Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à parcourir les multiples et vertigineuses estimations de la fraude fiscale, à les comparer à nos semaines de débat pour ajuster les lois de finances, on a l’impression de se trouver devant le tonneau des Danaïdes…
En effet, pendant que nos travaux se concentrent sur la création, la suppression ou la répartition de tel ou tel impôt, des dizaines de milliards d’euros nous échappent du fait d’une telle fraude.
Par conséquent, je remercie la mission d’information relative à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, et je salue son travail important, en premier lieu celui du rapporteur général de la commission des finances, Jean-François Husson. En effet, compte tenu des montants en jeu, il y a bien urgence à agir dans ce domaine.
Je souscris sans réserve aux recommandations visant à donner accès aux données nécessaires à leur mission de contrôle et de répression aux services de la direction générale des finances publiques (DGFiP), de la direction générale des douanes et droits indirects et à ceux de la justice. Je souscris également aux recommandations dont l’objectif est de fluidifier les échanges entre ces directions et de favoriser le partage des données utiles à chacune.
Il est urgent de mettre en œuvre la recommandation n° 5 du rapport, visant à doubler, d’ici à cinq ans, le nombre d’officiers fiscaux judiciaires, ce qui suppose que les salaires soient attractifs.
Tout commence par là, monsieur le ministre : il nous faut les meilleurs des meilleurs pour déjouer les systèmes les plus sophistiqués qui soient. Fort heureusement, quelques-uns de ces spécialistes sont de notre côté, mais ils sont trop peu nombreux, et sous-rémunérés au regard de ce que la grande finance peut offrir. Pour inverser le rapport de force, il nous faut déployer des armes de gros calibre. Cela suppose, en premier lieu, de disposer d’agents nombreux, très bien payés et bénéficiant de moyens.
En matière de fraude à la TVA, estimée entre 20 milliards et 25 milliards d’euros chaque année, je présenterai trois constats.
Le premier est lié aux fraudes à la TVA. Leurs sources sont multiples : absence de reversement de la TVA collectée, reversement de cette taxe à un taux minoré, optimisation des opportunités du droit intracommunautaire en multipliant, pas seulement en matière de e-commerce, les opérateurs non immatriculés ou défaillants et, bien sûr, organisation de fraudes de type « carrousel ».
En raison de ce fléau qu’est la fraude carrousel, j’ai un doute sur l’efficacité de la généralisation de la procédure d’autoliquidation de la TVA au 1er janvier 2022. L’autoliquidation constitue justement le point de départ d’une telle fraude ! Si les déclarations ne sont pas contrôlées, les failles vont devenir des gouffres ; le machine learning à disposition des services de contrôle de la DGFiP n’est pas encore assez intelligent pour vérifier cette autoliquidation.
Mon constat est donc un appel à la vigilance : le guichet unique de déclaration de la TVA à l’importation sera-t-il efficace ?
Mon deuxième constat sera une suggestion au sujet des actifs numériques, notamment les jetons non fongibles, les NFT (Non Fongible Tokens), pour lesquels la fraude de type carrousel est tentante. Essayons de ne pas prendre trop de retard sur les voleurs et adaptons notre réglementation !
Les NFT peuvent être instantanément acquis et cédés entre deux assujettis à la TVA. L’absence de flux physique facilite la fraude. Comme il n’existe pas de registre officiel permettant de faire le rapprochement entre l’adresse publique détenant les actifs numériques et la dénomination sociale du bénéficiaire, ne peut-on pas obliger les entreprises françaises à déclarer, comme les particuliers, leurs comptes d’actifs numériques à l’administration fiscale ?
Dernier constat, si la fraude carrousel est un enjeu important, il existe aussi toute une fraude de base consistant à ne pas déclarer tout ou partie de ses recettes. Je me suis déjà exprimée plusieurs fois à ce sujet, car il est clair que les comptables et les banquiers savent qui triche et qui déclare.
L’agence Tracfin est, bien sûr, opérationnelle, mais les experts-comptables ne vont pas lui adresser des signalements pour des affaires mineures. Or de telles affaires représentent, à l’échelle de la France, quelques milliards d’euros de TVA.
Aussi, monsieur le ministre, quelle est votre position sur le secret professionnel inhérent aux professions bancaires et comptables ? Ne pensez-vous pas qu’il pourrait exceptionnellement être levé lorsque l’administration fiscale procède à des contrôles ?