Intervention de Cédric Marteau

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 10 novembre 2022 à 9h45
Audition publique sur les conséquences du réchauffement climatique sur la biodiversité

Cédric Marteau, directeur du pôle de la protection de la nature au sein de la LPO :

Nous allons rester en Nouvelle-Aquitaine pour nous intéresser à la région des Pertuis charentais. Au préalable, je signale que parmi les oiseaux les plus vulnérables dans le monde, on trouve en premier lieu les perroquets et les perruches, dont la présence en France est limitée.

Ensuite viennent les oiseaux marins, dont de nombreuses populations se trouvent en Europe et en France. Ces oiseaux sont principalement affectés par la pêche et par l'apparition de zoonoses dans leurs colonies. Leurs populations déclinent drastiquement dans le monde, en Europe et en France.

Suivent encore les oiseaux des plaines agricoles, dont la présence est typique en France métropolitaine. En France, ces quinze dernières années, la population des alouettes des champs a diminué de 35 %. En seulement dix ans, les effectifs des chardonnerets élégants ont chuté de 38 %. Les populations d'outardes sont aussi affectées. Ces espèces subissent principalement la pression des produits phytosanitaires. Les effets de ces produits sur ces oiseaux sont mis en évidence par toutes les publications scientifiques qui s'y sont intéressées.

Je me concentrerai sur les liens entre le changement climatique et l'évolution des populations d'oiseaux.

Nous nous trouvons en pleine période de migration d'oiseaux. En ce moment même, des dizaines ou des centaines de milliers d'oiseaux traversent la France en provenance de Scandinavie, d'Europe de l'Est et d'Europe de l'Ouest, où ils se sont reproduits. Pour passer l'hiver, ils descendent vers le Sahel et l'Afrique de l'Ouest. Ils réalisent ce trajet deux fois par an. Ils se rendent maintenant vers leurs quartiers d'hiver. Ils reviendront au printemps. Les hirondelles sont parties entre juillet et septembre. Les martinets de Paris et des grandes villes sont partis dès le mois de juillet.

Pour réaliser ce trajet, les oiseaux doivent effectuer des haltes. De même que nous avons besoin de faire des pauses et des pleins d'essence lors de nos voyages, de même les oiseaux doivent retrouver de l'énergie au cours de leurs migrations.

Pour ce faire, les oiseaux migrateurs s'arrêtent dans des secteurs côtiers, et notamment dans des zones que la France s'évertue à protéger depuis des années par le biais de différents classements. La politique publique de création de réserves naturelles nationales (RNN) fonctionne très bien depuis les années 1970. Les régions créent également de plus en plus de réserves naturelles régionales (RNR), puisqu'elles ont également compétence pour recourir à cet outil de préservation d'écosystèmes. Les oiseaux stationnent en très grand nombre dans ces réserves naturelles et certains y demeurent grâce aux conditions favorables rencontrées.

Parmi ces zones protégées propices à la halte des oiseaux migrateurs, nous trouvons la RNN de Moëze-Oléron.

La réserve de Moëze-Oléron se situe dans les Pertuis, au sud de l'île de Ré. Elle jouxte l'île d'Oléron et s'étend jusqu'à la commune de Moëze, sur le continent. Cette réserve s'étend sur une zone relativement réduite de 6 500 hectares. Pour autant, elle accueille 100 000 oiseaux, soit 11 % des hivernants présents le 15 janvier sur l'ensemble des côtes de l'ouest de l'Europe, du sud de la Scandinavie au Maroc.

Comme vient de l'indiquer Benoît Sautour, le littoral atlantique du golfe de Gascogne subit de plein fouet les effets du changement climatique. Les Pertuis font face aux effets de l'élévation du niveau de la mer. Cette montée des eaux est générée par la fonte des calottes glaciaires et par la dilatation thermique des eaux marines. Les Pertuis affrontent aussi un nombre croissant de dépressions et de systèmes de tempêtes.

Ainsi, des observations de marégraphie effectuées le long du littoral charentais montrent une élévation progressive du niveau de la mer. La vitesse de cette montée des eaux tend à s'accroitre, passant d'environ 0,8 millimètre par an à environ 2,7 millimètres par an, entre le milieu du XIXe siècle et la première partie du XXIe siècle.

Dans le même temps, des dépressions de plus en plus fortes surviennent. Chacun se souvient de la tempête Xynthia, en février 2010, l'une des dernières grandes catastrophes de notre pays, ou encore de la tempête Martin, en décembre 1999. D'autres tempêtes marquantes sont survenues, à savoir Suzanna en 2016 et Alex en 2020. Nous attendons la prochaine tempête. Les climatologues s'accordent pour constater une augmentation de la fréquence des dépressions.

Dans ce contexte, une digue d'argile, située sur la commune de Moëze, a cédé à plusieurs reprises. Cette digue poldérise un marais et protège une partie terrestre de la RNN de Moëze-Oléron. Elle a été réparée plusieurs fois grâce à des financements de l'Etat et des collectivités territoriales.

Néanmoins, nous ne sommes plus en mesure de réparer cette digue dont la brèche est désormais trop importante. Il a donc été décidé de la maintenir ouverte. Me trouvant hier sur place, j'ai pu constater que la digue était ouverte sur 320 mètres et que l'argile s'en échappait. Cette digue maintenait la sédimentation et la permanence du marais. Désormais, à chaque marée, une arrivée d'eau de mer pénètre dans ce marais de la RNN et sa salinité augmente.

Un travail intéressant qui modélise l'évolution des littoraux français a été initié par le Conservatoire du littoral et par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Ce travail est financé par l'Union européenne dans le cadre du programme Life Adapto. Ses conclusions seront rendues à Saint-Malo les 30 novembre et 1er décembre prochains. Les élus locaux ou nationaux sont invités par le Conservatoire du littoral à entendre ces conclusions, qui montrent notamment que la partie continentale de la RNN Moëze-Oléron est amenée à disparaitre. Comme la digue a cédé et que le marais est situé sous le niveau de la mer, la réserve devrait assez rapidement être submergée, avec une élévation du niveau d'eau de l'ordre de 2 mètres d'ici à 2040 ou 2050.

Pour faire face à cette situation, on pourrait reconstruire une digue. Cette possibilité donne lieu à une réflexion dans le cadre d'un programme d'actions de prévention des inondations (PAPI) mené localement.

Cependant, la restauration de la digue de Moëze serait coûteuse et ne protégerait pas d'habitations. À Moëze, il n'y a que des marais, dont une partie a été drainée et transformée en terres agricoles. Les habitations du village sont situées bien loin de la zone qui risque d'être submergée.

La restauration de la digue de Moëze pourra donc susciter des questions. Elle diffère de la restauration de digue, acceptée par tous, réalisée à La-Tranche-sur-Mer, pour protéger des habitations en même temps que la RNN de la Belle Henriette dont la LPO est aussi gestionnaire. Il faut également noter que l'île de Ré, où le coût du foncier est élevé, a reçu 100 millions d'euros, essentiellement en provenance de l'État, pour se protéger de la submersion. La RNN de Lilleau des Niges située dans l'île devait, selon les modélisations, être submergée d'ici à 2040 ou 2050. Des efforts importants ont donc été déployés par les collectivités pour protéger des habitations.

Au regard de la particularité de Moëze, trois choix se présentent donc. Il est possible de construire une digue en béton à la place de la digue d'argile, de réaliser une nouvelle digue en retrait, à l'intérieur des terres, pour protéger les habitations, ou simplement de laisser l'eau gagner du terrain. Il reviendra au PAPI de décider.

Ma présentation est volontairement courte, car je souhaite ouvrir le débat sur le cas de Moëze. Je rappelle que nous avons l'obligation d'accueillir les oiseaux migrateurs dans leurs haltes, pour répondre à nos engagements européens, depuis la promulgation de la directive européenne 79/409/CEE concernant la conservation des oiseaux sauvages. Nous n'avons donc pas d'autre choix que de trouver de nouveaux lieux pour offrir des ressources aux oiseaux migrateurs dans leurs haltes.

Il est estimé que les zones de halte migratoires bénéficient à plusieurs millions d'oiseaux d'intérêt communautaire. De la sorte, la protection des oiseaux migrateurs au sein des milieux qu'ils utilisent pour s'alimenter durant les haltes de migration apparait prioritaire. Cette problématique européenne concerne aussi bien la France que les Pays-Bas, la Belgique, le Portugal, ou encore l'Espagne. Dans le cadre européen, nous sommes parvenus à créer une mosaïque de haltes de migration qui permettent de protéger efficacement les oiseaux migrateurs.

À ce sujet, il faut souligner que les actions de protection des oiseaux migrateurs sont efficaces. Ces réussites nous permettent de garder espoir devant les enjeux de conservation des espèces. Monsieur Longuet distinguait une temporalité politique et une temporalité écologique, tout en mettant en évidence la morosité qui peut apparaitre devant les constats présentés aujourd'hui. Pour autant, il existe aussi des signes d'espoir. De nombreuses espèces d'oiseaux ont pu être protégées à l'échelle de l'Europe. La cigogne blanche, qui avait quasiment disparu dans les années 1970, est aujourd'hui très abondante en Alsace, en Nouvelle-Aquitaine et dans d'autres régions. Même si la biodiversité recule dans sa globalité, il existe tout de même des signaux de reprise qui donnent de l'espoir et qui montrent que des politiques publiques de conservation de la biodiversité peuvent être efficaces.

Il est possible de reculer l'emplacement de la zone de halte de migration située dans la RNN de Moëze-Oléron, en réponse à la submersion. Il s'agirait de retransformer en marais des terres agricoles gagnées sur des marais dans les années 1970. La zone protégée qui permettrait d'accueillir les oiseaux migrateurs pourrait alors être décalée de 1,5 kilomètre à l'intérieur des terres. Les agriculteurs concernés par cette opération devront bénéficier de compensations. Ils ont été au départ très réticents. Toutefois, lorsqu'ils ont pris conscience de l'augmentation de la salinité de leurs parcelles et de la diminution attendue de leurs rendements, ils sont entrés dans une approche plus constructive. Cette opération présente de forts enjeux et doit être réalisée avant 2040. Elle permettrait de préserver des noyaux de populations qui représentent plus de 350 espèces d'oiseaux, dont plusieurs centaines d'espèces d'oiseaux migrateurs. Cette opération est un exemple d'action très concrète réalisable sur notre territoire.

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