Je vous remercie pour votre invitation. Je vous propose de réaliser une brève prospective des menaces qui pèsent sur la biodiversité en raison du réchauffement climatique, en m'appuyant sur le sixième rapport du GIEC publié cette année. La publication de la dernière partie de ce rapport reste en attente. Alors que la crise du climat se trouve sur le devant de la scène depuis des années, le nouveau rapport du GIEC présente des nouveautés. Je vais donc mettre en lumière trois enjeux spécifiques de cette crise avant de les mettre en perspective.
Dans son sixième rapport, le GIEC insiste pour la première fois sur les relations entre la société humaine, les écosystèmes et le changement climatique, trois entités en liaison étroite. Si le climat modifie les écosystèmes et la société, le changement des écosystèmes retentit aussi sur la société et le climat.
Comme vient de l'indiquer Anne-Christine Monnet, nous devons nous interroger sur les moyens à mettre en oeuvre pour changer de trajectoire devant le déclin de la biodiversité. Il existe en effet une urgence à agir, constatée depuis des années.
Le GIEC fournit dans son nouveau rapport des informations régionalisées bien plus détaillées que dans ses rapports précédents. Il est possible d'y trouver des informations sur les risques encourus par la biodiversité du fait du changement climatique dans des régions telles que la France métropolitaine. Dans les quelques minutes qui me sont imparties, je souhaite souligner la richesse de ces informations nouvelles, qui diffèrent selon les régions en raison de la disparité des données. Un tableau synthétique présente, selon les régions, les informations relatives aux impacts du changement climatique dans les structures des écosystèmes, dans la distribution des espèces, dans la phénologie annuelle des espèces. Ce tableau renvoie pour chaque item à des informations plus spécifiques présentes dans le rapport.
Par ailleurs, le rapport présente des informations prospectives à l'échelle de la planète sur les effets du changement climatique sur la biodiversité. Il est clair que l'élévation de la température engagée depuis le début de l'ère industrielle impactera largement la biodiversité. Toutefois, les pertes varieront localement, car l'élévation des températures et l'ampleur des sécheresses diffèrent selon les régions, tandis que la biodiversité peut y apparaitre plus ou moins fragile.
Cette prospective est réalisée tant sur les terres émergées qu'en mer. La biomasse des poissons marins devrait être particulièrement touchée, dans les différents scénarios du changement climatique. Si les objectifs de l'Accord de Paris étaient réalisés, on pourrait espérer un changement relativement modeste de cette biomasse. Cependant, la trajectoire sur laquelle nous nous situons devrait donner lieu à des modifications bien plus importantes. La biomasse de poissons marins devrait connaître de fortes baisses dans certaines régions et augmenter dans d'autres. Des variations de l'ordre de 20 % à 30 % de cette biomasse induisent nécessairement une baisse de la biodiversité, même en cas d'augmentation de volume, dans la mesure où celle-ci perturbe fortement la structure des écosystèmes marins.
Je souhaite maintenant mettre en évidence trois points spécifiques tirés des conclusions de ce sixième rapport.
Le rapport du GIEC souligne le risque de perte d'écosystèmes et de biomes entiers. Philippe Grandcolas a signalé la probable perte des récifs coralliens dans les tropiques ainsi que ses graves conséquences sur les écosystèmes, la biodiversité et les populations. Ce risque associé au changement climatique est connu depuis longtemps. Pour autant, nous pouvons nous interroger sur l'ampleur de la réaction des pouvoirs publics, qui n'est pas aussi forte qu'elle devrait l'être. Il semble que la perte des coraux soit considérée comme un fait lointain qui ne nous touche absolument pas.
Le recul des banquises peut aussi nous sembler lointain, mais il aurait pourtant des effets particulièrement importants sur l'écosystème planétaire. En effet, un recul des banquises changerait sensiblement la structure des écosystèmes marins, mais aussi celle des écosystèmes côtiers du Grand Nord. Des incidences pourraient aussi s'observer sur les oiseaux. La productivité de la végétation côtière serait également touchée par les modifications du drainage des nutriments marins.
De plus, la fonte des glaces de l'Antarctique se déroule bien plus rapidement que nous ne l'envisagions il y a encore quelques années. Ainsi, la hausse du niveau de la mer se fera ressentir partout dans le monde, d'une manière plus importante que prévu et avec un verrouillage précoce du phénomène. Cette hausse devrait atteindre un ou deux mètres d'ici à la fin du siècle. Nous risquons donc de connaitre une perte totale du littoral que nous connaissons dans les décennies qui viennent. Les zones humides côtières devraient être touchées en même temps que des zones agricoles et des zones habitées.
Anne-Christine Monnet vient de présenter les solutions basées sur la nature ; je serai donc bref sur ce sujet. Le GIEC s'intéresse beaucoup à ces solutions. Parallèlement aux actions visant à atténuer les émissions de gaz à effet de serre, il est possible de s'appuyer sur les écosystèmes et sur leur capacité à absorber du carbone. De la même manière, il est possible de rendre la production agricole plus résiliente.
Notre adaptation au changement climatique repose pour une grande part sur une mise à profit des caractéristiques des écosystèmes actuels. Or une perte importante de la biodiversité, telle qu'elle est projetée par le GIEC et l'IPBES, pourrait compromettre une partie de ces solutions basées sur la nature.
Lors de l'approbation du dernier rapport du GIEC, nous nous sommes beaucoup préoccupés des conséquences d'un scénario de dépassement des seuils critiques de température.
Nous demeurerons certainement durant une longue période sur une trajectoire ascendante des températures. Pour autant, avec un certain optimisme, nous pouvons imaginer que la COP 27 et les conférences suivantes conduisent vers une atténuation du réchauffement climatique, laquelle aboutirait à terme à un équilibre des températures. Cette atténuation nous porterait idéalement sous le seuil de l'augmentation de 1,5 degré visé par l'Accord de Paris.
Pourtant, un réchauffement climatique critique suivi d'une atténuation et d'une stabilisation aurait malgré tout un effet sur la biodiversité. Dans ce scénario, la biodiversité resterait impactée tant dans sa richesse que dans ses aspects fonctionnels. En effet, un très grand nombre d'écosystèmes seraient irrémédiablement touchés dès l'atteinte d'une température critique. La baisse des températures qui ramènerait ensuite au seuil défini par l'Accord de Paris ne permettrait pas de rétablir la richesse de la biodiversité.
De plus, il faudra compter sur les émanations de carbone en provenance d'écosystèmes dégradés, notamment dans le Grand Nord qui sera touché par la fonte du permafrost. De ce fait, il serait beaucoup plus difficile de revenir à un réchauffement de 1,5 degré en cas d'atteinte d'une température critique.
Enfin, le recul de la biodiversité rendra d'autant plus difficile la réalisation des scénarios très optimistes qui circulent actuellement, lesquels laissent penser qu'une fois le dépassement des températures critiques atteint, nous aboutirions à une situation plus stable.
Pour finir, je remercie Anne-Christine Monnet d'avoir participé à un atelier commun organisé par le GIEC et l'IPBES. Le rapprochement entre l'IPBES et le GIEC était très souhaité pour de multiples raisons. Il ne vise pas à expliquer les principes de la biodiversité aux climatologues, mais permet à l'IPBES d'apporter au GIEC des éléments sur les questions sociales, en soulevant des réflexions sur les liens de dépendance existant entre les sociétés humaines et la biodiversité. Ces questions pourront intéresser les acteurs politiques français.