Intervention de Philippe Grandcolas

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 10 novembre 2022 à 9h45
Audition publique sur les conséquences du réchauffement climatique sur la biodiversité

Philippe Grandcolas, directeur adjoint scientifique de l'Institut Eìcologie et environnement (INEE) du CNRS :

Nous pouvons effectivement nous demander si la biodiversité peut aboutir à un état d'équilibre, par le biais d'une recomposition d'écosystèmes où des espèces se substitueraient à d'autres. Une telle recomposition déboucherait sur des écosystèmes toujours fonctionnels, composés d'espèces parfois non habituelles. Néanmoins, une crise d'extinction se caractérise par le fait que le taux d'extinction dépasse très largement le taux de spéciation, c'est-à-dire le taux d'apparition de nouvelles espèces. En outre, une situation d'équilibre de la biodiversité implique une forme de maintien de la richesse des écosystèmes recomposés. Or, aujourd'hui, nous constatons la disparition d'une très grande quantité d'espèces, sans nécessairement observer de substitutions.

Par ailleurs, le déclin de la biodiversité réduit l'étendue des services rendus par la biodiversité aux populations, comme vient notamment de le décrire Anne-Christine Monnet. Nous sommes habitués à considérer que les services liés à la pollinisation ou encore à la fertilité des sols sont immanents, à l'image des services rendus par la pluie et le soleil. Cependant, nous nous apercevons que ces services peuvent être perdus. En effet, d'ici à 2050, environ un million d'espèces devraient disparaitre, soit près de la moitié des espèces répertoriées et environ 10 % des espèces vraisemblablement présentes sur Terre.

Au nombre des services perdus en raison de cette extinction massive, il est possible qu'il faille compter les services rendus par la biodiversité pour la préservation de la santé humaine. Les microorganismes pathogènes sont transmis à l'être humain par des contacts directs avec certains réservoirs, ou par le biais d'organismes vecteurs tels que les moustiques ou les tiques. Malheureusement, la disparition de certaines espèces, dont des prédateurs, peut agrandir certains réservoirs d'agents pathogènes. En parallèle, la proximité entre les humains et ces réservoirs augmente. C'est pourquoi, depuis 1950, nous relevons l'apparition d'environ 300 maladies infectieuses émergentes. Ceci apparait inquiétant. De surcroit, le dégel des permafrosts peut réveiller certains microorganismes, comme la bactérie responsable de l'anthrax, qui a infecté des humains dans le cercle polaire. De même, la pandémie de la Covid-19, quelle que soit son origine, provient d'un microorganisme étudié dans des espèces-réservoirs.

La fourniture de nourriture, autre service rendu par la nature aux populations, pourrait être également affectée. Dans les années 1950, nous avons mécanisé l'agriculture et modifié le patrimoine génétique d'un certain nombre d'espèces consommées, comme le blé chez lequel a été sélectionné un gène de nanisme qui a considérablement augmenté la production alimentaire industrielle. Parallèlement, la population humaine s'est accrue et devrait se stabiliser naturellement autour de 10 milliards de personnes. Actuellement, deux tiers de la population humaine sont tributaires de cette forme industrielle de production alimentaire. Néanmoins, cette production souffre d'une multitude d'externalités négatives qui mettent en danger son devenir, si bien qu'elle commence à plafonner. 40 % des sols arables sont dégradés, tandis que des pollinisateurs commencent à faire défaut dans un certain nombre d'écosystèmes agricoles de Chine, d'Europe ou encore d'Amérique du Nord. Le plafonnement actuel de la production alimentaire s'avère inquiétant, d'autant que près d'un milliard de personnes dépendent encore d'espèces sauvages pour s'alimenter, comme l'a souligné l'IPBES en juillet dernier. En effet, cette partie de l'humanité risque d'augmenter les pressions qui pèsent sur la production agricole industrielle, du fait d'exodes ruraux des pays du Sud ou encore de la destruction de milieux naturels. Finalement, la production alimentaire industrielle plafonne, alors que le nombre d'humains qui en dépendent augmente et que les services rendus par la biodiversité poursuivent leur déclin. Par conséquent, il faut absolument infléchir cette trajectoire de déclin.

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