Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens pour commencer à saluer, comme l’ont fait les orateurs qui m’ont précédé, les travaux de la mission d’information relative à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales lancée sous l’impulsion de Jean-François Husson et de Claude Raynal. Je vous remercie également, mes chers collègues, pour ce débat en séance publique.
Si le groupe écologiste a voté les recommandations de ce rapport – ce n’est pas si fréquent –, c’est qu’il répond aux enjeux du civisme, de la dissuasion et de la répression. À cette fin, évidemment, il faut en premier lieu une véritable volonté politique. Le Gouvernement veut-il se donner les moyens de lutter plus vigoureusement contre la fraude et l’évasion fiscales ?
La réponse réside sans doute en partie dans le fameux « en même temps » jupitérien : si des avancées majeures sont à noter, subsistent néanmoins des ambiguïtés idéologiques et des mesures pensées, sans doute, pour ne pas trop effrayer les milliardaires et les champions du CAC 40. En d’autres termes, on observe, d’un côté, une attitude dure avec les fraudes des pauvres et, de l’autre, une attitude parfois plus conciliante, au nom de l’efficacité et de la rapidité des procédures – c’est ainsi que vous l’avez justifiée, monsieur le ministre –, avec la fraude des multinationales ou des plus riches.
Le sujet est difficile, car la marge est étroite entre la fraude fiscale et l’évasion fiscale ; dans cette marge grandissent les populismes.
Je pense notamment au président Macron faisant le choix de l’opacité lorsqu’il défend, en 2021, la « clause de sauvegarde », qui empêche la publication d’informations indispensables pour lutter contre l’évasion fiscale.
Je pense aussi – vous venez d’en parler – au choix de la France, lorsque Joe Biden propose une imposition minimale à hauteur de 21 % des 7 000 ou 8 000 plus grandes entreprises du monde, de se ranger plutôt, dans un premier temps, du côté de l’Irlande, qui ne compte pas vraiment parmi les pays les plus allants en la matière…
En décembre, l’Europe est parvenue à un accord, adoptant un impôt minimum global au taux de 15 %. C’est une victoire, vous venez de le souligner, et nous ne la boudons pas, mais ce n’est pas assez.
Selon nous, en effet, il reste injuste, et même inacceptable, de taxer moins les multinationales que des TPE et des PME. Ces écarts nourrissent un sentiment d’injustice.
Il est indispensable d’amplifier les actions menées contre l’opacification des flux financiers mise en lumière, entre autres, par les affaires des Pandora Papers, des Panama Papers ou des CumEx Files.
Il est indispensable de doubler le nombre d’officiers fiscaux judiciaires, comme cela est préconisé dans le rapport de la mission d’information, et de leur donner les moyens de traiter aussi la fraude à la TVA. Au passage, chacun des postes créés génère des recettes bien supérieures aux coûts salariaux afférents, ce qui démontre tout l’intérêt du service public. Ne nous en privons pas ! Là où il y a une volonté d’agir, il y a des résultats.
Pendant les derniers débats budgétaires, monsieur le ministre, vous n’avez cessé, sur tous les sujets, d’opposer à nos propositions un sempiternel « combien ça coûte ? ». Mais demandons-nous aussi un instant combien cela coûte de ne pas se donner les moyens de mieux lutter contre la fraude et l’évasion fiscales !
Le coût de la fraude à la TVA est estimé à 20 milliards ou 25 milliards d’euros par an par l’Insee, qui montre également que les pertes de recettes globales dues au non-respect des droits fiscaux seraient de l’ordre de 80 milliards à 100 milliards d’euros par an.
Au niveau européen, on estime que plus de 7 900 milliards d’euros d’avoirs sont cachés dans des places offshore, échappant à l’impôt du pays d’origine. C’est près de dix fois le montant du plan de relance européen ! C’est vertigineux.
Ne faut-il pas y voir la conséquence d’une attitude qui, consistant à répéter inlassablement qu’il y a trop d’impôts, finit par accréditer l’idée que l’impôt n’est pas une ardente nécessité ? De l’optimisation fiscale à la fraude fiscale, la marge est parfois ténue. Cela engendre une délinquance qui se croit au-dessus des lois, au-dessus des droits, au-dessus du pacte républicain et du contrat social.
Ces fraudeurs font baisser les recettes publiques, diminuant les capacités de l’État à financer des politiques publiques ambitieuses indispensables au quotidien des Français ou à la si nécessaire transition écologique, mais aussi, tout simplement, à équilibrer les comptes publics.
M. le ministre Le Maire nous a assuré qu’il serait « intraitable avec ceux qui ont triché ». Tant mieux ! Car les personnalités mises en cause par les Pandora Papers sont des gens de pouvoir : anciens dirigeants, élus, familles royales, milliardaires. Flanqués d’armées de juristes, ils maîtrisent les lois, s’en exonèrent et profitent de l’opacité du système financier international.
Il est donc urgent, au niveau national, de renforcer encore davantage les moyens de l’administration fiscale et, au niveau européen, d’étendre la liste des paradis fiscaux en y incluant tous les pays impliqués dans les Pandora Papers. Le travail de la commission des finances représente à cet égard un point d’appui utile, et le Gouvernement gagnerait, ou plutôt gagnera, à l’intégrer pleinement.
Quelques mots en guise de conclusion : vive le journalisme d’investigation, la presse libre et les lanceurs d’alerte !