Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui de la crise du système de santé.
Je crains, malheureusement, que cette question ne soit déjà obsolète.
Notre système de santé n’est plus en crise. Une crise, c’est soudain, une crise, c’est brusque et momentané, et puis une crise, cela passe.
Notre système de santé n’est plus en crise. Notre système de santé n’est même plus au bord de l’effondrement : notre système de santé s’effondre, sous nos yeux.
Qui aurait pu le prévoir ? Toute personne s’étant renseignée sur le sujet !
Si notre système de santé s’effondre, c’est la conséquence mécanique, logique et implacable de choix politiques, de mauvais choix politiques, qui ont déjà coûté des vies parmi, comme toujours, les populations les plus précaires et qui maltraitent, chaque jour, des soignantes et des soignants.
Trente-six des trente-huit infirmiers et infirmières ou soignants du service des urgences de l’hôpital de Saint-Avold sont en arrêt maladie. Résultat : l’absence d’accueil la nuit à partir de dix-neuf heures.
À l’hôpital de Pontoise, en région parisienne, 90 % des effectifs des urgences sont en arrêt maladie.
Comment en sommes-nous arrivés là ?
Je ne peux plus entendre dire que c’est la faute du covid-19, de la grippe, des bronchiolites ou, comme on nous le rabâche tous les matins depuis des mois, des trois à la fois.
Un système de santé existe pour éviter que les gens ne tombent malades et pour les soigner quand ils le sont.
Un système de santé ne s’effondre pas à cause des maladies, comme un système éducatif ne s’effondre pas à cause de l’illettrisme, comme un système judiciaire ne s’effondre pas à cause des crimes, comme un système électoral ne s’effondre pas à cause des élections.
Le système de santé est là parce que la maladie existe, parce que la prévention est nécessaire et parce que la guérison est possible. C’est son objet, le sens même de son existence.
S’il s’effondre parce que les gens tombent malades, c’est qu’il s’effondre de lui-même. Et s’il s’effondre de lui-même, c’est parce qu’il a été sous-financé au point qu’il ne puisse simplement plus tenir.
Je ne peux pas entendre, non plus, que c’est la faute des 35 heures.
Quel déshonorant mépris à l’encontre de celles et de ceux qui, à bout de souffle, s’épuisent chaque jour et chaque nuit, et qui persistent à le faire, malgré tout, afin de remplir la mission qu’ils ont acceptée : soigner.
Si, pour soigner, il faut soi-même être malade et épuisé, si, pour guérir les autres, il faut se tuer à la tâche, si notre système de santé doit reposer sur des personnes condamnées à en avoir besoin, car elles ne sont pas en bonne santé, tout cela n’a plus aucun sens.
Alors non, la responsabilité de l’effondrement de notre système public de santé n’est celle ni des maladies ni des 35 heures.
La responsabilité incombe à celles et à ceux qui ont organisé le désinvestissement dans l’hôpital public, le forfait patient urgences, les salaires de misère, les conditions de travail indignes, la tarification à l’acte, les fermetures de lits et de services, les déserts médicaux.
Notre système de santé subit l’enchaînement, depuis plusieurs décennies, de décisions politiques à courte vue, dominées par une idéologie mortifère, qui consiste à considérer que les services publics doivent coûter le moins cher possible ainsi qu’à ne pas reconnaître la santé comme un bien commun et que le service public qui s’en occupe doit – nous le répétons depuis tellement d’années ! – être organisé uniquement en fonction des besoins.
Cependant, il y a sans doute plus grave encore. Permettez-moi de vous lire quelques phrases.
« Selon un rapport de l’OMS de 2016, 23 % des décès dans le monde sont directement liés au fait d’avoir vécu ou travaillé dans un environnement insalubre. […] Ce sont les plus défavorisés qui supportent la plus forte charge de morbidité liée à l’environnement. Le changement climatique et l’appauvrissement de la biodiversité provoqueront des chocs écologiques de forte amplitude sur notre économie et la société, dont la pandémie actuelle, d’origine zoonotique » – ce texte date quelque peu – « n’est qu’une des premières manifestations. […]
« […] Notre protection sociale n’est pas suffisamment résiliente face aux risques environnementaux et l’État ne s’est pas doté des outils prospectifs pour faire face à la survenance plus fréquente et plus aiguë d’événements climatiques et de crises imprévues, dont les effets sur les finances publiques seront lourds de conséquences. La pandémie […] l’a démontré avec force. Les chocs futurs risquent d’être encore plus violents. Il est donc urgent de changer de paradigme, avec des politiques publiques dont l’impact environnemental est pris en compte dès la conception et en développant une culture de prévention, d’adaptation et de résilience de notre système de protection sociale. »
Ce n’est pas moi qui ai écrit ces quelques lignes, en tout cas pas directement ; elles viennent du rapport adopté par notre chambre sur la sécurité sociale écologique, dont j’avais l’honneur d’être la rapportrice.
Qui peut prévoir l’impasse vers laquelle nous fonçons ? Ici, tout le monde ; simplement, tout le monde ici n’est pas au pouvoir pour l’éviter…