C’est à la demande de la commission des finances que nous débattons aujourd’hui de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, pour faire suite au rapport rendu voilà quelques semaines par le président Claude Raynal et le rapporteur général Jean-François Husson.
Ce sujet nous anime tous, surtout depuis que de grandes affaires ont été révélées par la presse : Panama Papers, CumEx Files, Pandora Papers… Si l’on reprend l’historique des mesures adoptées au cours des dix dernières années, il faut souligner les progrès que représentent la création du parquet national financier (PNF), celle de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales et celle de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). C’est grâce à la mise en place de ces institutions que les avancées de notre pays en matière de lutte contre la fraude fiscale ont été jugées positivement par certaines ONG.
Au cours du quinquennat précédent, nous avons également eu à examiner le projet de loi de 2018 relatif à la lutte contre la fraude. Lors de nos débats, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain avait souligné les avancées du texte, comme la réforme du « verrou de Bercy », qui avait déjà fait l’objet d’une proposition de loi de notre collègue Marie-Pierre de La Gontrie. D’autres dispositions, comme celle qui portait sur la lutte contre la fraude à la TVA, constituaient de réelles avancées et nous ne nous étions pas opposés à ce texte.
En revanche, nous avions exprimé nos regrets sur la timidité du Gouvernement à l’égard des paradis fiscaux, la liste retenue excluant de nombreux pays dont les pratiques s’apparentent pourtant à un véritable dumping fiscal. Mon collègue Thierry Carcenac alertait également le Sénat sur la faiblesse des effectifs de la direction générale des finances publiques affectés au contrôle fiscal, alors que le nombre d’entreprises soumises à la TVA ne cesse d’augmenter.
La mission d’information de la commission des finances permet de dresser un premier bilan de l’application de cette loi. Le premier enseignement qu’elle a tiré est la difficulté d’apprécier l’efficacité de la lutte contre la fraude fiscale en France. Si les résultats du contrôle fiscal sont en hausse depuis 2018, nous ne pouvons pas apprécier pleinement l’efficacité du dispositif, faute de données fiables sur l’ampleur de la fraude.
Néanmoins, pour ce qui concerne la réforme du verrou de Bercy, la mission d’information a montré dans ses conclusions que l’équilibre trouvé en 2018 permet d’obtenir des résultats encourageants, les dossiers transmis par l’administration fiscale aux parquets ayant fortement augmenté. C’est bien la preuve que cette remise en cause partielle du verrou de Bercy était nécessaire…
Sur la TVA, les travaux de la commission justifient les inquiétudes que nous avions exprimées, puisque la part de la TVA dans les résultats du contrôle fiscal ne cesse de régresser d’année en année. Il y a sur ce point un réel besoin de faire monter les contrôles en puissance. Il ne faut pas prendre de retard, afin que le contrôle s’adapte à l’évolution de la fraude.
Vous le voyez, tous les principes, alertes et objectifs que nous défendions en 2018 sont toujours vrais aujourd’hui.
J’ajoute qu’il ne peut pas y avoir de véritable lutte contre la fraude fiscale sans une détermination de même ampleur contre l’évasion fiscale et les paradis fiscaux.
À cet égard, les députés de gauche se sont alarmés récemment, à juste titre, d’une mesure inscrite discrètement dans la loi de finances. Dans une tribune publiée dans le journal Le Monde, ils ont protesté contre la création d’une nouvelle niche fiscale, en faveur des captives de réassurance, insérée dans le texte par voie d’amendement au Sénat et adoptée quasiment sans débat grâce au recours à la procédure du 49.3. Ces captives sont un moyen d’optimisation fiscale : sur la centaine d’entre elles qui sont détenues par des entreprises, moins de dix sont domiciliées en France, le reste étant réparti dans des paradis fiscaux.
Comment le Gouvernement peut-il affirmer qu’il agit avec une vraie détermination contre l’évasion fiscale quand il fait adopter une telle mesure ? Alors que la France est « à l’euro près », selon le ministre de l’économie, comment peut-il prendre des mesures qui favorisent l’exil fiscal des multinationales et coûteront encore quelques centaines de millions d’euros supplémentaires à l’État ?
Cela montre bien qu’il est indispensable d’agir à l’échelon international, le rapporteur général y insistait. Je me félicite également de l’instauration d’un taux d’imposition minimal sur les sociétés, fixé à 15 % dans l’Union européenne ; c’est un premier pas, mais il doit s’inscrire dans une politique globale, cohérente et déterminée, pour prendre tout son sens.
Parce que l’évasion et la fraude fiscales minent notre contrat social et démocratique, le consentement à l’impôt, la régulation mondiale, la capacité des peuples à maîtriser leur destin et à rechercher l’intérêt général au service de tous, ce n’est qu’en conjuguant mesures françaises et internationales qu’il sera possible d’établir une politique efficace en la matière. Je me félicite que le Sénat y contribue