Madame le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis pour un débat d’actualité relatif à la crise du système de santé. Malheureusement, le terme d’actualité est un euphémisme : quand une situation dure et se dégrade, de jour en jour, de mois en mois et d’année et d’année, on parle de routine quotidienne, si délétère soit-elle.
Le sujet est vaste et ces quelques minutes ne sauraient suffire pour balayer les multiples causes qui ont conduit à la situation actuelle.
La pandémie a évidemment aggravé l’épuisement des professionnels de santé, à l’hôpital comme en ville. Elle a surtout révélé la perte de notre souveraineté sanitaire.
La crise du système est d’abord le fruit de plusieurs années de politiques hasardeuses en matière de santé. Comment ne pas rappeler les coups de rabot subis par l’hôpital, comme par le secteur du médicament et du dispositif médical, dans une logique dominée par la maîtrise des dépenses de santé et la réduction du déficit de la sécurité sociale ? Comment en est-on arrivé là ?
Les 35 heures non compensées ont été appliquées à l’hôpital alors que ce dernier prend en charge des patients vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Qu’on le veuille ou non, elles l’ont désorganisé.
En conséquence, on a demandé aux internes de travailler sans compter ; on sait combien leur contribution est importante pour le fonctionnement de l’hôpital. En est résulté, pendant des années, une formation très « hospitalocentrée », cependant que la médecine générale était dévalorisée.
Le souci du déficit de la sécurité sociale est d’abord celui d’une juste dépense de l’argent public ; mais depuis des années Bercy a pris, à ce titre, le pas sur l’avenue Duquesne, à une exception près – il faut le reconnaître –, la pandémie de covid-19. Pour répondre à cette crise sanitaire, l’on a accepté un déficit historique de la sécurité sociale.
L’objectif national de dépenses d’assurance maladie pour 2023, rejeté dans cet hémicycle en novembre dernier, illustre l’incohérence entre, d’un côté, d’importants moyens financiers – ils s’élèvent à 250 milliards d’euros – et, de l’autre, des missions d’intérêt général parfois mal identifiées ou encore un financement de l’hôpital qui ne fait l’objet d’aucun débat, faute d’information.
Le 15 décembre dernier, lors des traditionnelles questions d’actualité, j’alertais en outre le Gouvernement sur notre souveraineté sanitaire.
Les ruptures de stocks de médicaments et de vaccins avaient déjà fait l’objet d’une mission d’information sénatoriale en 2018, donc avant la pandémie. Alors même que le monde traverse une tempête diplomatique inédite depuis la fin de la guerre froide, il semble fondamental de prendre à bras-le-corps la question de la souveraineté sanitaire.
Je tiens d’ailleurs à saluer l’initiative de nos collègues du groupe CRCE visant à créer une commission d’enquête relative auxdites ruptures de stocks et, ce faisant, à poursuivre les travaux du Sénat sur ce sujet. À titre personnel, je n’ai jamais vu une telle situation en quarante ans d’exercice professionnel. Madame la ministre, je suis sûre que vous êtes dans la même situation.
Enfin, la souveraineté du médicament est intimement liée à son prix, qu’on le veuille ou non. Dans un marché concurrentiel marqué par une demande mondiale en augmentation, certains laboratoires préfèrent se tourner vers des pays où les prix sont plus avantageux. Cette situation a des conséquences directes sur les capacités d’innovation dans le domaine de la recherche. Dans certains cas, se pose ainsi la question de l’efficience de la clause de sauvegarde.
Enfin, pour ce qui concerne la fixation du prix du médicament, un amendement a été voté sur l’initiative de mon collègue René-Paul Savary afin d’encourager les entreprises du médicament qui relocaliseraient leurs sites de production en Europe. Malheureusement, le Gouvernement n’a pas écouté la sagesse du Sénat.
Comment ne pas évoquer, lors de ce débat, la question de la formation en internat de médecine générale ?
Je rappelle une nouvelle fois qu’un amendement avait été voté à la quasi-unanimité du Sénat en 2019, lors de l’examen du projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé, afin de transformer la dernière année de troisième cycle de médecine générale en une année de professionnalisation dans les territoires sous-dotés. À l’issue de la commission mixte paritaire, nous avions abouti à un accord pour créer un semestre de formation, mais le décret d’application n’est jamais paru.
Dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, le Gouvernement a repris l’idée de la proposition de loi du président Bruno Retailleau votée en octobre dernier, à savoir la création d’une quatrième année de professionnalisation pour les internes de médecine générale.
Ce sujet inspire deux constats amers.
Premièrement, que de temps perdu depuis la loi de 2019 ! Cette mesure aurait pu entrer en application le 1er novembre 2021.
Deuxièmement, le Gouvernement a dénaturé la mesure proposée initialement, en permettant que cette quatrième année puisse être en partie accomplie à l’hôpital : l’esprit initial était de renforcer une médecine de ville aux abois.
Pour approfondir le sujet majeur de l’accès aux soins, je rappelle l’importance qu’occupe et que doit continuer d’occuper la médecine générale. Le peu de temps que le Président de la République a consacré, dans son discours de vœux, à la médecine de ville interroge à tout le moins. Un tel choix est même un peu choquant.
L’hôpital ira mieux si la médecine de ville va mieux.
« Nous sommes face à un système de santé au bord de la rupture » : cette phrase n’est pas de moi, même si, au terme d’une journée de travail, je puis nourrir une telle pensée. C’est le cri d’alarme lancé par le collège de la Haute Autorité de santé (HAS) en avril 2022.
Le collège de la HAS a en effet publié une lettre ouverte « à tous ceux qui œuvrent pour la qualité des soins et des accompagnements ». Tout y était : pénurie des personnels soignants et médicaux, déserts médicaux, mauvaise qualité des soins, accès aux soins, etc. Dans le même temps, le collège proposait bien sûr un certain nombre de mesures urgentes à mettre en œuvre.
Madame la ministre, avez-vous pris connaissance de l’appel de la HAS ? Qu’en avez-vous fait ? Si ce jugement est sévère et nous attriste tous, il reflète aussi, à bien des égards, la triste réalité.
Les professionnels de santé sont épuisés. L’ensemble des soignants sont sous l’eau. Que ferons-nous le jour où la digue sautera ? Un effondrement de notre système de santé aurait des conséquences sur l’ensemble de la société et menacerait directement l’équilibre du pays.
Je tiens à saluer tous ceux qui tiennent bon et qui, avec conscience professionnelle et abnégation, continuent jour après jour à prendre en charge des patients.
Je tiens également à rappeler la formidable implication des élus locaux, qui se battent sans relâche afin de faciliter l’installation de professionnels de santé dans leurs communes. C’est un véritable cri de désespoir que les élus et les patients poussent eux aussi. Nous l’entendons régulièrement dans nos départements respectifs.
La crise de notre système de santé est évidemment majeure, à l’hôpital comme en médecine de ville. Pourtant, nombre de professionnels de santé sont prêts à agir pour sauver ce système, dans l’intérêt des patients, notamment grâce aux progrès technologiques et à certaines innovations thérapeutiques majeures.
Cette crise touche aussi le secteur médico-social et tous les acteurs qui interviennent dans la prise en charge des personnes âgées et des personnes handicapées à domicile : ne l’oublions pas.
À ce titre, que dire du Ségur, dont l’intention initiale était bonne, mais qui a fait tant et tant d’oubliés ? Parler de l’attractivité des métiers ne suffit pas : il faut effectivement fidéliser les personnes en poste.
Enfin, si vous savez pouvoir compter sur les maisons de santé pluriprofessionnelles et sur les professionnels de santé qui les composent, ayez le courage de reconnaître que les communautés professionnelles territoriales de santé ne sont pas la solution…