Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer l’excellente initiative de la commission des finances, sous l’impulsion de son président et de son rapporteur général, consistant à mettre sur pied la mission d’information sur la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, près de quatre ans après l’adoption de la loi, dite Darmanin, du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude.
En effet, il convenait de tirer un premier bilan des dispositions adoptées à l’époque ; il est très salutaire que le Parlement s’intéresse à ce sujet de manière permanente, tant l’enjeu est fondamental pour nos finances publiques. Au cours des dernières années, on a constaté une difficulté : les révélations sur ce sujet dans la presse suscitent des réactions indignées pendant quarante-huit heures au mieux, puis le soufflé retombe, tandis que les réactions du Gouvernement ne sont pas à la hauteur des enjeux financiers colossaux.
Chacun a ici en mémoire la déclaration très péremptoire du président Nicolas Sarkozy, le 23 septembre 2009 : « Les paradis fiscaux, c’est terminé ! »
Pourtant, au cours des quatorze dernières années, les scandales se sont répétés. Si l’on fait le compte, depuis 2013 – année de la tristement célèbre affaire Cahuzac, qui a fait tant de mal à notre République –, pas moins de quinze affaires ont été révélées par les journalistes d’investigation et les lanceurs d’alerte. Je les remercie, au nom de l’intérêt général !
Chaque fois, on retrouve les mêmes montants astronomiques, les mêmes systèmes sophistiqués et, trop souvent, malheureusement, l’implication de responsables politiques de haut niveau, ici et ailleurs. C’est ainsi que nous eûmes successivement droit aux Panama Papers, aux Paradise Papers, aux LuxLeaks, à l’OpenLux, aux CumEx Files, à l’affaire UBS et, plus récemment, aux Pandora Papers. Quel exotisme…
Cette accumulation d’affaires illustre parfaitement le caractère systémique et quasi industriel de l’évasion fiscale. Ce constat confère aux responsables politiques, quels qu’ils soient, une responsabilité majeure. Quel est donc le bilan de la loi de 2018 ?
La mission d’information a constaté l’insuffisante évaluation de la fraude fiscale, notre rapporteur général l’a rappelé. La loi de 2018 avait prévu la création d’un observatoire d’évaluation de la fraude fiscale. Celui-ci n’a jamais vu le jour, faute d’un président. Pourtant, j’avais modestement proposé, à l’époque, ma candidature, à titre bénévole, soucieux que je suis des deniers publics. L’observatoire est donc mort-né, perdu dans les limbes…
Certes, le verrou de Bercy fut quelque peu desserré. C’est une bonne chose, mais il n’a toutefois pas été complètement supprimé. Nous sommes nombreux à penser que sa suppression totale devrait être envisagée, mais cela nécessiterait de renforcer en parallèle les moyens de la justice, notamment le parquet national financier, afin que notre justice puisse traiter comme il convient tous les dossiers de fraude fiscale.
Je ne partage pas la satisfaction de la mission d’information à propos des réponses pénales et des instruments de justice que constituent la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) – je me demande toujours où est l’intérêt public dans ce dispositif – et la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), une sorte de plaider-coupable à l’anglo-saxonne.
Certes, le Gouvernement peut mettre en avant les condamnations de McDonald’s ou du Credit Suisse au cours des derniers mois, mais les amendes récupérées ne représentent pas la totalité des sommes détournées et cette méthode de « négociation » laisse entendre au commun des mortels que la loi fiscale ne s’applique pas de la même manière, « selon que vous serez puissant ou misérable », pour reprendre les termes du grand Jean de La Fontaine.
Notre mission d’information a aussi examiné de manière très logique la dimension européenne du sujet. L’Union européenne considère qu’il n’existe en son sein aucun paradis fiscal. Pour répondre à cela, je me contenterai de citer l’exemple de nos « partenaires » du Luxembourg, mis en cause en février 2021 dans une enquête au long cours du journal Le Monde intitulée OpenLux. Nous apprenions dans cette enquête que le Luxembourg hébergeait 55 000 sociétés offshore, cumulant ensemble 6 500 milliards d’euros d’actifs, quasiment vingt fois le budget de la France ! En outre, parmi ces 55 000 sociétés venaient, en tête de classement, les Français, 17 000 de nos concitoyens détenant des sociétés offshore.
L’une des armes essentielles, indispensable dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, est la transparence. Or, de ce point de vue, l’Union européenne envoie ces derniers temps des messages quelque peu inquiétants et contre-productifs, comme Jean-François Husson l’a rappelé.
Jugeons-en : la Cour de justice de l’Union européenne considère au travers d’une décision très surprenante que la communication des informations sur les bénéficiaires effectifs des sociétés est réservée aux pouvoirs publics et aux organismes spécialement habilités à recevoir ces données. Jusque-là, de telles informations étaient en libre accès sur internet. La CJUE freine ainsi les ardeurs des défenseurs d’une transparence absolue.
Il est clair que seules une volonté politique forte, pérenne, et une priorisation de ce combat permettront d’avancer véritablement, au nom de l’intérêt général.