solution.

Par surcroît, on nous dit aujourd’hui qu’il n’y aura pas de transition et que le nouveau modèle sera voté dès le PLFSS pour 2024 ! Que de promesses quand nous voyons que le Gouvernement n’a même pas conduit l’expérimentation d’un tel modèle de financement, pourtant votée dans le cadre de la LFSS pour 2021, et que les réformes du financement des soins de suite ou de la psychiatrie, jamais passés à la T2A, ne sont toujours pas effectives.

J’aimerais, pour ma part, que le Gouvernement nous fasse l’exégèse du verbe présidentiel quand il proclame qu’« on doit sortir de la tarification à l’activité dès le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale », tout en annonçant plus loin « une part de rémunération à l’activité qui est tout à fait légitime et qui doit continuer ».

Surtout, en évoquant un changement de modèle de financement, le président Macron évite précautionneusement le sujet de la dépense et de sa régulation. Alors que l’on nous annonce des revues de dépenses et que la maîtrise de la dépense publique est une nécessité, quelle part le Gouvernement veut-il réellement consacrer à l’hôpital ?

Madame la ministre, si le nouveau modèle de financement n’est qu’une nouvelle règle de partage du même gâteau, économisons-nous des débats techniques et gardons le système actuel !

Le premier engagement à prendre à l’égard de l’hôpital est celui de l’humilité. La commission d’enquête sur la situation de l’hôpital et le système de santé en France avait choisi de ne pas appeler à une nouvelle loi Santé, comme elle avait revendiqué de ne pas engager de nouveau des modifications de la gouvernance, estimant que le cadre issu des réflexions du professeur Claris laissait la souplesse nécessaire pour revaloriser le service, d’une part, et pour « médicaliser » la direction, d’autre part.

Cessons d’annoncer de fausses révolutions et des changements de paradigme en trompe-l’œil : le véritable besoin des soignants aujourd’hui, ce sont les effectifs. Où en sont les recrutements ? Comment les hôpitaux sont-ils en capacité de renouer avec l’attractivité des postes, des carrières, et en capacité de financer davantage de soignants auprès du lit des patients ?

C’est cela la réalité des prix, madame la ministre ; c’est cela la réalité de la politique que vous avez à mener.

La feuille de route donnée par le Président de la République ne permet de déceler aucune ambition concrète pour les soignants et le système de santé qu’ils portent et, je le crains, n’annonce aucune politique structurée de la part du Gouvernement face à la crise que nous connaissons.

Vous l’avez compris, mes chers collègues, cette année 2023 commence par des annonces qui n’en sont pas, pour des réalisations dont je crains qu’elles n’en soient pas. Des mots, toujours des mots, les mêmes mots, rien que des mots… Je vous souhaite néanmoins, madame la ministre, une excellente année 2023.

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