Madame la rapporteure, mesdames et messieurs les parlementaires, je vous remercie pour votre invitation. Je ne m'attarderai pas spécifiquement sur les réintroductions d'espèces, mais je présenterai les actions de conservation en les inscrivant dans le contexte plus large du réchauffement climatique.
Mon diaporama comporte des cartographies intéressantes de la biodiversité. Il est aussi illustré de belles images de nature. Chacun forge ses propres images de nature, associées aux imaginaires individuels. La nature apporte une inspiration spirituelle essentielle à l'humanité. La nature apporte également les éléments essentiels à la vie humaine, mais aussi des biens matériels qui améliorent la qualité de vie.
Les contributions de la nature aux populations sont scientifiquement bien établies. Nous identifions des contributions de régulation agissant sur le climat, sur les évènements extrêmes et sur la qualité de l'air. Des contributions matérielles renvoient à l'énergie, à l'alimentation, ou encore à la médecine, tandis que des contributions immatérielles sont reliées à l'inspiration, au bien-être et à l'identité.
L'examen de plus de 2 000 études montre un déclin pour quatorze des dix-huit contributions de la nature aux populations identifiées. Il s'agit pour l'essentiel de fonctions de régulation et de contributions immatérielles. Ce déclin menace actuellement la qualité de vie des populations.
Depuis 1970, la production a augmenté dans les secteurs de l'agriculture, de la pêche, des bioénergies et de l'industrie extractive. Or le déclin des contributions de la nature aux populations suggère que cette hausse de production n'est souvent pas viable sur le long terme.
La majeure partie des conclusions que je vous présente aujourd'hui proviennent du rapport de l'IPBES, publié en 2019, sur l'évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques. Ce rapport synthétise plus de 15 000 publications scientifiques et propose un résumé destiné aux décideurs. Mes conclusions proviennent aussi des résultats d'un atelier commun organisé par le GIEC et l'IPBES en 2021. Cet atelier visait à identifier les liens entre la biodiversité et le changement climatique.
Les causes du déclin de la biodiversité sont bien documentées. Les causes de ce déclin se trouvent, en premier lieu, dans le changement d'utilisation des terres et des mers, mais aussi dans l'exploitation directe du vivant réalisée par le biais de la chasse, de la pêche et de l'exploitation forestière. Parmi les facteurs du déclin de la biodiversité, le changement climatique se trouve en troisième position. La pollution et les espèces exotiques envahissantes représentent deux autres causes importantes de ce déclin.
Ces causes directes de déclin de la biodiversité résultent de causes indirectes, soit d'un ensemble de causes sociétales profondes qui peuvent être démographiques, socioculturelles (évolution des modes de consommation, etc.), ou encore économiques et technologiques.
Les scientifiques estiment que le changement climatique exacerbera de manière croissante l'impact des autres facteurs du déclin des contributions de la nature aux populations au cours du XXIe siècle, tout en gagnant en puissance en tant que facteur direct de ce déclin.
Toutes les composantes de la biosphère - biosphère terrestre, d'eau douce et marine - subissent les impacts du changement climatique. Ces impacts ont été documentés à tous les niveaux d'organisation du vivant, comme l'a précisé Philippe Grandcolas dans l'exposé précédent, depuis les gènes jusqu'aux écosystèmes, en passant par les individus. La biodiversité est touchée par des changements dans les interactions entre espèces et par des changements dans la composition de communautés animales, végétales et fongiques. De génération en génération, les espèces doivent s'adapter aux nouvelles conditions pour persister, faute de quoi elles risquent de s'éteindre localement ou globalement. Parmi les nombreuses réponses adaptatives possibles figurent les déplacements vers des zones climatiques optimales.
L'identification de « zones clés pour la biodiversité » permet de construire un indicateur de conservation. Ces zones abritent des sites d'importance fondamentaux pour la persistance mondiale de la biodiversité. Nous constatons que le réchauffement climatique, selon son ampleur, provoque un déplacement plus ou moins rapide et important du climat optimal de ces zones clés. En analysant ce que pourraient être ces déplacements en Afrique australe et en Asie du Sud-Est, nous relevons que ces zones clés devraient même disparaitre de certains littoraux, en particulier dans de nombreuses îles.
Du fait de leur isolement, les écosystèmes insulaires se trouvent particulièrement menacés. Sur le continent, la plupart des zones clés pour la biodiversité devraient subir le déplacement de leurs conditions climatiques dès lors que le réchauffement atteindrait un, deux ou six degrés. Avec un réchauffement de six degrés, 40 % des zones clés pour la biodiversité insulaire perdraient leur climat optimal.
De la sorte, une importante responsabilité revient à la France dans la préservation des écosystèmes insulaires. En effet, les collectivités françaises d'outre-mer couvrent seulement 0,08 % de la surface terrestre, mais abritent 3 450 espèces de plantes et 380 espèces de vertébrés strictement endémiques, c'est-à-dire totalement spécifiques de ces aires. Le nombre d'espèces endémiques y est plus important que sur l'ensemble de l'Europe continentale. Leur disparition causerait la perte d'un patrimoine commun et culturel inestimable. Ces espèces font partie d'écosystèmes exceptionnels au regard de leur richesse et de leur histoire.
Récemment, des chercheurs se sont interrogés sur les risques climatiques qui pèsent sur les arbres et les arbustes présents dans les villes du monde entier. Ces milieux sont bien différents de ceux d'outre-mer, puisque la majorité des espèces d'arbres et d'arbustes y ont été plantées par l'homme. Les chercheurs ont montré que plus de la moitié de ces espèces sont actuellement confrontées à des conditions de températures excédant celles observées dans leurs aires normales de répartition géographique. Dans le scénario d'une augmentation de la température globale de six degrés d'ici à 2050, un risque climatique pèserait sur 76 % des espèces d'arbres de nos villes. Cette situation pourrait diminuer les contributions de cette nature ordinaire aux populations urbaines. Ces espèces contribuent à la dissipation de la chaleur urbaine par évapotranspiration. Elles contribuent aussi au bien-être et à la santé mentale.
Globalement, nous pouvons compter sur des méthodes efficaces de conservation de la biodiversité, telles que la création de zones protégées, la restauration d'habitats naturels, ou encore les plans d'action, de protection et de réintroduction d'espèces au bord de l'extinction. L'enclenchement de ces leviers a mené à de nombreux succès. Une part bien plus importante de la biodiversité aurait été perdue sans les efforts déployés jusqu'à présent.
Toutefois, dans ce contexte d'environnement changeant, la conservation de la biodiversité doit se réinventer. Par exemple, les aires protégées sont des zones de nature intacte particulièrement fragmentées, incluses dans une mosaïque de paysages très modifiés. C'est pourquoi il importe d'améliorer la connectivité des corridors de migration pour maintenir l'état des populations qui y résident, des habitats naturels et des fonctions écologiques. Les zones protégées doivent aussi être associées à de meilleurs processus d'inclusion sociale.
Pour autant, les actions de conservation seules ne suffiront pas à enrayer le déclin de la biodiversité et à faire face aux pressions qui pèsent sur les écosystèmes. De la même façon, la résolution de la crise climatique ne pourra pas résoudre à elle seule la crise de la biodiversité.
D'ailleurs, la synthèse de l'IPBES alerte sur les effets néfastes à la biodiversité de certaines actions de lutte contre le réchauffement climatique, telles les monocultures d'arbres ou la production de bioénergie, qui réduisent l'espace disponible pour le déploiement de la biodiversité. Les experts signalent également un besoin urgent de réévaluer les effets sur la biodiversité de certaines mesures technologiques d'atténuation du changement climatique.
En tout état de cause, nous pouvons rester positifs car il existe encore des solutions. Dans l'ensemble, la synthèse de l'IPBES identifie davantage de co-bénéfices que de compromis antagonistes entre les actions de conservation de la biodiversité et les objectifs d'atténuation du changement climatique.
La première action consiste à lever les pressions qui pèsent sur les écosystèmes et en particulier les pressions non climatiques. Dès que ces pressions sont levées, des améliorations rapides de la biodiversité sont souvent observées. Pour ce faire, nous devons d'abord agir sur les causes directes du déclin de la biodiversité, en nous intéressant au changement d'utilisation des terres et des mers, à l'exploitation directe de la biodiversité, à la pollution et à la diffusion d'espèces exotiques envahissantes. Nous devons aussi nous intéresser aux causes indirectes de ce déclin, à savoir nos valeurs, nos styles de vie et de consommation et l'organisation socioécosystémique de nos sociétés. Jusqu'à présent, les actions entreprises pour réduire les pressions sur les écosystèmes n'ont pas été suffisamment rapides. Par conséquent, des changements majeurs doivent être engagés maintenant. Nous devons mener une réorganisation fondamentale et systémique des facteurs économiques, sociaux et technologiques du déclin de la biodiversité, en modifiant notamment nos paradigmes, nos objectifs et nos valeurs. Par exemple, nous pouvons réduire notre consommation et notre production de déchets, faire évoluer nos régimes alimentaires, ou encore exploiter durablement nos ressources pour la production de biens et de services, notamment dans le secteur de l'alimentation. Ces changements profonds permettraient d'infléchir le déclin de la biodiversité et de créer les voies d'un développement résilient au changement climatique et favorable à la conservation de la biodiversité.